Sortie de 2 DVD sur le maréchal Pétain à l’occasion du soixante-dixième anniversaire des événements de 1940
Indexée sur le calendrier commémoratif de la déroute de 1940, la production documentaire historique a fait de Philippe Pétain un des hommes de l’année 2010. En témoigne l’édition presque concomitante de deux DVD consacrés à la biographie et la personnalité de cet acteur majeur de la France de la première moitié du XXe siècle. Récemment diffusés à la télévision, ces deux documentaires aux factures très dissemblables par leur méthode et leur construction (l’autre est signé par Serge de Sampigny : voir http://www.clio-cr.clionautes.org/spip.php?article3278) proposent des angles d’approche sensiblement différenciés de l’itinéraire du Sauveur de Verdun devenu le dirigeant suprême du régime de Vichy.

Un DVD de référence

Aussi accessible que complet, le long DVD réalisé par Paule Muxel et Bertrand de Solliers est un parfait exemple de vulgarisation exigeante, apte à satisfaire aussi bien l’envie de découverte des néophytes que les besoins d’approfondissement des initiés. Le portrait qu’il compose sur «Philippe Pétain» est soigné, didactique et scrupuleux. Ce documentaire de conception traditionnelle est solidement balisé par la parole savante des universitaires, et impeccablement illustré par des films d’époque et des pièces d’archives extraites des papiers et de la correspondance personnelle de l’intéressé. Il en résulte un parcours minutieux chapitré en sept séquences chronologiques découpées avec pertinence.

Les commentaires d’une dizaine d’intervenants tissent la traversée de ce demi-siècle d’histoire personnelle et collective. La réflexion morale formulée par Robert Badinter est la seule à ne pas émaner d’un historien professionnel. Tous les autres commentateurs sont en effet des spécialistes renommés de la période. Les Français Stéphane Audoin-Rouzeau, Frédéric Guelton, Marc Ferro, Denis Peschanski et Henry Rousso, co-auteur du film, s’expriment avec clarté et précision. En contrepoint, des historiens étrangers apportent l’éclairage de leur regard décentré sur ces enjeux français dont la charge passionnelle est loin d’être désamorcée : les allemands Gerd Krumeich et Ulrich Herbert, le britannique Robert Gildea, et les américains Robert Paxton et Leonard Smith.

Du colonel au maréchal

Le portrait de Philippe Pétain qui résulte de leurs paroles croisées est solide et documenté. La dimension la plus nouvelle du propos réside sans doute dans l’affinement historiographique du Pétain soldat. Il met en évidence les racines personnelles du personnage, et le caractère à la fois ordinaire (en termes de trajectoire professionnelle) et spécifique (ses cours d’instructeur à l’École de Guerre sont remarqués pour leur liberté et leur originalité relative de pensée, que Stéphane Audoin-Rouzeau attribue au profil sociologique sans avenir de leur auteur) de sa carrière militaire avant 1914. Un voile est également levé sur le Pétain intime, amateur infatigable de jupons et de parties fines.

Sa montée en puissance durant la Grande Guerre et la spécificité de sa vision du conflit sont également remises en perspective. Son efficacité logistique à Verdun est indéniable sans être innovante. En revanche, Pétain est le seul chef militaire à ne pas croire à la subversion lors de la crise des mutineries de 1917, et en vient à bout par une action à la fois symbolique, thérapeutique et modérément répressive : il s’agirait d’une sorte de renégociation de la conduite de la guerre avec les citoyens-soldats. Sur le plan stratégique, il innove en mettant en oeuvre dans sa Directive N°4 le concept de défense en profondeur. Le pessimisme de son tempérament, souligné par nombre de ses pairs, est interprété comme du réalisme conceptuel par Audoin-Rouzeau. Enfin, on apprend que le futur “défaitiste” de juin 1940 fut le seul décideur allié à se déclarer hostile à l’armistice de novembre 1918 et à vouloir infliger le sentiment de la défaite à l’opinion germanique en menant l’offensive en territoire allemand. Il vit donc le 11 novembre avec l’angoisse de la victoire volée.

Le chemin de Vichy

La suite du parcours décrit suit des sentiers historiographiques désormais bien connus et solidement établis. Dernier survivant des maréchaux de la Grande Guerre, Pétain capitalise sur son nom le prestige de la victoire, tandis que sa longévité lui permet de se construire une image de grand-père bienveillant. Il parvient à perpétuer un rôle politico-militaire (aspect peu développé : on regrette que ne soit pas approfondie sa responsabilité dans la construction de l’armée de la défaite de 1940 – ou dans la déconstruction de l’armée de la victoire de 1918). Son adhésion aux conceptions autoritaires du pouvoir exécutif est replacée dans le consensus de pensée qui se répand au sein des milieux politiques au cours des années Trente : en ce sens, le “maréchal républicain” n’est donc pas nécessairement un imposteur pratiquant double langage et double jeu. En 1940, son rappel par Reynaud serait une méprise : l’homme politique croyait renforcer le parti de la guerre au sein du gouvernement en faisant appel au partisan de la fermeté de 1918, et se trouve confronté à un maréchal devenu un champion inattendu de l’armistice (mais très hostile en revanche, par corporatisme, à l’option de la capitulation militaire).

Le rôle du chef de l’État de Vichy, sa place dans la Collaboration, sa chute, son procès et sa captivité sont retracés avec une rigueur irréprochable qui n’ouvre guère d’angles inédits. Quelques éléments soulignent la vigueur et le charisme du vieillard, dont l’ambition politique personnelle se voile sous la sacralisation de sa personne orchestrée par la propagande du régime. La Révolution Nationale s’appuie sur une idéologie du rassemblement autour des valeurs morales traditionnelles. La politique de Collaboration initiée à Montoire (seul moment où le chef de l’état vichyste acquiert une notoriété en Allemagne) débouche sur la complicité active avec le judéocide, tandis que l’antisémitisme personnel d’ “homme du monde” entretenu par Pétain se transpose politiquement dans le statut des Juifs.

Un second documentaire

En complément, le DVD contient un documentaire antérieur des mêmes auteurs, dédié à «L’année dernière à Vichy». Film de la mémoire découpé en quatre chapitres thématiques, il donne la parole à des témoins d’époque, sur fond d’images de la cité thermale. Il s’agit d’inconnus ayant vécu dans la capitale temporaire de la France entre le sabordage de la IIIe République et la Libération. Par un choix de réalisation qui peut aussi bien universaliser que brouiller leur discours, aucun de ces témoins n’est identifié avant le générique final, même si par leurs propos on peut situer le profil de la plupart d’entre eux (enfants de parlementaires, réfugiés juifs, résistants, une couturière locale, etc.). Seul visage public, le volubile Michel Charasse apporte le point de vue d’un enfant du cru né pendant la guerre et frotté aux récits a posteriori de ses aînés. La méthode suivie et la proximité géographique situent clairement ce documentaire dans la filiation de son célèbre devancier Le Chagrin et la Pitié.

© Guillaume Lévêque