Catherine Coquery-Vidrovitch propose un petit précis d’histoire de l’Afrique qui met l’accent sur les acquis récents de la recherche tout en offrant une vision globale d’une histoire longtemps ignorée. Devant l’ampleur de la tâche l’auteur a choisi une entrée thématique. Ce que certains pourront qualifier de survol présente un grand intérêt pour le non-initié et propose des pistes d’approfondissement grâce à des renvois bibliographiques sélectionnés et judicieux.
Catherine Coquery-Vidrovitch, longtemps professeur à l’Université Paris 7-Denis-Diderot et spécialiste d’histoire de l’Afrique, rappelle quelques données qui explique le long silence de l’Europe sur l’histoire de l’Afrique depuis le XVIIIème s. dans un contexte « racialiste » de perception « scientifique » du principe des races énoncé par Buffon puis au XXème s. raciste et de justification de la colonisation.
Un petit tour du côté des sources disponibles montre à la fois leur ancienneté et leur variété: des traces écrites grecques d’Hérodote à l’ethnobotanique ou à la linguistique très utiles pour l’Afrique centrale, des textes arabes d’Al Masudi aux sources orales; mais aussi le non-homogénéité du continent même s’il est concerné par des phénomènes généraux comme la traite, la colonisation ou la décolonisation.
Les origines
De Lucy à Toumaï l’auteur rappelle la naissance de l’humanité en Afrique et les progrès récents de la quête des origines: des hypothèses climato-géologiques d’Yves Coppens sur l’évolution humaine aux fouilles de Blombos (Afrique du Sud) qui offrent à la fois des pierres taillées et des objets raffinés non indispensables à la survie.
L’environnement et les peuples
Après un rappel des caractéristiques majeures du relief, l’accent est mis sur l’existence très tôt d’échanges inter-régionaux (sel, fer, or) qui ont sans doute contribué à la diffusion de fléaux sanitaires tant humains qu’animaux qui malgré des progrès, hélas récents, de l’hygiène et de la médecine restent d’actualités: fièvre jaune, paludisme ou plus actuel VIH-Sida.
Les climats variés ont influencé durablement les modes de vie, transformés de longue date par le colonisateur: importance du manioc ou du maïs en remplacement du sorgho ou du mil. Enfin la fragilité des sols, respectés par les longues jachères a été mise à mal par les cultures de rente puis une population à nourrir toujours plus nombreuse.
Après un essai de parallèle entre pluviométrie et démographie le chapitre se termine sur la réfutation du concept d’ethnie par le découpage linguistique du continent, l’existence de systèmes politiques antérieurs à la colonisation de taille variable: de la chefferie à l’empire et montre la fossilisation des découpages humains par le colonisateur avec les conséquences que l’on voit aujourd’hui du Rwanda à la Côte d’Ivoire. On pourrait citer bien d’autres exemples.
L’évolution des structures sociales
C’est une tentative pour répondre à la question du développement tardif d’un continent pourtant riche de matières premières comme d’hommes.
Une étude des facteurs internes et externes et de leurs combinaisons semble seule capable de répondre à cette question.
L’Afrique connut longtemps une agriculture de subsistance adaptée aux milieux qui n’a guère incité aux modifications techniques ou organisationnelles: pas d’appropriation d’un sol que chacun peut travailler à la daba (houe) au sein du groupe où le « chef des terres » a un rôle souvent religieux. C’est la colonisation qui va rompre ce système; peut-être pourrait-on utiliser le pluriel; en introduisant une économie marchande et donc l’appropriation des sols.
En rupture avec l’image souvent véhiculée d’un communisme primitif, les sociétés africaines ont toujours été inégalitaires: lignagières, souvent en Afrique centrale ou aristocratiques en zone sahélienne. L’auteur rappelle l’existence de castes, on pourrait contester le terme, et d’esclavage, elle insiste aussi sur le rôle des femmes dans des sociétés qui reposent sur une distribution sexuelle des tâches et fait une place à quelques remarques sur la polygamie.
On regrettera cette description trop générale pour correspondre vraiment aux réalités régionales ou locales même si elle est atténuée par quelques brefs exemples en fin de chapitre.
L’Afrique au sud du Sahara dans l’histoire de la mondialisation
C’est un continent au carrefour de trois mondes, de tris temps de l’histoire:
- monde méditerranéen afro-asiatique
- monde de l’océan indien en plein essor du Vème au XVème s.
- monde atlantique depuis la fin du XVème s.
Catherine Coquery-Vidrovitch propose d’écrire une histoire afro-centrée:
- L’Or qui jusqu’à la découverte de l’Amérique vient du Soudan et transite par le monde byzantin et musulman fit la force des empires du Ghana, du Mali ou Songhaï comme en témoigne les auteurs arabes comme Al-bakri. C’est l’occasion de rendre hommage aux travaux novateurs en leur temps de Maurice Lombard et de décrire une histoire africaine du commerce médiéval de l’or.
- La main-d’œuvre constitue la seconde richesse, exportée et qui rendit possible l’essor du monde inter-tropical américain.
- Les matières premières convoitées par les colonisateurs du XIXème siècle.
Les grandes étapes de l’histoire africaine jusqu’au XVIème s.
Reprenant un plan plus chronologique , le propos de l’auteur n’est pas de retracer les évènements mais plutôt de mettre en lumière des moments ou des thèses peu ou pas connues comme celle du Sénégalais Cheik Anta Diop sur les pharaons noirs, la période de Méroé, l’émergence d’une culture métissée swahilie et les conquêtes côtières romaines aux dépens de Carthage puis arabo-musulmanes. Ce fut le long d’une rupture entre le Nord du continent et l’au-delà du Sahara. Le contact fut rétabli dès la fin du VIIIème s. quand les musulmans atteignirent les rives du fleuve Niger, participèrent au développement de Tombouctou ou Djenné. Une carte permet de visualiser les influences et les grandes routes commerciales.
Si les auteurs musulmans nous renseignent sur les régions converties, pour le centre du continent les sources sont plus rares et les fouilles archéologiques insuffisamment développées. Un petit tour en Afrique orientale permet une découverte de l’histoire du Zimbawe, du Monomotopa comme le nommèrent les Portugais, des empires Luba et Lunda qui ne peut que donner envie d’en savoir plus.
L’esclavage africain
Commode condensé d’une question désormais bien connue, ce chapitre parcourt les origines, les formes de la traite, l’économie de plantation, le code noir et les luttes antiesclavagistes. Il se termine sur un essai de bilan démographique pour le continent. Peu de références bibliographiques sur ce thème permettraient d’aller plus loin.
L’indépendance africaine au XIXè siècle
Il faut en effet rappeler que jusqu’au dernier tiers du XIXème s. l’Afrique connaît un grand nombre d’états indépendants dont les chefs (souverains, chefs…) ont pu jouer un rôle ambigu dans la traite négrière (royaume d’Abomey, roi Ghezo). C’est aussi un période de conflits notamment dans le grand Sahel (Sokoto, El Hadj Omar, Samori) à connotation souvent religieuse et marquée par le contact avec les Européens. L’auteur présente ensuite son analyse de la question de l’esclavage en Afrique de l’Est avec l’exemple du Zimbabwe.
L’ère coloniale et les transformations sociales de longue durée
Après la présentation du cas particulier de l’Afrique du Sud, Catherine Coquery-Vidrovitch montre comment les Britanniques ont développé leur influence politique et religieuse dans le cadre de la libération des esclaves pris sur les bateaux négriers arraisonnés.
On retrouve ensuite la trilogie: exploration scientifique (Livingstone), volonté missionnaire et développement du commerce dans l’explication des rivalités coloniales de la fin du siècle. Un paragraphe est consacré à l’incontournable Conférence de Berlin avant un tableau sur les réalités coloniales entre 1885 et 1930: organisation administrative, exploitation commerciale sans omettre les moments les plus noirs : la prédation, pour reprendre les mots de l’auteur, de l’économie de traite (latex ou ivoire) ou l’expédition Voulet-Chanoine au Tchad. Des faits qui expliquent aisément les mouvements de révolte, souvent mal connus, de même que les sanglantes répressions qui sont, pour l’auteur, à mettre en relation avec la conversion vers les religions nouvelles, refuge d’une société désemparée.
La seconde phase de la colonisation voit la naissance d’une économie plus moderne avec une implication plus grande des États dans des politiques d’investissement ainsi qu’une politique de développement de la scolarisation qui a permis dans l’empire français comme anglais l’émergence d’une classe moyenne éduquée qui va former les cadres de la vie syndicale et politique naissante.
Face à la question du bilan de la colonisation Catherine Coquery-Vidrovitch défend un point de vue de neutralité scientifique, pour elle il n’est question ni de morale ni de politique mais d’Histoire, propos qu’elle met en scène à propos de la politique sanitaire.
Décolonisation et Indépendance
Voilà un chapitre un peu décousu dans son organisation, il ne s’agit pas de retracer l’histoire de la décolonisation mais plutôt de caractériser la période de la fin du XXème s. On y rencontre des États-Nations nés de l’époque coloniale qui perdurent comme cadre de vie de trois générations, une même histoire en quelque sorte, fut-elle difficile, l’idée est développée à l’aide de l’exemple de l’Afrique du Sud.
Après quelques références incontournables à Nkrumah, au discours de Brazzaville, aux quatre communes du Sénégal et l’échec des idées de fédération, Catherine Coquery-Vidrovitch montre que la chute du mur de Berlin a eu pour conséquence sur le continent le développement du marché des armes.
Trois phases découpent les derniers 50 ans:
- la période néocoloniale: tribalisme et régimes présidentiels aux antipodes de l’idéal démocratique, construction dans l’urgence et artificielle des États-Nations.
- 1968-1980: la revendication d’une africanisation des cadres par une jeunesse nombreuse et mieux formée, d’abord rejetée par les pouvoirs en place et rendue, ensuite, plus difficile par la récession suite au choc pétrolier (Sénégal, Côte d’Ivoire).
- depuis la chute du mur de Berlin: le temps des populations urbaines plus nombreuses et des politiques d’ajustement structurel du FMI et de la Banque Mondiale; de timides et fragiles progrès démocratiques mais la naissance de mouvements d’opposition
Les femmes sont présentées comme l’avenir de l’Afrique, c’est aussi le titre d’un des ouvrages de Catherine Coquery-Vidrovitch paru en 1994. Elles sont porteuses d’un afro-optimisme: capacité d’innovation, volontarisme, ces deux caractères sont évidents pour qui connaît un peu l’Afrique au sud du Sahara, même si elles sont encore souvent analphabètes elles jouent un rôle économique majeur. Et il existe aujourd’hui des femmes diplômées, de véritables leaders d’opinion ayant une visibilité internationale comme Aminata Traoré au Mali, Ellen Johnson -Sirleaf présidente du Liberia ou L. Muthoni Wanyeki au Kenya.
Il faut enfin parler des villes qui connaissent un développement rapide tout comme le secteur informel. Des villes qui paraissent désordonnées mais où doit se construire avec les habitants un un urbanisme africain, lieu du changement social, de la médiation et du pouvoir. L’auteur propose ici une réflexion intéressante mais hélas trop brève.
En conclusion
Catherine Coquery-Vidrovitch réfute l’idée que l’Afrique serait une périphérie du monde, croit en un avenir pour ce continent doté d’une population créative. Elle rappelle aussi ce qu’est le métier d’historien: comprendre et non juger.
Un petit livre stimulant pour qui souhaite comprendre les Africains d’aujourd’hui.
© Christiane Peyronnard