Si le terme de populisme est mentionné pour la première fois en 1870, il a connu ces dernières années un grand succès. Cette visibilité du terme conduit à s’interroger sur ses fondements, la pertinence de son utilisation et ses déclinaisons. L’ouvrage écrit par Humberto Cucchetti, chercheur au Conseil national de recherches scientifiques et techniques de l’Argentine, Alexandre Dézé et Emmanuelle Reungoat, chercheurs au CEPEL, s’attaque donc à cette question.
Un thème d’actualité
En 2019, un « Dictionnaire des populismes » de plus de 1200 pages est paru, ce qui montre l’actualité de ce thème et le besoin de le définir. L’ouvrage des éditions du Cavalier bleu aborde la question sous quatre angles, nourris à chaque fois de quatre entrées. Comme le veut cette collection, chaque article commence par une affirmation qui va être discutée, accompagnée d’une citation qui prouve son importance. Le livre contient une rubrique finale « Pour aller plus loin », sorte de guide dans une bibliographie abondante.
Qu’est-ce que le populisme ?
Le besoin de cerner le populisme est réel car depuis les années 1980 le terme a été utilisé à tout propos et pour s’appliquer à des situations très différentes. Les chercheurs ne sont pas toujours d’accord entre eux comme le montre la façon de considérer, par exemple, un parti comme la Ligue du Nord. Cette difficulté s’explique notamment par le fait que ce thème est travaillé par des logiques concurrentielles entre de nombreuses disciplines. On peut repérer des caractéristiques, mais ce qui domine encore trop souvent c’est un discours d’exceptionnalité du phénomène qui empêche tout rapprochement entre les chercheurs.
Si l’on essaye de dater les débuts du populisme, on a parfois des ouvrages qui font remonter le phénomène jusqu’à la Rome antique. Autrement, on insiste sur le caractère récent… tout en sachant que cela fait maintenant quarante ans qu’on tient ce genre de discours. On peut au final s’interroger sur la pertinence de la notion de populisme et les auteurs soulignent que, parfois, son utilisation relève d’une « certaine forme de paresse intellectuelle ».
Le populisme comme phénomène politique
Le livre considère que le péronisme, dans sa première phase entre 1945 et 1955, est considéré comme offrant « l’une des illustrations les plus exemplaires de manifestation populiste par le haut ». Pierre-André Taguieff a établi huit traits caractéristiques, parmi lesquels le lien direct entre chef charismatique et masses d’adhérents ou encore l’existence d’une stratégie partisane interclassiste. L’article suivant se questionne pour savoir si le populisme est d’extrême-droite. Ces partis se sont vus affublés de cette étiquette alors que leur organisation, leur sociologie n’ont pas évolué au point de justifier un changement de taxonomie. Ensuite, les auteurs se penchent sur le fait de savoir si le populisme de gauche constitue une nouvelle alternative politique.
Populisme et démocratie
Le populisme est souvent montré comme contraire à un système démocratique. Deux conceptions s’affrontent : la première postule la capacité humaine à transformer le monde et privilégie le pouvoir du peuple dans la gestion de la vie collective. A l’inverse, une autre vision se méfie du pouvoir du peuple et conduit à le canaliser par des institutions. Il faut ensuite s’interroger sur les relations entre médias et populisme. Plusieurs phases peuvent être distinguées. Les années 1980 sont le temps du « télépopulisme » avec Silvio Berlusconi. Le deuxième temps correspond à l’émergence de partis qualifiés de populistes comme le FN en France.
La troisième phase coïncide avec le développement des nouvelles technologies de l’information. Les auteurs s’interrogent ensuite pour savoir si les populistes défendent le peuple car parfois celui-ci est vu comme une communauté homogène, ce qu’il est loin d’être. On a eu parfois tendance enfin à considérer le populisme comme le symptôme d’une crise de la représentation politique. Cependant, le regard historique invalide cette relation simple de cause à effet et invite plutôt à le faire remonter plus loin dans le temps.
Les formes du populisme
Le terme de populisme continue de connaitre de multiples déclinaisons comme le montre le concept de « populisme liquide » proposé par le sociologue Richard Lioger et repris par les médias. Le paradoxe, c’est qu’il n’y a pas vraiment de définition claire. Le populisme serait changeant, d’où ce terme de liquide. Les années 1930 sont aussi convoquées en miroir pour cerner quelques caractéristiques du populisme actuel. Le moins que l’on puisse dire c’est que les auteurs de cet ouvrage semblent assez peu gouter ce concept. Parmi les autres points de discussion, il y a celui de savoir si on peut considérer que l’eurosceptiscime est un populisme. Les problèmes méthodologiques semblent exclure une telle affirmation. Le terme est ensuite décliné à la question des gilets jaunes.
En conclusion, les trois auteurs soulignent les points suivants : le terme n’a jamais été autant utilisé et n’a jamais autant suscité de confusions. A force de l’employer, on le vide de sa substance. On peut s’interroger sur l’utilisation d’un même terme pour l’extrême droite ou l’extrême gauche. Ils pointent également l’influence intellectuelle de certains chercheurs qui ont imposé le terme et, à travers lui, leur expertise. « Le populisme fonctionne ainsi désormais comme un principe d’analyse à lui tout seul ce qui en retour présente un avantage pratique : celui, en général, d’économiser l’analyse. »
Jean-Pierre Costille