Historien spécialisé dans l’histoire de la médecine et professeur émérite à l’université Lyon III, Olivier FaureFiche biographique au lien suivant publie en ce début d’année 2020 une enquête sur l’officier de santé Jean-Pierre Françon. À travers le parcours atypique de cet homme, Olivier Faure entend faire l’histoire d’une « strate inférieure du monde médical »Olivier Faure, Sur les traces de Jean-Pierre Françon. Un aventurier de la médecine (1799-1851), PUL, 2020, page 12, dans la droite lignée des travaux d’Alain Corbin. En effet Olivier Faure reconnaît dès les premières pages son ouvrage l’immense apport de cet historien à son approche à travers la publication du monde retrouvé de Louis François Pinagot en 1998. À travers la vie de Jean-Pierre Françon, c’est l’histoire de la société rurale de la seconde moitié du XIXe siècle Olivier Faure entend aborder. Comme il le dit si bien « la vie d’un individu aussi atypique soit-elle en apprend plus sur l’histoire d’une société que les approches plus globales »Ibid, page 13. L’homme est atypique. Jean-Pierre Françon a su s’élever dans la hiérarchie sociale en étant « acteur de son propre cheminement »Ibid, page 15.
Issu de la basse extraction sociale, Jean-Pierre Françon est originaire du Jura et plus précisément du Bugey méridional. Ainé d’une famille de sept enfants, Jean-Pierre Françon ne disposa pas d’une éducation poussée (il fut vraisemblablement instruit par Claude Antoine Bellod) mais possédait un bagage culturel relativement important pour son époque. Parvenu sur Lyon en 1820, cette période de la vie de Jean-Pierre Françon reste méconnue pour l’historien. Celui-ci semble avoir été très tôt dentiste épicier, exerçant de façon ambulante. Ses pérégrinations le menèrent peu à peu vers le canton de Tarare où il décida de s’installer. Jean-Pierre Françon prodigua très rapidement des soins aux habitants de son canton. Olivier Faure note la première mention explicite des soins pratiqués par Françon en 1827. Dénué de toute formation médicale, Jean-Pierre Françon pratique une médecine qu’Olivier Faure qualifie « d’héroïque »Ibid page 55, au sens où celui-ci n’hésite pas à agir rapidement et de manière sanglante comme les témoignages de certains médecins et patients le montrent.
Soucieux de s’élever dans l’ordre social, Jean-Pierre Françon épouse Gabrielle Raffin en 1828. Par cette union, Jean-Pierre Françon intégre un puissant clan dans le village de Saint Clément. L’étude des trajectoires sociales les différentes branches de la famille laisse apparaître que la puissance des Raffin ne repose pas sur leurs possessions matérielles que sur leur influence sociale et leur nombre. La famille Raffin-Françon fait partie de ce qu’Olivier Faure qualifie d’infranotabilité. Cette puissance d’influence fut bien utile à Jean-Pierre Françon lors de son premier procès pour exercice illégal de la médecine. Celui-ci pu sélectionner les témoins que les forces de police auditionnèrent. Cette influence se fait d’autant plus ressentir à la lecture du verdict : Jean-Pierre Françon est condamné à deux amendes de 50 francs et 84,25 francs pour exercice illégal de la médecine.
Cette condamnation amena Jean-Pierre Françon à vouloir régulariser sa situation. Pour cela il intégra officiellement le corps des officiers de santé. La chance continua de lui sourire : c’est en toute illégalité, et un contradiction totale avec la loi que Jean-Pierre Françon se présenta devant le jury du diplôme d’officier de santé du département de l’Ain où il fut reçu et qu’il retourna exercer sa médecine dans le canton de TarareL’article 29 de la loi de ventôse obligeait chaque officier de santé à exercer dans le département ou son diplôme lui avait été remis. Bénéficiant très certainement du soutien de plusieurs aux politiques, ayant la chance « d’avoir affaire à un préfet placé dans une position particulière »Ibid page 100 et à la guerre entre le ministère de la justice et le ministère de l’Instruction Nationale sur la question des officiers de santé, la situation de Françon fut régularisée.
Malgré les démêlés judiciaires, et des connaissances médicales pour le moins contestables, Jean-Pierre Françon continua une indéniable ascension sociale. Elle est le fruit de connaissances et de capacités commerciales importantes. Doué pour capter l’esprit et les dispositions sociales de son époque, Jean-Pierre Françon appliqua au cours de sa vie à la fois un comportement commercial moderne (fuite de la concurrence, stratégie sociale adaptée) tout en respectant les règles du commerce d’Ancien Régime : « ne jamais se faire payer comptant », « établir son prix après négociation », « ne jamais apurer les comptes de ses clients »Ibid page 109. Devant faire face à de nouveaux concurrents mais aussi à la mort de sa femme en 1838, Jean-Pierre Françon quitte Saint Clément pour s’installer dans le village voisin de Valsonne puis Saint Forgeux. C’est dans ce dernier village qu’il fit d’importantes acquisitions qui témoignent de son élévation sociale. Jean-Pierre Françon est au sommet de sa carrière. Celui-ci déménagera une dernière fois pour élire domicile à Lentilly où il décédera en 1851. À sa mort, Jean-Pierre Françon « appartenait aux 5 % des Français les plus riches »Ibid page 117. Peu à peu au cours de sa vie il avait pu faire de nombreuses acquisitions lui permettant de laisser une succession de 26 180 francs. Comme l’affirme Olivier Faure « sa fortune s’établissait aux frontières de l’aisance de la richesse »Ibid, page 119.
Cet héritage et le prestige qu’il acquit au cours de sa vie lui permirent d’offrir une bonne éducation à ses enfants, tout du moins à ses garçons. L’aîné, François Auguste, fit des études de médecine et s’installa dans la région parisienne. Le cadet, Jean, devint soldat puis fut employé des chemins de fer. La sœur aînée en revanche ne bénéficia pas des mêmes largesses de son père. Claudine Marie épousa à Lentilly un certain Jean-Claude Joly. Le mariage fut fertile mais la situation économique ne cessa de se dégrader. N’ayant jamais quitté la région, Claudine Marie décédera en 1891.
Les dernières pages l’ouvrage servent de conclusion à Olivier Faure. Celui-ci revient en quelques mots sur le parcours très atypique de Jean-Pierre Françon qui fut en permanence à cheval entre deux mondes. Bien plus que médecins, Françon fut un « petit entrepreneur de santé »Ibid page 129 qui sut à la fois embrasser les règles du commerce moderne tout en préservant les règles morales qui régissent le commerce sous l’Ancien Régime. Le parcours de Jean-Pierre Françon est donc celui d’un homme qui eut recourt à ce qu’Olivier Faure qualifie « d’hardiesse sociale »Ibid page 131.
Les 45 dernières pages de l’ouvrage sont consacrées à un dossier comportant l’ensemble des annexes et des archives qui évoquent la vie et le parcours de Jean-Pierre Françon et qu’Olivier Faure a pu glaner et étudier dans les archives de Lyon.
S’inscrivant en plein dans les recherches pinagotiques, l’ouvrage d’Olivier Faure est une lecture captivante de par le style de même de l’auteur très agréable à lire mais aussi par sa capacité, à travers la vie de cet officier de santé atypique, de nous faire percevoir la vie sociale économique et politique d’un canton rural de la banlieue lyonnaise de la seconde moitié du XIXe siècle et par la même de la France.