Cette bande dessinée paraît à l’occasion des commémorations des 80 ans de la rafle des enfants d’Izieu. C’est en effet le 6 avril 1944 qu’un détachement de la Wehrmacht mené par la Gestapo arrête les 45 enfants de la colonie ainsi que 7 adultes qui les encadrent. Seuls un enfant et une éducatrice survivront, Samuel Pintel et Léa Feldblum.

L’auteur, Pascal Bresson, est un habitué des ouvrages qui invitent à un travail de mémoire indispensable auprès des jeunes générations. Ainsi, il a déjà publié L’Immortelle, un album retraçant la vie de Simone Veil, Beate et Serge Klarsfeld, l’adaptation des mémoires de ce couple légendaire ou encore Simone Veil et ses sœurs, où il explore une nouvelle facette de l’histoire de Simone Veil en traitant de son tragique passé familial.

Ici, il s’associe au prometteur Giulio Salvadori qui propose des dessins expressifs au style percutant. La simplicité des décors laissent toute la place nécessaire aux protagonistes de cette histoire tragique : les héros, les victimes, les témoins ou les bourreaux.

 

Des faits détaillés avec minutie et pédagogie

Début 1943, Sabine et Miron Zlatin créent à Izieu, dans l’Ain, une colonie afin d’accueillir et protéger des enfants juifs, en zone italienne. Mais le 8 septembre 1943, l’armée italienne capitule face aux Alliés et laisse ainsi la place aux troupes allemandes dans le Sud-Est de la France. Les persécutions antisémites s’y intensifient alors. Dans les premiers mois de 1944, plusieurs faits achèvent de convaincre Sabine Zlatin de la nécessité de disperser les enfants de la colonie.

Le 7 janvier 1944, le docteur Bendrihem, son médecin, est arrêté. Le 8 février 1944, la Gestapo rafle les locaux et arrête le personnel du siège de la 3e direction de l’UGIF à Chambéry, dont dépend la colonie d’Izieu. Le 6 mars 1944, le remplacement du sous-préfet de Belley, protecteur de la colonie, prive Sabine Zlatin de son principal soutien.

A Voiron dans l’Isère, la Gestapo rafle les enfants juifs de La Martellière dans la nuit du 22 au 23 mars 1944. Le 2 avril Sabine Zlatin est à Montpellier où elle espère trouver des points de refuge pour les enfants ; elle prévoit de rentrer à Izieu le 6 avril, le départ des enfants étant prévu par petits groupes le 11 avril. C’est là qu’elle apprend la nouvelle de la rafle, par un télégramme que lui adresse une secrétaire de la sous-préfecture de Belley.

Léon Reifman distribue le courrier aux enfants sous le regard de Miron Zlatin (© Maison d’Izieu)

 

Le 6 avril 1944, un détachement de la Wehrmacht et 3 officiers SS embarquent les quarante-cinq  enfants et les sept adultes de la colonie. Seul échappe à la rafle Léon Reifman qui a pu sauter par la fenêtre et trouver refuge chez les voisins, les Perticoz. Ces derniers ont assisté, impuissants, à la rafle. Les prisonniers sont emmenés à la prison de Montluc à Lyon. Le soir du 6 avril 1944, à 20h10, Klaus Barbie signe et envoie un télex à Paris, adressé au responsable de la police de sûreté et des services de sécurité en France, à l’attention du service des affaires juives de la Gestapo. Il y annonce la rafle de la colonie d’Izieu, dénombre les personnes arrêtées et mentionne leur transport à Drancy le 7 avril 1944. A l’exception de deux adolescents et de Miron Zlatin fusillés à Reval (Tallinn) en Estonie, le groupe d’enfants et d’éducateurs est déporté à Auschwitz-Birkenau. 42 enfants et 5 adultes y sont assassinés.

Télex du 6 avril 1944 (© CDJC Mémorial de La Shoah)

 

Le bande dessinée s’intéresse aussi à la mémoire qui entoure cette tragique rafle. Le 5 février 1946, Edgar Faure évoque l’affaire d’Izieu devant le tribunal militaire international de Nuremberg. Il lit le télégramme signé de Klaus Barbie. Traqué par Beate et Serge Klarsfeld et ramené en France, ce dernier est jugé à Lyon puis condamné pour crime contre l’humanité en 1987. Léa Feldblum, Julien Favet, Gabrielle Perrier, Léon Reifman et Sabine Zlatin sont bien sûr présents et apportent leur témoignage. En face, défendu par Maître Vergès, Barbie reste froid et ne reconnaît à aucun moment sa propre responsabilité. En 1994, en présence du président de la République François Mitterrand et de Sabine Zlatin, est inauguré le mémorial de la Maison d’Izieu, un « lieu de mémoire, d’éducation et de vie ».

 

La question d’une dénonciation au cœur de l’intrigue

La bande dessinée aborde la possibilité d’une dénonciation. En effet, des soupçons ont pesé sur un paysan, réfugié lorrain, Lucien Bourdon, présent le jour de la rafle au côté des Allemands. Il a été jugé à Lyon le 13 juin 1947. L’accusation de dénonciation n’a pas été retenue, aucune preuve, aucun aveu, aucun témoignage n’ayant permis de la légitimer. La Cour le juge uniquement « coupable d’indignité nationale ». Il est condamné à « la dégradation nationale à vie » et immédiatement remis en liberté.

La lecture de l’ouvrage suggère aussi que la présence des enfants juifs à Izieu n’était ni secrète, ni clandestine. Mais le doute subsiste encore. A partir de quelle information la Gestapo de Lyon a-t-elle été en mesure d’ordonner et d’organiser l’arrestation de la colonie d’Izieu ?

Les pistes sont nombreuses : les courriers échangés entre les enfants et leurs familles, les traces administratives de l’installation et de la gestion quotidienne de la colonie, la scolarisation des plus grands à Belley, les informations récoltées par la Gestapo lors de la rafle des locaux de l’UGIF à Chambéry, etc.

 

Cette bande dessinée réussit donc le pari de s’intéresser, de manière rigoureuse et bien documentée, aux évènements, aux acteurs et aux objets qui ont fait ce drame. Le télex de Klaus Barbie, le sifflet offert par Raoul Bentitou à l’institutrice Gabrielle Perrier afin de l’aider à regrouper ses élèves ou encore les photographies immortalisant les moments de joie et de convivialité sont autant de preuves de la formidable humanité qui habitaient la colonie d’Izieu mais aussi de la folie mortifère de l’idéologie nazie.
L’intrigue est efficace et devrait susciter chez les jeunes une réflexion intéressante autour des notions de solidarité et de lutte contre le racisme. Dominique Vidaud, directeur de la Maison d’Izieu, est l’auteur d’une postface intéressante.
Cet ouvrage, par son sérieux et sa pédagogie, a donc toute sa place dans les CDI, médiathèques et bibliothèques personnelles.