On a pris l’habitude de lire la mention « d’après une histoire vraie » au début d’un film par exemple. Cette mention est là pour bien signifier au spectateur que ce qu’il va voir est vrai, tellement cela parait étonnant. Cette mention aurait tout à fait pu figurer comme bandeau de cette bande dessinée tant l’histoire contée est rocambolesque.

Une histoire incroyable

Un homme est enlevé par la Corée du Nord en 1978. Sa mission est de réaliser des films pour le compte de la dictature. Le scénario est signé Fabien Tillon et les dessins de Fréwé. Le premier est l’auteur de plusieurs scénarios dont «  Qui a cassé Enigma » en 2022 ou «  La route de l’acide » en 2020. Fréwé a déjà dessiné « Tassili : une femme libre au mésolithique » en 2022. A la fin, on trouve un rapide dossier documentaire sur cette étrange affaire.

Dans les brumes de Hong Kong

On suit d’abord Shin Sang, metteur en scène et producteur, qui est à la recherche de son ex-femme, l’actrice Choi-Eun-hee. Il sillonne Hong-Kong où la jeune femme était arrivée sur la promesse d’un rôle avec un contrat juteux. Il met tout en œuvre pour la retrouver et il est alors lui-même enlevé.

Au nord du 38ème parallèle

Lorsque Shin Sang se réveille, il a basculé dans un autre monde puisqu’il est en Corée du Nord. Après quelques semaines, on commence à l’interroger sur ses positions politiques, sur la corruption en Corée du Sud, son pays d’origine. Autant dire que ses déclarations d’amour pour la démocratie ne sont pas du goût de ses hôtes. On continue à le travailler idéologiquement pendant plusieurs mois en lui diffusant des films nord-coréens. Il profite d’un moment d’inattention de ses geôliers pour s’enfuir mais est bien vite repris. Ses conditions de détention se durcissent mais, finalement, après un simulacre d’exécution, il retrouve son ex-femme et est présenté au futur leader Kim Jong-Il. Rappelons que c’est son père Kim Il-Sung qui est au pouvoir jusqu’en 1994.

Sous l’œil de Pyongyang

Le futur dictateur lui déclare son admiration. Shin Sang est nommé, d’un seul coup, conseiller national pour le cinéma. Kim Jong-Il lui fixe un cap, à savoir que le cinéma serve sa gloire, même si tout cela est finalement un mirage. Ayant retrouvé son ex- femme, Shin Sang vit avec elle dans un très bel endroit… infesté de micros ! Méfiants, ils s’en aperçoivent rapidement. Les deux transfuges expliquent qu’ils étaient des prisonniers invraisemblables car tout le mode devait leur obéir. Dès leur premier film, ils desserrent les contraintes qui pèsent sur eux en introduisant beaucoup de mouvements alors que cela était officiellement interdit. Ils réalisent sept films en trois ans. Shin Sang tisse une relation particulière avec le dictateur. Celui-ci le reçoit et lui montre son incroyable vidéothèque. Ils passent du temps à discuter ensemble de cinéma.

Le monstre mangeur de métal

Kim Il-Sung s’est entiché d’une vieille légende coréenne au sujet d’un géant métallique, dévoreur de fer, Pulgasari. C’est l’histoire d’un roi qui opprimait son peuple à l’époque féodale. Le dragon se met au service des opprimés et chasse le tyran. Il dévore alors tout ce qui est en métal y compris les outils de ses amis paysans. L’intervention de la fille du forgeron permet un happy end. Shin Sang se consacre à ce projet durant toute l’année 1985. Cela lui permet, ainsi qu’à son ex-épouse, de voyager, d’être invités en Europe. Avec l’aide des États-Unis, ils profitent d’une balade dans le parc du Prater pour s’enfuir et quitter définitivement la prison dorée qui leur était faite en Corée du Nord.

Le cinéma et les dictateurs

Dans ce dossier de quelques pages, Fabien Tillon invite le lecteur à considérer autrement les images qui viennent de Corée du Nord. Ainsi, lorsqu’en novembre 2022 le pays exhibe son missile nucléaire, il invite à bien se rendre compte des effets de mise en scène.

Montrer un tel engin ne relève pas de l’information mais de l’entertainment. Il déplore que cela soit relayé sans aucune distance en Occident. Sachez par ailleurs que Shing Sang a raconté lui-même son incroyable histoire. Il y a enfin un rapide entretien avec Julien Sévéon, spécialiste des cinématographies asiatiques. Shing Sang a réalisé un certain nombre de films après son évasion de Corée du Nord mais ce furent plutôt des flops. On peut aussi se demander si le régime a enlevé ou fait travailler d’autres cinéastes ou acteurs.

En plus d’être un bel objet, cette bande dessinée entraine le lecteur à la fois dans les relations internationales et dans le monde du cinéma, avec une histoire qui montre, une fois de plus, que la réalité peut dépasser la fiction. Un grand plaisir de lecture et de découverte d’un aspect très peu connu.