Bien qu’ils soient passés de mode et touchent un public plus limité que dans les années 1970, les travaux d’historiens, de sociologues ou de politistes sur l’engagement, les luttes sociales ou les mouvements collectifs ne manquent pas ces dernières années. Les cinquante ans des  « événements de mai-juin 68 » devraient voir éclore les livres de souvenirs d’acteurs, plus ou moins intéressants, mais aussi des ouvrages savants plus rigoureux permettant de mieux comprendre cette explosion sociale. Tel est le cas de ce livre qui, derrière son titre provocateur et drôle, pose la question de la place des femmes dans les courants contestataires des années 1968. Le sous-titre donné par ces historiennes, qui dirigent ce travail collectif, est plus explicite : « Le genre de l’engagement dans les années 1968 ».

Ludivine Bantigny, maîtresse de conférences à Rouen, travaille sur la jeunesse, l’engagement et a notamment publié : Le plus bel âge ? Jeunes et jeunesse en France des « Trente glorieuses » à la guerre d’Algérie (Fayard, 2007). Fanny Bugnon, maîtresse de conférences à Rennes 2, a publié : Les « Amazones de la terreur : sur la violence politique des femmes, de la Fraction armée rouge à Action directe (Paris, Payot, 2015) et Fanny Gallot (Paris-est-Créteil) est l’auteure de En découdre. Comment les ouvrières ont révolutionné le travail et la société (La Découverte, 2015). Les articles de ce recueil, relativement courts, c’est la règle, (et qui ne seront pas tous présentés ici) permettent de se faire une idée de la vitalité de ce champ de la recherche de nos jours et donne des pistes pour approfondir si le cœur nous en dit.

Ce travail part de la constatation de l’invisibilisation  des femmes dans leurs rapports à l’engagement. « Invisibilité qu’il s’agit ici de briser » (p. 13). Nulle mythification cependant et sont aussi présentés le maintien des rôles de genre, l’instrumentalisation des femmes parfois et les difficultés rencontrées par celles qui veulent s’engager. Reste que ces « années 1968 » (expression adoptée par les historiens pour signifier les années 1960-1970 marquées par des contestations tous azimuts), voient le développement d’un courant féministe (de la 2ème vague) qui percutent les organisations syndicales, associatives et politiques les obligeant parfois à infléchir leurs discours et leurs pratiques.

Remercions les auteurs et auteures de ne pas s’être cantonnés à Paris ni même à la France. Caroline Rolland-Diamond (auteure d’un passionnant Black America. Une histoire des luttes pour l’égalité et la justice, La Découverte) étudie l’engagement des femmes noires américaines dans le combat pour l’égalité et la justice, dans les années 1960. Montrant leur participation et leur engagement ancien mais souvent oublié. Et oui, Rosa Parks était une militante expérimentée quand elle refusa de céder sa place dans un bus. L’Italie donne lieu à deux contributions dont l’une axée sur le mouvement syndical, deux autres portent sur l’Amérique latine, une sur le Mali et enfin une sur La Réunion.

Les articles centrés sur la France, par ailleurs, ne portent pas que sur le milieu estudiantin et sur Paris. Sont ainsi évoquées les luttes menées par de jeunes ouvrières à l’usine Chantelle dans la banlieue de Nantes, le combat syndical d’une femme, responsable CGT, dans des conditions particulières, dans les usines Simca de Poissy. Enfin, loin des publications contestataires, la façon dont les revues Elle et Marie-Claire « digèrent » le féminisme est analysée. Claire Blandin et Bibia Pavard évoquant à leur sujet un « féminisme d’opportunité », un « féminisme apprivoisé » (expressions qu’elles reprennent à d’autres auteurs p. 196).

Évidemment, les courants politiques et les mouvements sociaux soixante-huitards ne sont pas oubliés. Une partie porte ainsi sur « le genre des organisation ». Dans un chapitre sur « le travail femmes » d’un petit groupe d’extrême-gauche dans les entreprises, le combat pour la liberté de l’avortement et de la contraception est rappelé mais aussi la lutte contre le harcèlement sexuel au travail et dans la rue, dénoncés, dès 1978, dans le journal de ce courant politique (p. 120-121). Un article évoque la place des femmes dans le PSU (Parti socialiste unifié) lyonnais et un autre s’intéresse au mouvement dit par l’auteur « mao-spontex » (soit le groupe Vive la révolution, animé par Roland Castro). L’émergence de la militance gaie et lesbienne et son affirmation sur la scène publique au milieu des années 1970 en France est aussi présentée. Les auteures et auteurs présentent les courants féministes et les luttes des femmes avec empathie, on s‘en serait douté, et évoquent les difficultés des organisations à intégrer leurs revendications mais n’entendent pas participer à une entreprise de délégitimation, comme c’est parfois le cas, des courants dits soixante-huitards.

Ludivine Bantigny étudie, elle, le genre de l’événement et s’intéresse à la place des femmes au cours de ces journées. S’appuyant sur les travaux de Julie Pagis (Mai 68, un pavé dans leur histoire. Événements et socialisation politique, Presses de Science po, 1014), elle affirme que si l’affirmation du féminisme de la 2° vague est souvent placé au début des années 1970, les femmes qui ont participé à l’événement ont plus que les hommes le sentiment d’appartenir à une «  génération 1968 ». D’où un travail afin de revisiter l’événement. Certes les espaces sont genrés (dans de nombreuses entreprises occupées, les femmes ne restent pas la nuit) et les tâches différenciées. Cependant des prises de parole interviennent, les affrontements avec la police obligent à surmonter ses craintes, les premières et timides réflexions sur la sexualité sont amorcées…

Michelle Zancarini-Fournel conclut l’ouvrage en le replaçant dans les recherches récentes sur les années 1968, sur le genre et en proposant des pistes de réflexion pour des travaux à venir.
Au total, un ouvrage stimulant qu’il est possible de compléter, outre les livres cités dans ce compte-rendu, par celui dirigé par Olivier Fillieule et Patricia Roux, Le sexe du militantisme (Presses de Sciences po, 2009) ou ceux présentés dans la bibliographie (qui ne se limite pas au cas français).

Jean-Philippe Martin professeur d’histoire au lycée Jean Monnet, Montpellier.