C’est au cœur même des familles princières que nous entraîne Pascale MormichePascale Mormiche a chroniqué plusieurs titres sur la Cliothèque dont Enceinte, une histoire de la grossesse entre art et société d’Emmanuelle Berthiaud, Editions de La Martinière, 2013 dans cette étude de la fécondité et de la procréation entre politique et vie intime. C’est la naissance de l’enfant, un garçon qui « fait la reine ». Si les aspects politiques, dynastiques et diplomatiques ont déjà été bien étudiés, ils sont ici mis au second plan, sans être oubliés, pour donner une place à la grossesse, à l’enfantement dans les cours d’Europe.

La princesse est-elle enceinte ?

Dans ce premier chapitre, il est question de l’intimité du couple princier de la consommation du mariage, de la sexualité chez des jeunes parfois à peine pubères et peu instruit en ce domaine, du contrôle des adultes sur les débuts de la vie conjugale.

Si la nuit de noces est une cérémonie publique, ce premier contact entre des inconnus est souvent difficile comme le montre les exemples cités.

En France, l’entrée du jeune couple à Paris est un moment important car politique. Le mariage est une affaire d’alliances diplomatiques et il s’accompagne d’une injonction de maternité.

La composition de la Maison de la Reine, tant en Espagne qu’en France, montre clairement son rôle diplomatique jusque dans l’intimité du couple. Celle d’Anne d’Autriche est étudié en détail d’autant que le mariage est longtemps infructueux. C’est l’occasion de connaître les explications et les remèdes de l’infertilité à l’époque. Les connaissances en gynécologie étaient peu développées malgré les travaux, dès le XIXe siècle, à l’université de Bologne et plus spécialement de Benedetto Reguardati, le médecin de Francesco Sforza. L’autrice évoque les premiers traités. De la formation des enfants au ventre de la mère de Galien est traduit du grec par Guillaume Chretien. Une littérature qui se développe eu XVIe siècle.

Sont ensuite abordées la question de l’espérance de grossesse, des fausse-couches, des nouvelles qui parcourt les cours européennes. La grossesse est surveillée, l’annonce officielle attend, souvent, les premiers mouvements de l’enfant. C’est bien sûr un garçon qui est attendu, beaucoup plus fêté qu’une fille comme le montrent les accouchements de Marie Leszczynska. La grossesse est un outil ou un piège politique, il est vrai qu’une naissance peut être déterminante pour une dynastie, conforter ou non une alliance ; au point que les reines dont grossesse sur grossesse : 6 de 1601 à 1610 pour Marie de Médicis. Les fausses-couches sont nombreuses, la vie de cour est épuisante, les chutes fréquentes, mais les pratiques médicales sont peut-être en cause.Les naissances avant terme sont souvent fatales pour l’enfant. Les allusions à l’avortement sont rares, c’est un crime pour le pouvoir civil comme religieux.

La grossesse à la cour

À partir du troisième mois, la grossesse est encadrée de rituels religieux, des messes sont dites pour la délivrance non sans pratiques magico-religieuses : pèlerinage à Notre-Dame de Liesse, ceinture de naissance dite ceinture de la Vierge, dévotions à Sainte Anne, piété française ou étrangère. Les peintures montrent cette identification au culte mariale.

Au quotidien, la grossesse est une affaire de femmes, de sages-femmes, l’obstétricien n’est sollicité que lorsque que l’accouchement se prolonge. Pascale Mormiche relate l’accouchement fatal de Gabrielle d’Estrée en 1599. La reine va alors s’entourer de femmes expertes comme Louise Bourgeois pour Marie de Médicis. Elle fut la première a publié un ouvrage d’obstétrique. La concurrence est rude entre sages-femmes et chirurgiens, prisés des bourgeoises de Paris qui gagnent petit à petit du terrain à la cour comme Séverin Pineau, élève d’Ambroise Paré qui fut lui aussi un pionnier. L’autrice propose une galerie de portraits des sages-femmes de la cour.

Dès la seconde moitié du XVIIe siècle le rôle des chirurgiens accoucheurs devient plus important. On peut ainsi faire la connaissance de François Moriceau, Pierre Dionis, Julien Clément, Alexandre Bichet… Certains publient des traités et leur renommée s’étend dans l’Europe entière. Antoine Dubois au XVIIIe siècle est l’un des premiers à pratiquer une césarienne. C’est le début de la médicalisation de l’accouchement.
Le contrôle du corps des princesses passe par celui de l’alimentation par crainte de la dysenterie. Les activités et les déplacements, surtout l’équitation doivent être limités. Cela correspond à l’idée qu’il faut ménager le corps de la femme enceinte auquel pourtant les médecins prescrivent des saignées malgré le risque de fausse-couche.Les nombreux exemples montrent que ces préceptes avaient des effets très variables et entraînaient bien des querelles. Il faut aussi limiter les émotions. Même Ambroise paré pense que les imaginations peuvent générer des monstres. La présence des princesses enceintes aux divertissements de la cour est objet de controverses.

L’autrice aborde rapidement la question des relations sexuelles pendant la grossesse et décrit l’examen gynécologique par les sages-femmes et par les accoucheurs, à une époque où la pudeur est grande. La question de la stérilité ponctuelle ou durable des couples princiers permet d’évoquer les cures et autres remèdes. Le cas de la Dauphine Marie-Josèphe de Saxe montre à quel point cette situation intime est, à la cour, un sujet public. Son corps est objet d’expérimentation pour les médecins du roi.

Se pose, enfin, la question cruciale : où accoucher ? Les princesses accouchent là ou réside la cour : Fontainebleau, Versailles, Saint-Germain. Pascale Mormiche décrit la chambre de l’accouchée, le berceau, la layette.

À partir du 7e mois, les robes prennent en compte l’évolution du corps, mais on représente rarement, en peinture, une reine enceinte.

Enfin, il s’agit d’aborder le terme de la grossesse, souvent mal défini, et l’accouchement lui-même. Les perceptions féminines et masculines sont très présentes dans les lettres. Louis XIV a accompagné toutes les femmes de son entourage, il est vrai que l’accouchement est source d’angoisse tant pour la mère que pour l’enfant, ce qui n’empêche pas l’existence d’un protocole précis : cadeaux de la grand-mère maternelle souvent éloignée, courriers diplomatiques.

L’humaine naissance du prince : individu, héritier ou être politique ?

Ce troisième chapitre est consacré au moment de la naissance. Si l’accouchement est rarement présent dans les témoignages, c’est un moment de solidarité féminine : sages-femmes, sœurs et belles-sœurs, entourage de la reine ou de la princesse. On constate que, déjà, les praticiens cherchent à atténuer des douleurs perçues comme normales et, au plan moral, un rachat de la faute originelle.
Le moment important est l’annonce du sexe de l’enfant. L’autrice corrige l’erreur, souvent faite, d’un accouchement en public, comme le montre les exemples cités de Marie de Médicis à Marie Antoinette ou dans la maison des Orléans.

Juste après la naissance, l’enfant est ondoyé. Il convient ensuite de lui donner un titre. La cérémonie, si c’est un dauphin, vise à le légitimer. Le baptême qui lui donne son prénom ne survient que beaucoup plus tard.

L’annonce protocolaire de la naissance

L’analyse de cette annonce est celle d’une politique de l’émotion et du spectacle. Il ne faut pas oublier que la nouvelle, à la vitesse des courriers à cheval, n’est pas rapide, surtout si le roi est en campagne. Il faut ensuite avertir les cours d’Europe et Rome.
L’annonce amène à des visites protocolaires des envoyés des cours étrangères, des corps constitués. Les nombreux exemples présentés donnent vie à ce moment.

Pour Paris, un Te Deum pour remercier Dieu informe la population et des réjouissances sont organisées notamment en 1704 pour la naissance du premier arrière-petit-fils de Louis XIV, un été de fêtes décrites en détail, des fêtes dispendieuses au XVIIIe siècle.

L’annonce est aussi l’occasion de fêtes en province et la réalisation de portraits et autres « objets dérivés » (chansons, gravures, éventails…).

Suites et retour de couches

Retour à l’intime, cette période est marquée par des rituels précis comme la règle des 9 jours, un isolement de la mère pour son repos. Au-delà de 40 jours, ce sont les relevailles médicales, spirituelles et religieuses. On organise un ballet, en présence de la mère, et une messe. Ce délai n’est pas toujours respecté comme le montre l’autrice.

Les relevailles sont aussi un le temps de reprise des relations sexuelles pour ses « usines à bébés » que sont les reines et les princesses.

Pascale Mormiche évoque la mortalité en couche, sans doute plus faible que dans la population générale. La difficile naissance, en 1716, d’une fille de Louis XIV et Marie-Thérèse permet de montrer, à la fois, les inquiétudes pour la santé de la mère et les dévotions à la cour et dans le royaume. En cas de décès de la mère, c’est un protocole funeste. Les maîtresses royales ont payé un lourd tribut, l’autrice parle d’hécatombe. Le cas de Marie de Montpensier, l’épouse de Gaston d’Orléans permet une analyse médicale et politique.

Du côté de l’enfant

Très vite, il est confié à la maison des Enfants de France dont le personnel, notamment la gouvernante et la remueuse qui emmaillote et prodigue les soins corporels, et le fonctionnement sont analysés. Pas d’allaitement pour les princesses, donc des nourrices qui jouent un rôle durant toute la vie de l’enfant. Le recrutement et la tenue tiennent une grande place dans ce chapitre jusqu’à l’analyse de leur ascension sociale. Certaines firent de beaux mariages ou furent pensionnées dans leur vieillesse.

Les premiers mois du prince

Revenant sur l’ondoiement de l’enfant, ce chapitre montre les morts précoces : « Deuil des maillots », la prématurité assez fréquente, les enfants handicapés. Les difformités sont attribuées à des chocs psychologiques chez la femme enceinte.

L’autrice s’interroge sur les relations mère-enfant, au vu de la séparation dès les premiers jours. Elle décrit les soins d’une pédiatrie naissante : le maillot, des pratiques étonnantes : « je lui donnay dans sa queiller un peu de Mithridat destrempé avec du vin blanc, qu’il avala fort bien et en suça ses lèvres comme si c’eust esté du laict »

L’autrice cite ici (p. 444) un texte d’Héroard, médecin du roi à propos de la naissance du futur Louis XIII, c’est donc un nourrisson.

L’enfant vit ses premières cérémonies : le baptême 5 à 7 ans après la naissance. Le choix du parrain est très diplomatique, notamment en France en relation avec la papauté qui envoie des langes bénits. L’enfant est souvent confié à une confrérie religieuse. L’autrice décrit quelques baptêmes princiers.

Pour en savoir plus sur l’éducation des jeunes princes, le lecteur pourra se reporter à l’ouvrage de Sylvène Édouard, Les Devoirs du prince. L’éducation princière à la Renaissance, Classiques Garnier, 2014 et aux ouvrages de Pascale Mormiche, Devenir prince. L’école du pouvoir en France XVIIe-XVIIIe siècles, Paris, CNRS éditions, 2009 ainsi qu’à l’émission sur France Culture : Je voudrais déjà être roi, l’éducation des petits princes.

 

Un ouvrage riche, très documenté, complété d’une abondante bibliographie, il a été présenté sur France Inter : Il est né, le royal enfant. Il donne à voir la vie intime des princesses et princes des XVIIe et XVIIIe siècles.