Le bel ouvrage de Daniel Arasse vient d’être réédité dans une version de plus grand format agrémenté des œuvres qu’il analyse et de leur détail qui en font le sujet même du tableau.
Cet historien de l’art (1944-2003), enseignant à Paris IV puis Paris I à l’EHESS et directeur de l’Institut français de Florence avait fondé un processus d’interprétation à partir du détail ou ici, de l’anomalie, de l’écart du peintre par rapport au sujet.
Je l’avais découvert bien tardivement, je le confesse, avec son ouvrage dont le titre « On n’y voit rien » (2000) est souvent le lamento qui émane de nos classes. Cet ouvrage offre des détails et pas simplement des Descriptions (sous titre) mais plutôt des « descryptions» qui attirent l’œil et aident de nombreux enseignants à faire apparaître un frémissement d’intérêt parmi nos chers têtes blondes. Ses explications sont des biais pédagogiques précieux.
Voir ce qui est dit sur l’espace pédagogique de l’Académie de Poitiers :

->http://ww2.ac-poitiers.fr/arts_app/spip.php?article408[/footnote

Pour vous donner envie de lire Daniel Arasse, que dire ? Que vous entrez dans un mécanisme de réflexion, dans une démonstration en partant d’un détail qui, après, vous apparaîtra central mais que vous aviez considéré comme secondaire au premier coup d’œil.
Dans son introduction méthodologique, Daniel Arasse explique sa démarche pour une iconographie analytique. « Tout peintre se peint » selon le principe qui caractérise la Renaissance du Quattrocento qui cesse de copier, d’imiter pour faire du semblable, et c’est dans cette différence entre imitation et ressemblance que naît la figure de l’artiste. Cette formule suppose une filiation inaliénable entre l’artiste et son œuvre, ce qui est un enjeu considérable perçu par les artistes mêmes de la Renaissance. Les différents tempéraments des artistes déterminent l’apparence des œuvres peintes, pas dans leur forme, ni dans leur construction ou leur apparence picturale mais par certains motifs choisis ou écartés. Daniel Arasse part donc de détails dans l’œuvre pour déterminer le sujet d’énonciation qui lui semble être la marque de la personnalité de l’auteur. Déjà Vasari montrait que l’acte de peintre est l’aboutissement éventuel d’un processus psychique, érudit, d’association ou d’opposition à des canons artistiques, livresques. L’iconographie analytique selon Daniel Arasse sert à démêler les enjeux qui sont à l’origine des correspondances, des oppositions, des associations d’idées et d’images. C’est par sa configuration intime, interne et externe (sa place dans une collection, dans un palais…), que l’œuvre manifeste sa singularité et l’artiste, la puissance du concept intérieur– concetto qui oriente la forme de l’objet extérieur qu’est sa création.

Ce livre regroupe sept études d’œuvres d’art de la Renaissance italienne: Le studiolo d’Urbino comme un autoportrait virtuel du duc Frederico de Montefeldre, la signification des différentes signatures de Mantegna et leur adaptation aux conditions historiques et de sociabilité de l’exposition de ses tableaux, l’excentricité de Pierro di Cosimo, ses talents bizarres, ses incongruités s’inscrivant en faux contre l’élégance « courtisane », contre les références néoplatoniciennes de ses contemporains, la place de Noé et sa dérision dans les mythologies du vénitien Giovanni Bellini, l’index et le code gestuel du Moïse de Michel Ange, l’unicum, l’anomalie étonnante de la scène de Vulcain, Mars et Vénus du Parmigianino qui fait douter qu’il s’agisse de Vulcain, l’autoportrait de Titien dans la trinité des visages de sa Prudence.

A la lecture des ces analyses, c’est tout un voyage commenté dans les ouvrages de Vasari, du songe de Poliphile, les textes néoplatoniciens que l’on entreprend, et le pouvoir des images se trouve renforcé par l’expression figurée de ces textes et de ces peintures.
A déguster avec délectation, joie et allégresse parce qu’il y a peu de guide aussi précieux que Daniel Arasse pour porter attention à l’opération de révélation de l’œuvre d’art.

© Pascale Mormiche