Jennifer Daniel raconte ici sa ville, celle où elle a grandi, et s’est inspiré en partie de l’histoire de son grand-père pour mettre en image cette enquête policière.Le titre original est Das Gutachten

Après une nuit peuplée de cauchemars, Karl Martin se prépare, comme tous les matins, pour aller travailler à l’Institut médico-légal de l’université de Bonn.

A l’autre bout de la ville, Miriam est une jeune maman un peu débordée, qui retrouve ses amis à l’université, où des groupes militent pour la libération des prisonniers politiques de la R.A.F.

1977, Allemagne de l’Ouest – Bonn

Dans le contexte de la Guerre Froide (à peine évoqué ici), la capitale de la RFA semble plutôt paisible mais ses habitants cachent leurs tourments  et le soir de la fête de la chancellerie, tout peut très vite déraper…

La fête de la chancellerie à Bonn a bien eu lieu en juillet 1977, quelques semaines après l’incarcération à perpétuité des membres restant de la « Rote Armee Fraktion ». Une série d’attaques aura ensuite lieu pour les libérer durant l’épisode intitulé « automne allemand ». Fondée dix ans plus tôt notamment par Andreas Baader, la R.A.F. s’est distinguée d’autres groupuscules de l’année 1968 par des actions particulièrement violentes (explosions dans de grands magasins, attaques de banques, attentats sur des bâtiments américains) ayant causé la mort de plus de trente personnes. L’année 1977 marque le tournant de cet épisode avec la mort de Baader et des derniers meneurs (la thèse officielle est celle du suicide en prison).

Ces événements apparaissent toutefois en pointillés dans l’album, la figure centrale restant Karl Martin, qui se débat avec ses traumatismes de soldat durant la Seconde Guerre mondiale et sa conscience. Sa quête de la vérité va se heurter à de nombreux murs.

Le choix des couleurs – très vives et tranchées – et les personnages ne sont pas sans rappeler certains tableaux d’Otto Dix, notamment dans la partie de cartes du début de l’album (« Les Joueurs de skat« , O. Dix, 1920). Les souvenirs liés à la guerre changent de couleur : les véritables souvenirs de Karl apparaissent en noir et blanc, comme des instantanés tirés d’un livre d’histoire, quand ses cauchemars se teintent d’un rouge sanguinolent, le même rouge que celui de la petite salle où il développe ses photos à l’institut médico-légal. Des têtes de mort grimaçantes poursuivent Karl, y compris sur la couverture de l’album. Les dialogues sont brefs, parfois même absents sur certaines planches.

Ce petit aperçu de la vie d’un Allemand « ordinaire » de l’Ouest des années 70 est particulièrement réussi et la question de la culpabilité est évoquée ici à plusieurs niveaux : ce qu’a vécu Karl en 1944 en Normandie rejoint ce qu’il vit – ou croit vivre – en cet été 1977. L’album est une réussite mais demande pour la jeune génération à s’accompagner d’une lecture supplémentaire sur les années 70 en RFA et l’histoire de la désormais fameuse « Bande à Baader ».