Traduire un livre marquant en un projet graphique : tel est le pari de Peter Knapp. C’est avant tout un livre d’émotion. A la fin de l’ouvrage, une double page finale donne la référence du texte dans l’édition 1994 de Gallimard (une référence au poche n’aurait pas été inutile !). Ici, pas d’ordre chronologique, et des dimensions de l’ouvrage (241X313 mm) qui permettent une approche sensible confortable.

Jorge et Peter

Est-il encore nécessaire de présenter Jorge Semprun ? Cet écrivain, mort l’an dernier, a publié nombre de livres marquants sur l’expérience de la déportation dont « Le grand voyage », « Le mort qu’il faut et « L’écriture ou la vie » en 1994.
Peter Knapp est un artiste qui se définit lui même comme un « faiseur d’images ». Né en 1931, directeur artistique du magazine « Elle », il a révolutionné la photographie de mode dans les années 60-70. Parallèlement à cela, il a réalisé une œuvre personnelle dans le domaine de la peinture et de la photographie. Pour lui, Semprun a composé une « œuvre d’art ».

Une rencontre, un projet

Dans une rapide introduction, Peter Knapp explique le projet de ce livre. Avec Jorge Semprun ils se connaissaient et s’étaient rencontrés autour d’une exposition Giacometti. Et puis, en 1996, Peter Knapp lit L’Ecriture ou la vie : « je suis touché par son combat pour reconstruire sa vie grâce à l’écriture… Jorge Semprun a laissé des mots en allemand dans le texte et ces mots  » sont devenus ma motivation pour visualiser en aquarelles et en dessins ». En 2010, il choisit en compagnie de Jorge Semprun des extraits de texte. Mais l’ancien étudiant d’Henri IV est mort avant donc d’avoir vu le projet totalement achevé.

Des aquarelles pour dire l’horreur ?

Peter Knapp, marqué par le récit de Semprun, a donc choisi d’en illustrer des extraits. Une cinquantaine d’aquarelles accompagne donc des parties de texte de longueur variable. La mise en page est libre, mêlant parfois le dessin à l’image, ou réservant à chacun sa place parfois. Dans les aquarelles, on reconnaît des formes avec une impression de projection sur le papier. Les aquarelles ne sont ni abstraites, ni figuratives. Elles donnent l’impression de douleur par l’étalement. Dans certaines, on semble lire une traduction du texte qui l’accompagne, mais sans jamais être dans la restitution pure et simple. De façon totalement subjective on peut signaler les pages concernant la mort de Maurice Halbwachs (page 27-28 du livre) ou celle sur le début du livre de Jorge Semprun (page 13).

Un texte qui devient poèmes

N’étant pas spécialiste ni de l’œuvre de Peter Knapp, ni d’art, on peut juste relever une impression à savoir que les extractions de texte de Jorge Semprun lui donnent encore plus de relief. Elles acquièrent la force de poèmes :  » L’ineffable dont on nous rebattra les oreilles n’est qu’alibi. Ou signe de paresse. On peut toujours tout dire, le langage contient tout. On peut dire l’amour le plus fou, la plus terrible cruauté. On peut nommer le mal, son goût de pavot, ses bonheurs délétères. On peut dire Dieu et ce n’est pas peu dire. On peut dire la rose et la rosée, l’espace d’un matin. On peut dire la tendresse, l’océan tutélaire de la bonté. On peut dire l’avenir, les poètes s’y aventurent les yeux fermés, la bouche fertile ».

Il s’agit donc d’une proposition graphique, forcément différente, de l’œuvre de Jorge Semprun. A chacun de voir s’il entre dans l’univers de Peter Knapp.

© Jean-Pierre Costille Clionautes