Cet ouvrage regroupe les Actes d’un colloque qui s’est tenu à Saint-Brieuc le 9 Juin 2010, organisé conjointement par l’Office national des anciens Combattants et victimes de guerre et des institutions universitaires. Il comporte neuf contributions et se termine par deux entretiens, l’un avec la fille du général Pâris de la Bollardière, l’autre avec Edgar Tupët-Thomé Compagnon de la Libération. La préposition «pour» qui figure dans le titre de l’ouvrage ne doit pas être négligée. Pour les auteurs, l’histoire de la France Libre est une histoire en construction dont il faut définir les enjeux. On peut ainsi distinguer deux aspects dans cet
ouvrage : une réflexion sur les enjeux historiographiques de l’étude de la France Libre et des contributions qui concourent à une meilleure connaissance de ce mouvement.
Les enjeux historiographiques de la France libre doivent être mieux définis et précisés. La France Libre est un mouvement de résistance à la fois militaire et politique, avec, rapidement, une composante coloniale importante, qui s’est constitué derrière le général de Gaulle. L’acte de naissance ne pose pas de difficulté: il s’agit de l’Appel du 18 juin 1940, appel à la résistance,mais aussi point de départ du gaullisme politique. La borne terminale est plus difficile à poser.
Dans le domaine politique, on peut la fixer au 3 juin 1943, lors de la création du
CFLN et de l’installation à Alger du général de Gaulle. Le CFLN constitue le pouvoir unifié et unique de la Résistance, dont les Français Libres ne sont qu’une des composantes. Dans le domaine militaire, la date de clôture se situe le 31 juillet 1943, lors de l’amalgame des Forces Françaises Libres (54100 hommes) avec l’armée d’Afrique. Toutefois, d’autres auteurs prolongent l’histoire de la France Libre jusqu’à la Libération. La France Libre est à la fois un mouvement militaire et politique. Les Français Libres se sont battus sur plusieurs fronts, en Afrique, au Proche-Orient,en Europe. La France Libre est parvenue à constituer une marine, une force aérienne, un service de renseignements un corps de parachutistes. La France Libre a revêtu une dimension politique, le rôle de de Gaulle et de ses collaborateurs à Londres ayant été déterminant pour restaurer la souveraineté nationale de la France. L’histoire de la France Libre pose un certain nombre de problèmes historiographiques. Pendant longtemps, c’est l’histoire de la Résistance intérieure qui a été privilégiée. De plus, il est parfois nécessaire d’aller au delà des témoignages de ceux qui ont raconté une «épopée, à la fois consciente de son historicité et soucieuse de son histoire» selon l’expression de Laurent Douzou. Toutefois, depuis une vingtaine d’années, l’histoire de la France Libre est mieux connue, notamment grâce aux ouvrages de Jean-Louis Crémieux-Brilhac ou au Dictionnaire de la France Libre paru en 2010. De nombreux domaines restent cependant à explorer et les auteurs abordent ainsi un certain nombre de sujets.

  • L’apport des Bretons à la France Libre.Le cas des 136 habitants de l’île de Sein partis en bateau rejoindre l’Angleterre est bien connu.Les pécheurs bretons ont permis de poser des liaisons entre la France et l’Angleterre. D’autres Bretons font partie d’unités de parachutistes,convoient des aviateurs alliés. La Bretagne fournit 16% des combattants de la France Libre. Douarnenez et Brest fournissent de nombreux combattants. Ils représentent 20% des effectifs de la 1ère DFL (Division française libre) et de la 2ème DB. Dans le Finistère, beaucoup d’entre eux sont des marins et ont un âge moyen de 25 ans. Parmi de nombreuses figures, citons celle de Jeanne Bohec, qui rejoint Londres dès le 18 juin et fut parachutée en France en 1944 pour former les FFI aux techniques du sabotage.
  • Les raisons de l’engagement.Erwin Le Gall souhaite rompre avec l’image classique du Français libre qui rompt toute attache pour s’engager dans la Résistance. Il est certain que la décision de gagner Londres et de poursuivre le combat représente une rupture, un acte fondateur, non dénué de risque (certains Français libres sont condamnés à mort par contumace par Vichy), mais on peut aussi noter une certaine continuité entre l’engagement de marins ou d’aviateurs dans la France Libre et leur carrière antérieure. Le milieu familial,le patriotisme, ont été des facteurs importants. Circonstances matérielles et contingences psychologiques du sujet, goût de l’aventure ont pu jouer un rôle. Peu de Français Libres avaient conscience de l’ensemble des données en jeu. En fin de compte, la France Libre comportait trois cercles : le cercle dirigeant comprenant de Gaulle et son entourage proche comme l’amiral Muselier ou René Pleven, les combattants, enfin les comités de soutien à la France libre comme le comité «France for ever» qui regroupait 50000 adhérents aux États-Unis. La conscience politique était ainsi plus ou moins marquée.
  • La France Libre et le scoutisme. Dès l’été 1940, la France Libre organise un
    mouvement lié au scoutisme, les Éclaireurs français de Grande-Bretagne. Avoir
    appartenu au scoutisme semble prédisposer à l’engagement dans la France Libre. En Septembre 1940, le secrétaire fédéral des Éclaireurs de l’AEF se rallie à la France libre. Dès juillet 1940, 200 garçons de moins de 18 ans forment la Légion des jeunes volontaires français. Sont créés les Éclaireurs français de Grande Bretagne. On ne résiste pas au plaisir de citer la lettre très gaullienne que le Général adressa à leur dirigeant : «Il est entendu que vous soumettrez à mon agrément le nom de la personne que vous désignerez comme secrétaire fédéral. Dans ces circonstances, j’accepte bien volontiers de devenir président d’honneur de votre fédération à laquelle je souhaite un essor en proportion de la tâche qu’elle a à accomplir pour préparer les jeunes Français résidant en Grande-Bretagne aux destinées qui les attendent».
    Le mouvement, qui comprend des garçons et des filles, compte 500 membres en 1943 et 20000 en 1944 après le débarquement anglo-américain en Afrique du nord. On compte même des «routiers» dans le camp de Miranda en Espagne dans lequel étaient internés de nombreux Français qui avaient quitté la France pour rejoindre Londres. Enfin,le mouvement devient interconfessionnel.
  • Le personnel navigant des Forces aériennes françaises libres. La France Libre
    disposait de petites unité aériennes engagées sur de nombreux théâtres
    d’opération. On connait mal les raisons de leur engagement ou leur destinée Environ 3300 personnes ont servi dans les FAFL avec de lourdes pertes (tués ou prisonniers) de 40% du personnel navigant et davantage si l’on ne compte que les groupes de chasse. On peut ainsi établir que les officiers qui ont rejoint les FAFL étaient de jeunes lieutenants et capitaines.
  • La marine marchande de la France Libre.La marine marchande présente des traits originaux. Elle ne dépendait pas de la France Libre, mais des autorités britanniques qui avaient réquisitionné les navires marchands français stationnés en Angleterre dès le mois de juillet 1940.Le gouvernement britannique propose aux marins français de bénéficier des mêmes conditions que les marins britanniques. Le général de Gaulle parvient à faire admettre que les marins se trouvent sous ses ordres. Une partie des marins se rallie à cette proposition,mais une autre partie refuse et les marins sont rapatriés en France. Après des négociations avec le ministère britannique, un accord est trouvé, grâce à la «mission Spears» qui sert de lien entre la France libre et les autorités britanniques, pour mettre la flotte marchande à la disposition de la France
    Libre. L’exemple de la marine marchande met en lumière les liens entre la France
    Libre et les autorités britanniques, liens faits de négociation et de coopération. On
    voit aussi qu’il ne s’agit pas seulement d’engagement ou d’héroisme, mais de négociations souvent très techniques ou juridiques. Dirigée par Pierre de Malglaive et Jacques Bingen, la marine marchande joue un rôle réel dans la guerre.
  • Les parachutistes de la France Libre. Deux contributions sont consacrées au rôle des parachutistes en Bretagne au moment de l’opération «Overlord». Les parachutistes du Special Air Service de la France Libre sont aéroportés en Bretagne dans la nuit du 5 au 6 juin 1944, et doivent paralyser la progression des troupes allemandes. La contribution d’Olivier Porteau permet de connaître le rôle des parachutistes de la France Libre. Dès 1940, sur les conseils du capitaine Bergé est créée une compagnie de parachutistes. Ils sont entraînés en Angleterre, et dès 1941 sabotent des installations militaires allemandes. En 1942, ils participent à des opérations de sabotage en Libye et en Crète. Les SAS passent peu à peu sous le contrôle des autorités britanniques. Surtout, à partir de 1943 est définie une nouvelle doctrine de l’emploi des parachutistes. Il ne s’agit pas seulement d’actions de sabotage («hit and run») ,mais aussi d’actions de soutien à la Résistance intérieure. Ce type de mission est confié à une nouvelle génération de parachutistes: les Jedburghs (terme emprunté à un épisode de la guerre des Boers). Au cours de l’été 1944, 92 équipes Jedburgh
    sont parachutées en France, dont 14 en Bretagne où la Résistance est très développée. Elle peut ainsi compter sur 12000 hommes dans le Morbihan. Les parachutistes constituent des «bases» logistiques.Ils apportent une aide essentielle à la Résistance (armement, formation, liaison radio, tactique de combat). Ces équipes coexistent avec des groupes de parachutistes qui effectuent des actions plus classiques de sabotage. Le bilan militaire de ces actions est discuté, mais sa portée psychologique (créer un climat d’insécurité chez les troupes allemandes) et symbolique (contribuer à la renaissance de la République) est réelle.
  • La répression des Français Libres. Les Français Libres ont été victimes de la
    répression allemande.Thomas Fontaine montre que le processus de répression a
    évolué. Jean-François Muracciole souligne qu’environ 5700 Français libres ont été
    engagés dans des missions. 850 furent victimes de la répression, 600 ont été
    emprisonnés ou déportés et 225 exécutés. Les formes de la répression ont évolué. Dans un premier temps, la répression est organisée par les autorités militaires (il s’agit de maintenir l’ordre et d ‘assurer le fonctionnement de l’économie française) et les Résistants sont jugés par des tribunaux militaires. 160 peines de mort sont prononcées et 1/4 sont exécutées.Ainsi, Honoré d’Estienne d’Orves est il arrêté en janvier 1941 jugé par un tribunal militaire, qui rend hommage à son engagement, et exécuté avec plusieurs membres de son groupe. D’autres sont déportés en Allemagne pour y être jugés. A partir de l’été 1941et l’engagement du PCF dans la lutte armée, la répression s’intensifie: les condamnations à mort prononcées par les tribunaux militaires s’accentuent jusqu’ à la fin de la guerre. Ces condamnations s’accompagnent d’ exécutions d’otages et de déportations. En décembre 1941, le haut commandement allemand promulgue le décret NN (Nuit et Brouillard) qui prévoit que les Résistants qui n’ont pas été condamnés à mort seront transférés en Allemagne
    pou y être jugés sans pouvoir donner de nouvelles à leurs familles. De nombreux
    otages, dont beaucoup sont juifs,sont également déportés en Allemagne. A partir de la fin de 1941, la politique d’exécutions d’otages s’arrête (elle est jugée contre productive au moment où l’Allemagne a besoin de main d’œuvre.), mais les déportation massives se multiplient à la fois dans un but répressif et pour fournir de la main d’œuvre à des camps comme celui de Dora. De la fin 1943 au début 1944, 9500 Résistants sont déportés à partir du camp de Compiègne. Dans ce contexte ,les dirigeants de la France libre arrêtés ,comme le général Delestraint (exécuté à Dachau en avril 1945) ou des proches de Jean Moulin, ne sont pas déportés dans de grands convois de déportation, mais sont déportés dans de «petits» convois, parce qu’ils sont jugés particulièrement dangereux. A partir de juin 1944, la situation se modifie encore. Dans un contexte d’extrême brutalité, les Résistants de la France Libre sont déportés dans des convois de déportation massive ou exécutés.
  • Deux entretiens. L’ouvrage se termine par deux entretiens.Le premier avec Armelle Bothorel,fille de Jacques Pâris de la Bollardière (1907-1986), militaire de
    carrière, catholique fervent, Compagnon de la Libération. Il participe à la campagne de Libye, et en avril 1944, il organise un maquis dans les Ardennes. Après la guerre ,il participe à la guerre d’Algérie,mais en 1957 ,en désaccord avec la pratique de la torture, il demande à être relevé de son commandement et devient un militant non – violent et antinucléaire. Sa fille montre bien que l’engagement de son père reposait sur des valeurs éthiques: la dignité humaine, le refus de l’humiliation, le non conformisme, le refus immédiat de la défaite.
  • Le second entretien est mené avec Edgar Tupët-Thomé, né en 1920, compagnon de la Libération dont l’itinéraire est exceptionnel. Il intègre d’abord un réseau de renseignement de la France Libre, gagne Londres et participe à plusieurs opérations parachutées. En août 1944, il libère les villes de Daoulas et de Landernau.

S’il était permis de faire une suggestion aux éditeurs du colloque, ce serait de rendre ces deux entretiens disponibles en ligne sur un site pédagogique.
Au total, l’ouvrage permet de mieux connaître la France Libre. Il ouvre d’intéressantes pistes de recherche dans le domaine de la sociologie de l’engagement, dans celui des relations entre Français libres et Britanniques, ou dans celui de l’histoire militaire.