Un drame en trois actes
La première partie couvre la soixantaine d’années qui sépare le début du siècle de la prise de Lyon par les réformés. Plus qu’une histoire de la montée en puissance du protestantisme dans Lyon, il s’agit d’abord d’un portrait de la ville dans un contexte d’essor démographique, économique et de bouillonnement culturel.
Le portrait de Lyon au 16ème siècle
Le médiéviste Jacques Rossiaud rappelle les conditions de la création d’un puissant carrefour marchand et bancaire à Lyon , l’établissement des quatre foires dont d’autres rappelleront plus tard le rôle dans la diffusion des idées. Mais il souligne également les limites de cette prospérité, attestées par la Grande Rebeyne de 1529: une émeute de subsistance. Malgré la présence de la misère, la population explose et le corps de la ville gagne en densité .
Elsa Kammerer, spécialiste de littérature de la Renaissance, définit ensuite l’ambiance culturelle et religieuse particulière de la première moitié du XVIème siècle à Lyon: une piété sensible se développe et cette dévotion veut s’appuyer sur un plaisir de la lecture d’autant plus renouvelé que les graveurs lyonnais excellent à illustrer les ouvrages qui donnent autant à voir qu’à lire des sources d’inspiration religieuse. Lyon devient un centre d’édition des bibles nouvelles, mais surtout de produits artistiques dérivés des textes sacrés: poésies ou gravures ainsi que le montre le beau chapître consacré à l’imprimeur Jean de Tournes. Cette section, qui met en valeur les influences italiennes et germaniques au travail à Lyon, donne surtout un bon aperçu des liens étroits, et féconds, entre esprit religieux et littérature dans la capitale des Gaules.
S’il n’y a pas de frontière entre les arts et la vigueur de l’esprit religieux de l’époque, les fractures religieuses qui touchent l’Europe et la France tardent à de distinguer nettement à Lyon; Yves Krumenacker montre toute la difficulté qu’il y a à séparer l’essor du protestantisme d’un faisceau d’évolutions culturelles qui n’y conduisent pas toutes. A Lyon, la critique du clergé est courante et l’attraction pour les nouvelles idées religieuses réelle; elle créé d’ailleurs un marché pour les éditeurs lyonnais qui publient des ouvrages hétérodoxes parfois autant par intérêt bien compris que par orientation personnelle. Mais avant les années 1550, on ne peut guère parler d’une communauté protestante bien établie et surtout clairement séparée des catholiques. Il faut pour cela, la multiplication d’actes ostentatoires, l’entrée en jeu de l’influence de Calvin, le durcissement de la persécution.
la montée en puissance de la réforme
Au début des années 1560, la communauté réformée est forte mais encore minoritaire; il faudra passer par la voie des armes pour prendre le contrôle de la ville. Après un essai infructueux en 1561, le coup de force d’avril 1562 et le renfort apporté par l’armée de François de Beaumont, baron des Adrets permet d’instaurer un pouvoir protestant.Douze consuls protestants dirigent la municipalité, mais le contrôle de la ville est également exercé par la Consistoire, à la mode de Genève. le culte catholique est interdit et le visage de la ville, occupée militairement, est transformée: les Eglises sont pillées (mais sous inventaire) et certaines détruites. Eulalie Sarles insiste sur l’aspect urbanistique de ces destructions: elles ne s’inscrivent pas seulement dans une volonté religieuse, mais dans un souci de rendre la ville plus pratique avec des voies plus larges et des places plus nettes.
De la victoire à la chute
Mais ce sont les catholiques qui achèveront le travail d’urbanisme: dès la paix d’Amboise (1563), le pouvoir protestant abandonne sa position de force à Lyon au profit de garanties plus générales dans le Royaume. La situation de coexistence des religions et de partage du pouvoir qui s’instaure à ce moment ne durera guère: dès 1567, il n’y a plus ni pasteur, ni temple, ni consul protestant dans Lyon; entre temps, le nombre de réformés avait spectaculairement chuté. Yves Krumenacker a déjà soulevé dans un chapître précédent la propre responsabilité des élites protestantes: se méfiant du peuple et soucieuses d’ordre, elle se sont coupées des petits artisans et des ouvriers comme ceux du livre qui avaient pourtant massivement adopté la Réforme.
Jean-Pierre Souriac montre également le rôle d’une reprise en main très efficace des catholiques: le Roi et les consuls catholiques éliminent rapidement les restes du pouvoir protestant, les jésuites, comme le père Auger, facilitent le basculement des âmes, par les prêches mais également par le contrôle d’institutions fondamentales de la ville comme le collège de la Trinité, longtemps foyer d’idées nouvelles.
Il ne reste plus alors à la ville qu’à se purger physiquement de ce qui reste de protestantisme: à la suite de la Saint Barthélémy, une violence populaire s’abat sur les réformés avec, pour le moins, la complicité des consuls catholiques; lors de ces Vêpres Lyonnaises, des centaines de protestants sont massacrés, avec la conviction pour les auteurs de ces tueries de répondre à un appel royal si ce n’est divin. La ville rejoindra bien sûr la Ligue contre Henri de Navarre, et même si elle elle se réconcillie avec Henri IV devenu catholique, le culte protestant reste interdit dans Lyon jusqu’à l’Edit de Nantes, qui n’autorise guère qu’un temple à Oullins.
La fin du livre, sous la plume d’Olivier Christin, revient sur un des facteurs majeurs de ces retournements du XVIème siècle: Lyon est la ville d’un entre-deux , de coexistences d’idées religieuses qui n’ont pas, pendant longtemps, nécessité de choisir son camps, le consulat (pouvoir municipal) préférant pendant longtemps maintenir le rêve de l’amitié chrétienne entre les citoyens. Cet idéal communautaire se brise au début des années 1560 malgré des tentatives de conciliation. La période de paix religieuse et de coexistence des deux groupes de 1563 à 1567, voit, là encore des appels à l’amitié et des gestes de solidarité inter-confessionnels. Mais ils échouent, en grande partie du fait de l’influence croissante du pouvoir royal.
Le corps et les âmes de la ville
Le livre, comme l’exposition dont il est issu, est rythmé par les reproductions d’extraits du plan scénographique de Lyon, qui sert de toile de fond pour la représentation cartographique des évènements ou la mise en perspective des lieux majeurs de ce drame en trois actes.
La précision des détails du plan, la perspective utilisée pour représenter les bâtiments permettent de plonger dans la réalité Lyonnaise, au plus près des espaces décrits.
Une conséquente galerie de portraits permet de mieux encore incarner cette histoire. Les personnages évoqués ne sont ni tous protestants, ni tous Lyonnais. Il est vrai que les étrangers jouent un rôle considérable dans la capitale des gaule: l’Allemand Johann kléberger, grâce à sa fortune marchande alimente l’aumône générale, son orientation religieuse reste incertaine jusque dans son testament et illustre cet entre-deux lyonnais avant les années 50, tout comme le portait de son compatriote l’imprimeur Sébastien Gryphe; les cinq étudiants de Lausanne venus annoncer l’Evangile en France ont été brulés à Lyon en 1553; leur attitude en prison et face au Martyr, « coachée » depuis Genève par Calvin dont les lettres sont reproduites dans l’ouvrage, joue un rôle important dans l’édification d’une communauté protestante.
les catholiques sont eux aussi mis à contribution, le prêtre Jean de Vauzelles, poète et introducteur des oeuvres pieuses de l’Arétin en France souligne le fécond bouillonnement culturel lyonnais comme; on peut aussi évoquer le père Edmond Auger, l’un des principaux artisans de la reconquête catholique à Lyon. Ces éléments biographiques font l’objet d’un encart ou de développements importants dans le corps des articles, parfois appuyés par des extraits de textes bien choisis.
Au total, la lecture de l’ouvrage s’avère particulièrement stimulante, au delà même de l’histoire religieuse. C’est bien une vie urbaine dans un contexte passionnant qui est reconstituée ici. Il manque peut-être la dimension sonore des psaumes : dans l’affirmation de la communauté protestante à Lyon, les groupes qui venaient chanter à tue-têtes des psaumes à proximité des institutions religieuse pour « occuper l’espace sonore » ont très certainement, comme le montre l’ouvrage, contribué à changer l’ambiance à Lyon. Il est difficile de trouver sur le net des enregistrements des oeuvres de R.Crassot et Philibert Jambe de fer qui ont mis en musique à Lyon les psaumes écrits par Clément Marot et Théodore de Bèze. Mais on peu trouver la version, plus célèbre de Claude Goudimel, qui fut massacré lors des Vêpres Lyonnaises de 1572.
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