Dès le titre la couleur est annoncée : ce livre, bref (107 pages), est un plaidoyer pour une agriculture productive, l’agriculture moderne pour Michel Petit. L’auteur est un agronome devenu économiste, il est aujourd’hui, après avoir entre autres, exercé des fonctions de responsabilités à l’INRA, à la fondation Ford en Inde…, président du conseil scientifique de la FARM (fondation pour l’agriculture et la ruralité dans le monde). Pour cet ouvrage, il a collaboré avec Pascal Tillie, docteur en économie agricole, chercheur au centre d’études sur la mondialisation, les conflits, les territoires et les vulnérabilités.
L’auteur défend la modernisation, il le reconnaît et il concède que cela l’a influencé pour sélectionner les exemples qu’il étudie ou cite. Ce point de vue original et discordant, ce qui d’emblée lui confère un intérêt au livre, à l’heure où celle- ci est vivement remise en cause, dans nos sociétés notamment, vu ses conséquences négatives sur l’environnement et suspicions qui pèsent sur certains produits alimentaires depuis la perte de goût jusqu’à leur nocivité pour la santé.
Opinion discordante donc, mais aussi, peut-être nécessaire et réaliste étant donné que la croissance démographique, l’élévation des niveaux de vie génèrent des besoins croissants en produits agricoles et que la course aux terres cultivables est lancée.
Pour montrer le rôle important de la modernisation de l’agriculture pour le futur, l’auteur, dans un premier temps fait le bilan du rôle qu’elle a joué depuis les années cinquante soixante dix dans le monde. Il montre clairement que la production agricole s’est accrue, quels que soient les produits considérés et que ceci est le résultat de l’augmentation de la productivité, des rendements partout dans le monde même si des différences à l’échelle des continents importantes apparaissent et qu’elle a été supérieure à celle enregistrée par la population mondiale. M. Petit souligne au passage les « performances » de l’Afrique subsaharienne dont le rendement moyen agrégé a pratiquement doublé ces dernières années ce qui correspond à un rythme de croissance équivalent à celui des pays de l’OCDE !
Cependant, ces progrès indéniables, dus à l’usage de nouvelles pratiques agricoles essentiellement, entraînent une dégradation des ressources naturelles qu’il ne faut pas négliger de considérer car ils posent le problème de leur durabilité. L’auteur a choisi de pointer du doigt la dégradation des sols, la réduction de la biodiversité et l’épuisement des ressources en eaux, et les émissions de gaz à effet de serre générés par l’agriculture moderne mais il n’omet pas loin sans faut de souligner que sans la modernisation de cette activité le tableau pourrait être plus noir!Ainsi, sans l’intensification de l’agriculture et la hausse des rendements pour satisfaire la demande, il aurait fallu de toute évidence, défricher et exploiter des espaces fragiles plus encore qu’on ne l’a fait donc plus de terres seraient soumis à une érosion accrue, et à l’épuisement mais aussi, le milieu de vie des nombreuses espèces aurait été détruit (d’où une réduction de la biodiversité) et les gaz à effet de serre seraient plus importants encore …
Il est donc nécessaire de poursuivre la modernisation mais il faut aussi les risques pour l’environnement et de tenir compte des situations locales.
Dans le second chapitre l’auteur revient sur ce qu’il considère comme des succès vu son objectif initial, de la modernisation de l’agriculture dans des régions du monde diverses de par la superficie concernée, leur milieu naturel, leur société…: la modernisation de l’agriculture chinoise, l’expansion rapide du coton bt en Inde, le développement des «cerrados» au Brésil, la modernisation de l’agriculture en Afrique de l’ouest, le développement spectaculaire mais controversé des «cerrados» du Brésil et enfin le cas français. Les succès indéniables en terme de production et de rendements sont rappelés, expliqués dans leur contexte (nouveaux intrants, nouvelles pratiques agricoles mais aussi intervention des gouvernements…), mais ils interrogent quand à leur durabilité en Chine notamment, ou suscitent bien des controverses (exemple :le coton bt, coton OGM, n’est-il pas responsable de l’accroissement des suicides dans la population paysanne du sud de l’Inde qui l’emploie?…).
Le dernier chapitre est consacré aux trois grands débats qu’il resterait à clarifier : les OGM, les pesticides et le risque de la marginalisation économique et sociale des paysans pauvres.
Les premiers offrent un potentiel tel qu’ils ne pourraient être exclus des agricultures malgré le risque réel de contamination qu’il faut mieux connaître et endiguer, même si pour l’auteur ce n’est pas si grave, d’autant qu’ils se présentent aucun risque avéré pour la santé humaine. Les pesticides, eux sont efficaces mais dangereux et reconnus comme tel ils sont l’objet d’une législation internationale et certains sont interdits comme le DTT ( à bon escient? L’interdiction du DTT contribue à la relance du paludisme). Leur nocivité est aussi souvent liée à un mauvais usage auquel il faudrait remédier. Enfin, la modernisation engendrerait-elle la marginalisation économique et sociale des plus pauvres? Crainte ancienne, elle remonte au XIXe siècle, est contredite par l’exemple de la Chine et de l’Inde, par le fait que les experts reconnaissent la supériorité économique de la petite exploitation dans les pays en voie de développement vu le rationalisme économique dont font preuve leurs exploitants et a contrario par le processus d’accaparement des terres qui est déjà en cours. Processus qui s’accompagne de la création de vastes exploitations pratiquant une agriculture moderne mais qui se fait au détriment des petits paysans expropriés . Au cours de son propos, l’auteur souligne à maintes reprises l’importance dans la modernisation de l’agriculture et la gestion des risques qu’elle engendre sur le rôle qu’ont joué les pouvoir publics et celui qu’ils doivent jouer à l’avenir (mise en place de réformes structurelles, aides ou de subventions, la création d’institut de recherche, législation interdisant l’usage de pesticides ou des OGM…) et l’importance de la recherches, de la connaissance que celle ci soit confiée à des institutions publiques ou le fait de sociétés privées.
Pour conclure donc, il ne faut pas renoncer à la modernisation de l’agriculture car elle largement contribué au progrès humains ces dernières années. L’auteur nous rappelle tous les biens faits qui lui sont dus : alimentation plus abondante, moins coûteuse et accaparante dans le budget des ménages, mais aussi plus inattendu : le maintien de l’environnement (en limitant la déforestation…), alimentation plus saine et stabilité politique (cf. a contrario les « émeutes de la faim). Elle a aussi eu des conséquences négatives, elle implique des risques qu’il convient de gérer. Le défi vu la croissance démographique est donc de la poursuivre en préservant l’environnement et en y intégrant les petites exploitations familiales nombreuses dans les pays en voie de développement surtout.
A la fin du livre, une bibliographie riche (beaucoup de références sont en anglais) concernant les divers sujets abordés
Yveline Candas