Dans l’Antiquité, Pergame (actuelle Bergama en Turquie) figure au rang des plus importantes cités d’Asie Mineure. Sa parure monumentale lui vaut une grande renommée tandis qu’un temple d’Asklépios et une vaste bibliothèque en font un centre culturel et religieux de premier ordre. Des personnalités éminentes sont liées à la ville (Aelius Aristide, Galien …). Fait singulier, la cité est léguée à Rome par testament à la mort du roi Attale III (133 av. J.-C.).
C’est aux transformations consécutives à l’intégration dans le monde romain que s’intéresse l’ouvrage, en se focalisant en particulier sur le comportement des élites, qui selon l’auteur forment un groupe différencié des notables par une distinction accordée par le pouvoir romain, lui constituant une position sociale supérieure.
Sur une période allant de la mort d’Attale III au règne de Dioclétien (284-305), l’auteur s’interroge sur la persistance ou non des traditions royales, sur les caractéristiques des élites, leur hiérarchisation, sur les relations entretenues avec Rome et sur les modalités d’intégration dans le monde romain. Ce questionnement prend largement appui sur des sources épigraphiques. Environ 4000 inscriptions connues concernent la cité.
L’émergence des élites
La mort d’Attale III bouleverse profondément l’organisation politique de la cité à double titre. Elle introduit un nouveau rapport avec Rome tandis que le pouvoir monarchique s’efface au profit d’un système politique qui laisse davantage de place aux notables. Des institutions sont créées ou se transforment comme on peut le voir avec le bouleutérion qui devient une sorte d’organe de médiation entre le pouvoir local et Rome.
La prise en charge de fonctions ou de pouvoirs autrefois dévolus au monarque rend les élites davantage visibles dans l’espace public et facilite d’autant leur connaissance pour les historiens.
L’auteur souligne une particularité de l’origine de ces notables qui tient à la présence des Galates dans la région depuis le IIIe siècle av. J.-C. Si ces peuples venus de Gaule ont longtemps représenté une menace, on peut constater qu’il y a eu des alliances matrimoniales au sein d’éminentes familles de la cité à partir du Ier siècle av. J.-C.
Les élites dans la cité
Les magistratures et personnalités connues par les inscriptions permettent à l’auteur de dresser un portrait de la cité. Il semble que Pergame se distingue du reste du monde hellénisé par le poids de ses stratèges tandis que la prytanie éponyme, prestigieuse mais extrêmement onéreuse, octroie peu de pouvoir. Toutes les fonctions importantes tendent à se concentrer entre les mains d’un petit nombre de notables qui s’occupent aussi du culte impérial dont Pergame devient une capitale provinciale. Le poids de Rome est important dans ces évolutions puisque les lois imposées aux provinces semblent renforcer le caractère oligarchique du pouvoir au détriment du peuple.
Les pratiques évergétiques reflètent également cette mainmise des élites. Contrairement à Ephèse par exemple, les affranchis n’apparaissent pas dans les inscriptions ce qui semblerait donner un caractère plus conservateur aux grandes familles de Pergame.
Les élites se définissent largement par leurs rapports avec le pouvoir romain. Une ambassade couronnée de succès auprès de Rome peut valoir à son auteur un immense prestige et des inscriptions honorifiques dans l’espace public de la cité.
Des Romains sont également honorés par des inscriptions, des titres ou des jeux exceptionnels qui sont autant de moyens pour entretenir de bonnes relations et obtenir une situation plus favorable.
L’intégration des élites dans le monde romain
A la mort d’Attale III, une révolte menée par Aristonikos semble témoigner du rejet de la tutelle romaine. Cependant, Pergame est progressivement intégrée et devient capitale de la province d’Asie. Quand éclate la guerre entre Rome et Mithridate VI (88 av. J.-C.), la cité se range néanmoins derrière le roi du Pont comme de nombreuses communautés d’Asie. Elle y perd ses privilèges, récupérés lorsque l’un des siens rallie le camp de Jules César pendant les guerres civiles.
L’intégration des élites est progressive. L’auteur montre que la cité compte très peu de citoyens romains au Ier siècle av. J.-C. alors que les élites ont largement intégré ce groupe sous les Flaviens. Vers 70, un pergaménien accède pour la première fois au Sénat. Après lui certains atteignent des positions exceptionnelles.
L’ouvrage permet d’enrichir notre connaissance des cités d’Asie et de mieux cerner les transformations liées à l’intégration dans le monde romain. Si l’on peut noter une adaptation aux nouvelles conditions politiques, on perçoit que le référent culturel des élites de Pergame reste profondément lié au modèle grec tandis que persistent des dynamiques purement locales.