Les offices de presse révèlent dans la plupart des cas de bonnes surprises. C’est souvent le cas avec les éditions André Versaille qui proposent des ouvrages importants. Ils ont souvent suscité l’intérêt des critiques de La Cliothèque.
En lisant le prologue de cet ouvrage, dont l’auteur est évidemment très connu et très prolifique, il y avait tout de même un sentiment étrange. La tonalité de ce texte, l’affirmation d’une opposition plutôt anticléricale, ce qui peut se comprendre au vu du sujet de ce livre, la critique des dénonciateurs de la « terreur révolutionnaire » à très vite amené à se poser des questions.
L’évolution de Max Gallo, sa redécouverte de la foi, son soutien manifeste à la conception de l’histoire professée par l’actuel locataire de l’Élysée ne cadrait pas vraiment avec le contenu de ce prologue, dans lequel Max Gallo présente une société « d’avant 89 dont les principes de fonctionnement sont authentiquement et explicitement totalitaires ».
De là à se demander, et même à espérer, que Max Gallo ait totalement changé de perspective depuis son soutien public à l’action de Nicolas Sarkozy il y avait un pas que nous étions tentés de franchir !
En réalité, cet ouvrage remarquablement écrit, avec ce style foisonnant qui séduit tous les lecteurs de ce boulimique de l’écriture, est une réédition d’un ouvrage publié en 1987 chez Robert Laffont. Max Gallo, Que passe la justice du Roi : vie et supplice du chevalier de La Barre, Paris, Robert Laffont, 1987 EAN13 : 9782221052723 ISBN : 978-2-221-05272-3 Éditeur : Robert laffont Date Parution: 1987
Cela nous rappelle ce que certains critiques de La Cliothèque avaient déjà mentionné, y compris tout dernièrement, à propos des pratiques de certains éditeurs. http://www.clio-cr.clionautes.org/spip.php?article3469.
Encore une fois, ce n’est pas la réédition qui est en cause ; nous traitons régulièrement les éditions Perrin qui publient en édition de poche chez Tempus, des rééditions d’ouvrages de référence, ce qui les rend plus accessibles. Par contre, ne pas le dire aux lecteurs, nous apparaît tout à fait discutable. Chez cet éditeur déjà, à propos du Serge Berstein, Pierre Milza
Dictionnaire historique des fascismes et du nazisme Date de publication : 10-11-2010 ISBN 978-2-87495-088-9 – 782 pages – 49,90 €, http://www.clio-cr.clionautes.org/spip.php?article3240 ce travers avait été noté.
Après consultation du catalogue en ligne de l’éditeur et un examen attentif de l’ouvrage qui nous est parvenu ce 7 mai 2011, aucune mention de l’édition de 1987 n’apparait. Elle est tout de même citée dans la bibliographie sélective du même auteur, mais seule une partie du titre « Que passe la justice du roi » est mentionnée. Le chevalier de la Barre semble avoir disparu.
La bibliographie n’a pas été non plus réactualisée, ce qui a aussi peut poser un problème. L’ouvrage le plus récent cité date de 1985.
Les lecteurs de La Cliothèque sont particulièrement sensibles à notre exigence de rigueur. Si nous nous adressons à tous les amateurs d’histoire, de géographie et de sciences politiques, nous savons aussi que le travail de nos critiques est devenu une source commode de référence pour des étudiants, pour des universitaires qui y trouvent des références actualisées et précises. On ne peut pas laisser croire que notre connaissance sur le XVIIIe siècle n’a pas évolué depuis 1987 !
Cela n’enlève rien à l’intérêt de cette réédition. On sait la précision dont Max Gallo peut faire preuve lorsqu’il « attaque » un sujet. Son écriture que j’aime à qualifier de « flamboyante » fait toujours mouche.
L’histoire du chevalier de la Barre, décapité le 1er juillet 1766 par le même bourreau que Louis XVI, 27 ans plus tard s’inscrit dans un contexte très particulier sur lequel beaucoup reste à découvrir. En 1987, la vision que l’on avait de cette période, et que Max Gallo reprend à son compte, et celle d’une société d’ancien régime qui commence à « craquer » du fait de ses contradictions. L’absolutisme royal est toujours la référence mais dans le même temps la diffusion de la pensée des philosophes des lumières ne parvient pas à être endiguée. De nouvelles aspirations se font jour, la volonté d’échapper au poids de l’église, toujours plus forte. Le crime qui a conduit le chevalier de la Barre à être décapité, à l’épée, semble pourtant anodin. Il ne se serait pas découvert devant une procession du Saint-Sacrement et il aurait été accusé par la suite d’avoir mutilé une statue du Christ et profané une hostie.
Ce que l’auteur montre c’est surtout la mécanique juridique de l’ancien régime, et a contrario, quelles ont été dans ce domaine judiciaire les préoccupations des hommes de 1789.
Un quart de siècle après le supplice du chevalier de la Barre, supplice précédé par la « question », c’est-à-dire tout simplement la torture, la volonté d’en finir avec ces abus, qui ne sont même pas de droit, est manifeste.
Dans cette affaire, c’est également le mécanisme de la rumeur qui se met en place. Trois jeunes gens, sans doute préoccupés par autre chose ne se seraient pas découverts devant la procession, mais très vite, les soupçons s’installent, des témoins « spontanés » se manifestent, et très rapidement, le nom du chevalier de la Barre est cité. On ajoute la profanation de l’hostie au reste de l’accusation. Le procureur du roi, Duval de Soicourt, manœuvre de façon remarquable pour construire l’accusation tout en se protégeant d’un éventuel retournement de situation. Dans le chapitre consacré aux premiers interrogatoires, le mécanisme de l’aveu indirect se met en place. Cela rappelle le système de l’aveu dans le livre de Arthur London, sur les procès en Tchécoslovaquie après la seconde guerre mondiale. Dès lors que l’accusé évoque le secret de la confession, cet argument vient à charge pour rappeler que c’est une façon de mentir par non-déclaration. Mais au-delà des péripéties judiciaires, c’est peut-être aussi la volonté d’une partie de la noblesse de robe, puisque Abbeville dépend du Parlement de Paris, de régler des comptes avec les philosophes, qui est manifeste dans ce procès.
Au final, le jugement du chevalier de la Barre, est bien politique. En appel, le Parlement condamne à mort le chevalier de la Barre le 4 juin 1766.
L’interrogatoire de l’accusé ne dure que 10 minutes, mais en réalité, les juges du Parlement de Paris vient de régler un compte en suspens avec Voltaire, qui avait obtenu moins d’un an plus tôt la réhabilitation de Calas, ce drapier protestant toulousain accusé d’avoir assassiné son fils qui souhaitait abjurer la religion réformée. La question qui bien entendu se pose est de savoir quelle sera l’attitude du roi. Ce dernier, en délicatesse avec le Parlement de Paris, ne va pas à l’encontre de la sentence et au final, le chevalier de la Barre sera soumis à la question, décapité, avant que son corps ne soit brulé en même temps que le dictionnaire philosophique de Voltaire.
C’est donc une histoire tragique que raconte Max Gallo, mais en même temps il donne un éclairage très particulier sur les hommes de robe de cette époque. Soucieux de leurs prérogatives, ils étaient à la fois imprégnés de la référence au caractère sacré de la monarchie, mais en même temps ils souhaitaient peser sur elle, en exerçant une forme de contrôle social.
Pour autant, il serait hasardeux de parler d’une société « totalitaire » avant 1789. La recherche historique récente montre qu’il existait des formes de limitations au caractère absolu de la monarchie, des contre-pouvoirs en quelque sorte, même si l’habileté de quelques officiers de justice leur a permis d’arriver à leurs fins en conduisant le chevalier de la Barre vers son cruel supplice.
© Bruno Modica