Cet ouvrage est le fruit du Réseau Universitaire de Chercheurs en Histoire Environnementale (RUCHE) et du colloque de rennes d’octobre 2016 qui portait sur la gouvernance de l’environnement, un sujet de recherche récent, une dizaine d’années à la suite des travaux de Joachim Radkauhistorien allemand, spécialiste des XIXe et XXe siècles et auteur notamment de The Age of Ecology sur la nature du rapport entre nature et pouvoir. L’ambition de cet ouvrage exprimé dans l’introduction est de proposer un regard historicisé, « de faire dialoguer les sources et les époques, les aires culturelles et les contextes géopolitiques » p. 12.
Les coordinateurs ont choisi quatre entrées thématiques : les risques , les aménagements de la nature, les conflits , politiser l’environnement ou écologiser les pouvoirs.

Gérer ou instrumentaliser les risques et les catastrophes ?

Cette première partie réunit quatre contributions sur l’impact des aléas naturels sur l’organisation sociopolitique des états et met en évidence la complexité des interactions entre pouvoirs et précision.

Les victimes de catastrophe naturelle au XVe et au XVIe siècle ; vers une intégration croissante dans le discours et les pratiques de gouvernement.
Thomas Labbé (Université de Bourgogne) s’intéresse à la charnière entre Moyen-Age et Époque moderne aux tremblements de terres et aux inondations comme révélateurs d’une modification du discours sur la catastrophe. Il analyse l’attitude compassionnelle des pouvoirs, l’apparition de l’image de la victime de catastrophe. Il compare les récits des tremblements de terre à Bâle en 1356 qui fait une grande place à la description du phénomène et aux destructions sans mention des victimes et les récits de celui de Naples en 1456 qui au contraire présente un bilan humain. Au XVIe siècle les textes évoquent victimes et solidarité des autorités, sans doute à mettre en relation avec les réflexions sur le rôle du prince . L’auteur appuie sa démonstration sur divers textes comme le Della Ragion di Stato de Giovanni Botero p.28 et s’interroge sur l’origine de cette évolution de la représentation de la catastrophe.

Les inondations en France au XIXe siècle : traitement médiatique et action publique
Jérôme Lévy (professeur à l’Université de Poitiers) part de la fréquence des crues pour montrer à la fois l’action publique et sa médiatisation pour éviter le retour des conséquences, et ce à partir d’une presse qui fait vibrer le lecteur avec des descriptions dantesques et qui montre l’action des hommes politiques : visites de compassion (Napoléon III, Mac Mahon), appels à la solidarité mais aussi lancement d’études pour comprendre et prévenir.

« La politique de l’environnement s’est arrêtée à la porte des usines » : le Haut Comité de l’Environnement et les mondes du travail, 1971-1986
Renaud Bécot (laboratoire LARHRA, Rhône-Alpes) traite pour le XXe siècle des rapports entre politique de l’environnement et industrie (enjeu du travail, chantage à l’emploi) en France. Il rappelle ce qu’est le HCE ( Haut Comité de l’Environnement) né en 1970 comme lieu de dialogue avec les associations et s’appuie sur la thèse d’Alexis Vrignonsoutenue à Nantes en 2014 : Les mouvements écologistes en France de la fin des années soixante au milieu des années quatre-vingt. L’auteur montre comment a été traitée la question du mercure entre résidus, santé des travailleurs et l’industrie chimique et compétitivité internationale. Petit à petit le HCE s’est ouvert au monde du travail après 1982, l’auteur analyse le difficile dialogue sur les questions environnementales.

Chloé Valette, sociologue, analyse L’itinéraire de la gestion des risques environnementaux dans la Grande Aire métropolitaine de San José (Costa Rica). À partir des actes communaux de la commune de Belén elle montre les risques liés à la gestion des déchets dont certains sont liés à la production de café et à l’élevage de porcs et de volailles : de l’insalubrité à la notion de pollution au cours du XXe siècle. Elle met en évidence la mobilisation des habitants face aux réalités politiques et au clientélisme électoral.

Aménager la nature ou affirmer les pouvoirs ?

Cette seconde partie propose une relecture des politiques d’aménagement ?

Namur 1755 : gérer une garnison, ses ressources et la préparation de la ville à l’aube d’un conflit armé
Alix Badot ( université de Namur) traite de l’emprise militaire sur la gestion de l’environnement urbain aux Pays-Bas. Comment assurer la défense de la ville entre autorités des Provinces Unies et gouvernement autrichien, une ville qui outre sa fonction stratégique est aussi un chef-lieu de province et un siège épiscopal. L’auteure met en lumière le rôle des ingénieurs.

Benjamin Furst (Université de Haute-Alsace/université de Montréal) consacre l’article suivant à L’intégration du réseau hydrographique sans les stratégies militaires en Alsace aux XVIIe et XVIIIe siècles. Il décrit les aménagements hydrauliques réalisés à la fois pour encadrer les populations, gérer et défendre un territoire qui permettent l’affirmation du pouvoir monarchique grâce à une politique de grands travaux :ouvrages destinés à permettre une inondation volontaire, canaux pour le transport des troupes et des matériaux. L’auteur évoque le rôle de Vauban dans cette politique avant qu’au XVIIIe siècle ces aménagements soient mis au service du développement économique. L’article se clôt sur une analyse de l’évolution des pratiques administratives.

Retour au XXe siècle avec la contribution de Romain Tahar-Lhormann (doctorant à l’Université de technologie de Belford-Montbelliard) : L’usine, la ville et l’eau : modeler le territoire pour produire PSA Peugeot-Citroën à Sochaux qui porte sur l’aménagement d’un grand site industriel, extension spatiale de l’usine Peugeot sur une zone humide et développement de l’habitat ouvrier. L’auteur montre les contraintes administratives liées à la gestion des effluents de l’usine et à la question de la pollution des eaux. Il décrit l’inondation de 1990 directement en rapport avec l’extension du site qui a entraîné une modification de l’écoulement naturel des eaux.

Arbitrer ou neutraliser les conflits ?

Trois contributions pour une analyse des formes de gouvernance de l’époque moderne à nos jours.

Emmanuel Brouard (historien, adjoint du patrimoine à la bibliothèque de Nantes) développe une vision nuancée de l’action des autorités concernant le travail du chanvre dans la basse vallée de l’Authion : Les pouvoirs locaux confrontés au rouissage en Anjou aux XVIIIe et XIXe siècle : comment arbitrer entre les intérêts de l’agriculture, de la pêche et de l’hygiène publique ?
L’activité de rouissage a de tous temps été très polluante et perçue très tôt comme un problème sanitaire, l’auteur montre les intérêts divergents entre d’une part l’idée de protection des rivières depuis l’ordonnance des Eaux et forêts de 1669 et d’autre part les activités économiques : agriculture, fabriques de toiles et les avis de divers « scientifiques » à propos de la relation entre odeur du rouissage et fièvres. L’auteur analyse l’action des préfectures (Maine et Loire et Sarthe)quand se développe la culture du chanvre au XIXe siècle, l’expression des intérêts différents agriculteurs/maires face à l’administration des Eaux et Forêts et aux pêcheurs.

Économie, science et imaginaire : « construction » de la forêt québécoise au tournant du XXe siècle
Maude Flamand-Hubert (Université de Trois-Rivières, Québec) montre la création du ministère des Terres et des Forêts en 1905 et l’existence de deux attitudes antagonistes face à la nature : la forêt vue comme un sol à défricher pour le cultiver ou espace à exploiter, une culture de forestiers, deux visions de la « Belle province » entre colonisation agricole héritée des XVIIIe et XIXe siècles ou exploitation capitaliste d’une ressource (mines et bois). L’auteure rappelle les débuts de l’exploitation forestière pour la pâte à papier . Cette opposition renvoie aussi à deux visions canadienne française ou anglophone. L’auteure évoque la législation sur la forêt et les influences économiques, politiques et scientifiques qui la sous-tendent et la construction d’un compromis afro-forestier qui révèle une réelle division sociale.

C’est en RDA que nous entraîne Michel Dupuy (UMR 8066, Paris) : Science et pouvoir en RDA : la pollution atmosphérique transfrontalière. Il analyse la prise de conscience d’un problème environnemental dans les années 60-70 : les pluies acides ou comment l’alerte suédoise a eu pour conséquence la création d’un ministère de l’environnement en RDAen 1972, l’internationalisation de la question et les premières recherches scientifiques. L’auteur montre comment la population est ou non informée de part et d’autre du rideau de fer et les effets variables des conventions sur les pollutions transfrontalières.

Politiser l’environnement ou écologiser les pouvoirs ?

Quatre contributions pour cette dernière partie.

Pierre Caillosse (Université de La Rochelle) montre le rôle de L’ingénieur, l’expert et les transformations naturelles de la pointe du Médoc (début XVIIe – milieu XIXe siècle). L’étude porte sur la paroisse de Soulac et les deux chantiers environnementaux du XIXe siècle ; fixation des dunes par semis de pins et défense de la pointe de Grave pour limiter l’érosion côtière. Après le rappel des travaux du XVIIIe siècle (construction de l’église de Soulac, réparation de la chapelle du Verdon) sous l’autorité de l’intendant de Bordeaux l’auteur montre le rôle croissant des ingénieurs des ponts et Chaussées et notamment de Nicolas Bremontier.

Compter ou conter la nature ? Production de données environnementales et enjeux de pouvoir.
Ana G. Besteiro(Université Jean Moulin-Lyon 3), Frédéric Blot et Rémi Benos (Université de Toulouse) s’interrogent sur les représentations scientifiques et la manière dont elles peuvent modifier ou renforcer les discours sur la gestion des ressources naturelles ? Cette étude se place dans la droite ligne des travaux du géographe Claude Raffestin. L’article décrit trois études de terrain où les productions des experts justifient des pratiques, des aménagements au nom de la protection de la nature.
En Adour-Garonne, les niveaux d’étiage sont définis non plus en fonction de la qualité physico-chimique de l’eau mais en assurant la qualité écologique des milieux naturels tout en assumant les usages prioritaires. L’article insiste sur le caractère construit des indicateurs selon les méthodes de mesure choisis et permet d’aborder la question des usages concurrentiels de l’eau.
Dans le massif du Canigou se pose la question de la capacité touristique souhaitable : « capacité de charge » entre aménagements ressource paysagère et attractivité touristique.
Le troisième exemple concerne la protection de la biodiversité à travers la « trame verte et bleue » dans un espace péri-urbain, celui de Toulouse. Après une définition de la « trame verte et bleue » : notion de fréquentation des habitats, corridors écologiques, l’auteur montre deux perceptions de la question : celle des scientifiques et celle des chargés de mission territoire.

Martin Siloret (Université Rennes 2) analyse l’écologie politique en Bretagne : Faire de la politique pour défendre l’environnement ? Les écologistes bretons entre contre-pouvoir et conquête du pouvoir.
Il décrit l’évolution de la position des associations, de la collaboration avec le politique dans les années 60 à la contestation née de la politisation du débat sur le nucléaire puis à un dilemme : être un contre-pouvoir ou le conquérir lors des échéances électorales. L’auteur analyse la position des Verts bretons à partir de 1983.

Guillaume Blanc (Université Rennes 2) compare les enjeux de création d’un parc naturel dans les années 60 : Parc naturel, nature et exercice du pouvoir (Canada, Éthiopie, France).
Il analyse le discours paysager et patrimonial dans trois cas : Parc du Forillon (Québec), Parc des Cévennes (France) et Parc du Simien (Éthiopie).
L’auteur analyse l’aspect institutionnel de ces parcs : prise de décision, gestions, rôle des autorités scientifiques qui expriment une certaine « représentation étatique de l’environnement , c’est-à-dire d’une culture publique de la nature qui se traduit par la matérialisation d’un ordre naturel et social » (p.229). Il montre que ce sont des territoires négociés, révélateurs de logiques identitaires et affirme que ce sont « des lieux de violence exercée localement par les représentants du pouvoir national » (p. 232). Il conclut son propos par une phrase choc : « le parc national, une nature façonnée par et pour l’État-nation ».

Les coordinateurs de cette publication, Laurent Coumel, Raphaël Morera et Alexis Vrignon, concluent sur quelques points communs : « les États ne gouvernent ni pour ni contre mais avec l’environnement » (p. 240), « Les pouvoirs jouent un rôle essentiel dans la construction des perceptions d’un environnement par une société donnée (p. 241).
Ils affirment l’intérêt d’études à échelles temporelles et spatiales variées.