Nous n’avons pas affaire à une synthèse de plus mais à un texte enrichi des avancées de la recherche, en particulier celles dues aux historiens italiens, sur la société italienne, la politique étrangère et les institutions du régime. Le développement s’articule autour de huit chapitres dans une approche à la fois chronologique et thématique ; sont à signaler chronologie, biographies des dignitaires fascistes par contre on peut regretter le manque de documents iconographiques.
Le poids de la Grande Guerre est souligné mais le mythe de la victoire mutilée est mis à mal : en effet, lors des élections de novembre 1919, ce ne sont pas les promoteurs de cette idée qui l’emportèrent mais les héritiers des neutralistes de 1915, signe que la majorité de la population n’adhérait pas à cette théorie.L’agitation sociale des années 19-20 semble avoir joué un rôle plus important. Les désordres du Bienno Rosso et le manque de réaction de l’état marquèrent élites et classes moyennes qui virent dans le fascisme le moyen d’éviter la répétition de tels évènements : c’est ce qu’Angelo Tasca appela la « contre-révolution posthume et préventive ».
Simultanément, le fascisme subit des mutations : son implantation s’accrût dans les grands centres urbains et dans les campagnes, les faisceaux laissèrent la place au PNF. Celui-ci, malgré les réticences de la base, entra dans le jeu institutionnel en participant à des coalitions, avant et après la marche sur Rome. L’auteur précise que cet événement n’était pas une simplement pression mise sur la monarchie mais aussi la prise de contrôle des centres locaux du pouvoir .
La mise en place du fascisme
Au pouvoir, Mussolini entreprit la mise en place lente d’un état fasciste notamment par l’installation d’institutions parallèles à celles de l’état telles que le grand conseil du fascisme. Déclenchée par son discours-réquisitoire contre le pouvoir fasciste, faisant suite aux violences ayant émaillées les élections de 24, l’affaire Matteotti agit comme un accélérateur dans la mise au pas des institutions, de la société. L’émotion suscitée par l’enlèvement de Matteotti mais aussi le ferme soutien du noyau dur du PNF furent à l’origine d’une relance de la révolution fasciste symbolisée par les lois fascistissimes instaurant la dictature. Toutefois, il faut garder à l’esprit la situation particulière de ce dictateur : il n’était pas le chef de l’état et restait sous la menace d’une destitution royale.
La seconde moitié des années 30 vit le régime se radicaliser : une propagande plus agressive notamment vis-à-vis des bourgeois, la convocation de l’antisémitisme comme élément de relance de la révolution fasciste. Sentiment existant chez Mussolini dès l’avant Grande Guerre, mis en sourdine lors de l’arrivée au pouvoir, il vint au premier plan des préoccupations du régime pour diverses raisons : celui déjà avancé d’une nécessaire réactivation du fascisme, la proclamation de l’empire accolée à celle de l’existence d’une race italienne, les liens plus étroits avec l’Allemagne. Une fois l’opinion préparée, des mesures d’exclusion furent prises contre les Juifs, mesures que l’on a longtemps crû peu appliquées mais des études locales récentes montrent qu’au contraire l’administration fit son devoir.
L’Etat Totalitaire
Ensuite, au travers d’une série de chapitres, quatre domaines sont abordés.
La société, tout d’abord, qui devait être encadrée, contrôlée ; contrôlée par le PNF, encadrée par de multiples organismes : l’Opera nazionale balilla pour la jeunesse, les corporations dans le monde du travail, le dopolavoro en ce qui concerne les loisirs, l’OVRA pour la répression des opposants. Cette mise sous cloche du pays pose la question du consensus autour de l’état fasciste. Longtemps la théorie du consensus du bout des lèvres de Mira et Salvatorelli fut acceptée mais, depuis les années 70, les positions ont évolué pour admettre à la suite de Renzo de Felice l’existence d’un consensus autour de la personne du Duce plutôt qu’autour du PNF.
Les arts furent eux aussi l’objet des attentions du régime. Sa politique vis-à-vis du monde artistique oscilla entre contrôle et encouragement, entre instrumentalisation de l’héritage romain et souci de laisser une empreinte dans l’histoire artistique italienne mais sans que l’on puisse vraiment parler d’un art fasciste.
De la même façon, les fascistes n’avaient pas vraiment de programme économique. Ce sont plutôt les circonstances qui aiguillèrent leurs décisions : libéralisme pour gagner la confiance des milieux économiques puis volontarisme et politique de déflation face à la crise, enfin recherche de l’autarcie du fait des sanctions internationales suite à l’agression de l’Ethiopie. A la veille de la guerre, l’économie italienne n’était guère prête à soutenir un conflit : l’autarcie n’était qu’une chimère qui buta sur l’absence de matières premières dans la péninsule.
Les deux derniers chapitres sont consacrés à la seconde guerre mondiale. L’Italie fasciste entra dans cette guerre par la petite porte.
Lors des années 20, l’esprit de Genève fut la ligne directrice de la politique étrangère fasciste ; les années 30 virent une Italie fasciste plus présente, agressive sur la scène internationale : conquête de l’Ethiopie, soutien à Franco mais aussi participant à la conférence de Munich. Cette période marqua aussi un retournement d’alliance en faveur de l’Allemagne nazie.
Dès l’entrée en guerre, Mussolini détermina des objectifs particuliers en souhaitant à la fois profiter des victoires allemandes et mener une guerre parallèle. Seulement les désastres militaires s’accumulèrent en raison d’une mobilisation insuffisante, de l’inadaptation des armées à la guerre moderne et d’un commandement incompétent. Tout cela précipita la chute de Mussolini, votée par le grand conseil fasciste, se faisant l’écho de l’impopularité croissante du Duce.
La guerre civile en Italie
S’ouvrit alors une période que nombre d’historiens s’accordent à décrire comme la plus sombre de l’Italie unifiée. Le pays devint zone de combats, situation synthétisée par Claudio Pavone dans l’expression les trois guerres : patriotique, civile, de classes contre le fascisme assimilé à un régime de patrons. Le pays déchiré entre zones libérées et occupées, le fut aussi entre état italien sous contrôle allié et république sociale italienne de Salo de Mussolini. Ce dernier n’avait plus aucune marche de manœuvre car sous la coupe de l’Allemagne, décidée à l’exploiter. Cette période fut celle de la radicalisation extrême du fascisme : déportations de juifs, lutte contre la résistance.
Avec l’avancée des troupes alliées, cette république éphémère s’écroula, son duce arrêté et aussitôt exécuté par des partisans. Ce dernier épisode fut l’occasion de polémiques sur le rôle obscur joué par les services secrets britanniques : pour certains, ils seraient à l’origine de l’exécution sommaire du Duce, celui ayant conservé, en cas de procès, sa correspondance avec Churchill. Cette version n’a été ni confirmée, ni infirmée mais Luciano Canfora estime que les documents ne disent pas que les Anglais ont vraiment forcé la main des partisans mais il ajoute que cette solution leur a certes pas déplu.
En 1945, après 20 ans de fascisme, la reconstruction du pays commença très vite. Une reconstruction politique en réaffirmant les grandes libertés supprimées sous le fascisme, en substituant la république à la monarchie. Toutefois note l’auteur, le fascisme a laissé un héritage multiple : immobilier, politique, mais il ajoute en guise de conclusion que même si certaines formations se réclament du fascisme, celui-ci est daté historiquement et n’a pas vocation à renaître de ses cendres.
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