Synthèse d’un cycle de conférences tenu à l’université de Lille 1 entre octobre 2007 et mai 2008 (et assorti d’une exposition), cet ouvrage croise les regards de différents géographes habitués à « se poster à la frontière » pour en saisir les tenants et les aboutissants.

C’est à deux collègues spécialistes de la question depuis longtemps qu’est revenue l’introduction (ainsi que l’animation de plusieurs de ces conférences) de ce livre. Patrick Picouet (Lille 1) et Jean-Pierre Renard (Artois) rappellent que la frontière, véritable objet géographique, n’est pas sans présenter un certain nombre de paradoxes : celui d’un continent qui s’unit, l’Europe, pourtant marqué par la fragmentation de ces États ou celui d’une intégration macro-régionale s’accompagnant d’un repli identitaire à échelle micro-locale. Marqueur de l’évolution épistémologique de la discipline, la frontière se déplace, devenant interne à la ville et, de ce fait, plus floue. Cela renforce le sentiment de territorialité et une affirmation vers l’extérieur qui, elle, amène le renforcement des limites. Les questions d’avenir portent sans nul doute sur la sécurité et le poids des États.

Le cœur de l’ouvrage est divisé en trois parties : la première « La frontière, souffrance et nécessité » prend surtout la frontière sous l’angle de la mondialisation, la seconde « Les frontières entre ouverture et fermeture ou la recomposition des territoires » se veut étude de cas régionaux, la troisième s’intéressant au thème de « L’eau et les frontières : des lignes de partages anciennes aux nouvelles conquêtes ».

Si chacune de ces conférences mensuelles s’est déroulée dans des conditions similaires (1h30 en moyenne), on peut s’étonner de certains écarts de poids entre les articles (plus de 30 pages pour la communication de Vincent Herbert sur les détroits, comprenant certes beaucoup d’illustrations, mais seulement 5 pour celle Michel Foucher sur les frontières de l’Europe…Pourtant bien complète pour y avoir assité…).

LA FRONTIÈRE, SOUFFRANCE ET NÉCESSITÉ

Béatrice Giblin (Paris 8) introduit, légitimement sous l’angle géopolitique, la question du rapport entre frontières et mondialisation en démontrant, étapes de construction historiques de la mondialisation à l’appui, que celle-ci ne signifie en rien fin des frontières et fin des territoires. La mondialisation témoigne d’une certaine habilité à jouer avec les frontières.

Alain Vaguet (Rouen) prend, lui, la mondialisation via le prisme de la santé et montre que la frontière peut révéler des discontinuités (au niveau de l’espérance de vie par exemple) ou, au contraire, des phénomènes de continuités (mortalité houillère franco-belge). La mondialisation génère de nouveaux flux de transmission des maladies mais sans qu’une coupure Nord/Sud soit nette, le modèle de transition épidémiologique étant discuté. Les Etats apparaissent comme des organes d’organisation et de régulation de la santé alors que la gouvernance mondiale est plutôt faible en la matière.

Précurseur en la matière, Claude Raffestin (Genève) offre un retour d’expérience sur les aspects négatifs de la frontière. Ses souvenirs de la frontière allemande fermée s’agrémentent d’analyses sur les Balkans, Israël, le cas classique des États-Unis et du Mexique…Prenant appui sur des visites d’expositions, Raffestin constate que les artistes arrivent souvent à devancer les sciences sociales en n’ayant pas à s’embarrasser avec des mots pour cerner les contours de leur objet d’étude.

LES FRONTIÈRES ENTRE OUVERTURE ET FERMETURE OU LA RECOMPOSITION DES TERRITOIRES

Spécialiste de l’Asie Centrale, Julien Thorez (CNRS) explique que ces pays assurent la construction territoriale de l’indépendance, adaptent les réseaux et édifient même parfois de nouvelles capitales. La frontière est, pour eux, un synonyme de consolidation étatique qui demeure souvent une priorité sur le développement des territoires eux-mêmes. En cela, cette logique de renforcement des frontières d’Etat se fait au détriment d’entités régionales qui pourraient constituer des opportunités intéressantes.

Michel Foucher (ENS) dessine trois cartes de l’Europe. La première, vue de Washington, renvoie à la perception classique d’un élargissement maximal. La seconde expose la vision de certains mouvements s’appuyant sur des traditions chrétiennes, excluant en cela la possibilité d’intégrer la Turquie. La troisième, enfin, pose la question de fond du projet européen comme union politique intégrée ou communauté d’Etats-nations.

Prenant exemple sur l’Afrique du Sud, Philippe Gervais-Lambony (Paris X) s’intéresse à l’acception intra-urbaine de la frontière montrant qu’à Johannesburg, les quartiers aisés se referment sur eux-mêmes et que le cœur de l’activité économique s’est déplacé au Nord, augmentant en cela la distance entre les deux « faces » de la ville. Un paradoxe ressurgit donc pour ce cas de la ville post-apartheid, celui d’une politique urbaine intégratrice et de la production de nouvelles frontières internes.

L’EAU ET LES FRONTIÈRES : DES LIGNES DE PARTAGES ANCIENNES AUX NOUVELLES CONQUÊTES

L’eau fait frontière : fleuves et lacs représentent 32 % des frontières internationales constituant en cela le premier poste comme le rappelle Jacques Bethemont (Saint-Etienne). Lacs et marais sont peu sujets aux conflits tandis que nombreuses frontières fluviales sont nées de rapports de force. Mais c’est surtout dans le sens amont-aval qu’il convient de lire les discontinuités…et mieux vaut être en amont : pollution par exemple ou, de manière plus générale, contrôle de la ressource. Des sources de conflits potentiels à surveiller donc.

Enfin, Vincent Herbert (Lille) présente une analyse sur les détroits très détaillée et très riche de schémas. Le détroit est caractérisé par une typologie, une structure, un aspect linéaire ou non, mononucléaire ou non. Il peut se lire au travers de perceptions liées au positionnement (asymétrie des rives), à la prise en compte du fond sous-marin, à son origine temporelle. Tous ces éléments font du détroit un géosystème à part entière mais également un espace fortement convoité dans un contexte de forte circulation mondiale.

Un tour d’horizon riche et varié de cet objet pour le moins troublant qu’est la frontière. En complément, on peut retrouver les interventions des auteurs sur la chaine télévisée de l’université de Lille 1.