Laurent Fabius, que l’on ne présentera pas, souhaite avec ce livre évoquer des tableaux qu’il aime et qu’il considère comme importants. Il en annonce douze dès le titre, mais en réalité la galerie est beaucoup plus fournie que cela ! En effet, chaque tableau choisi est l’objet ensuite d’une mise en réseau et en écho avec d’autres. Soulignons qu’un tel procédé permet d’éviter l’explication monographique qui, certes peut être intéressante, mais aurait singulièrement réduit l’intérêt du livre.

L’auteur a donc choisi de partir de tableaux pour évoquer des thématiques. Chaque chapitre comporte une quinzaine de pages pour un total de douze chapitres. Les reproductions sont nombreuses ce qui est vraiment agréable, notamment pour suivre le discours. Alors pourquoi de sa part un tel livre ? Il insiste sur son histoire, à savoir qu’il a baigné dans le monde de l’art, mais que la peinture lui est longtemps restée hermétique. C’est donc en tant qu’amateur, dans les deux sens du terme, qu’il entend aborder son récit.

Des tableaux qui font la France

Une telle idée mérite d’être éclaircie. Il peut s’agir par exemple de tableaux tellement connus qu’on les associe à la France comme le dessin de David sur le serment du Jeu de Paume. Mais il n’hésite pas à englober des peintres non français, comme Picasso avec la femme se coiffant car la contextualisation du tableau le relie à l’histoire de France.
Le choix est forcément subjectif, et assumé comme tel, et comment pourrait-il en être autrement ? Laurent Fabius ne se limite pas à la peinture en tant que telle et il se risque même sur des terrains comme la bande dessinée. Pour beaucoup de tableaux, il n’y a pas de révélation car tel n’est pas le propos du livre. Jouant du fait de ne pas être un spécialiste, il s’autorise des rapprochements et des connexions très libres. Ainsi il rapproche Renoir, Titien et Martial Raysse sous la bannière du thème de l’insouciance.

Le peuple d’abord

C’est par le peuple qu’il choisit de commencer son parcours en soulignant combien il a été longtemps absent des représentations picturales. Il évoque tout à tour Courbet, Jacques Callot ou encore Chardin. Il aborde aussi la France des villes et il s’agit là de l’une de ses périodes de prédilection comme il l’avoue lui-même. Il montre comment la ville surgit dans la peinture à travers notamment les nouveautés comme les ponts métalliques, que l’on retrouve dans les tableaux de Manet, et il choisit également d’évoquer Gustave Caillebotte. Il est frappé par le fait qu’on peut lire véritablement la société de l’époque dans ses tableaux : l’anonymat de la ville ou encore le conformisme bourgeois.

Des thèmes politiques

Laurent Fabius consacre également des chapitres à la politique avec la France parlementaire ou encore les chefs d’état. Ce dernier chapitre se révèle particulièrement réussi. Il n’hésite pas à naviguer entre David peignant Napoléon, et une affiche de campagne de Nicolas Sarkozy ! Il souligne de façon très intéressante combien le tableau d’Ingres de 1806 consacré à l’empereur est « raté », car il éloigne le chef de la population. C’est en effet dans un rapport de bonne distance que doit se situer le chef de l’Etat : ni trop près, ni trop lointain, au risque de paraître arrogant. Il remarque que la position des visages fait en sorte d’éviter les regards frontaux jugés comme trop brutaux et cela se retrouve encore dans les affiches de campagne des hommes politiques.

Impertinence et insouciance

L’auteur cherche aussi peut être à surprendre à travers deux entrées comme « impertinence » et « insouciance ». Cela permet de voir un peu différemment un tableau qu’il juge tellement connu, « le déjeuner des canotiers » de Auguste Renoir, qu’on a parfois du mal à conserver de la fraîcheur pour le regarder. Il n’hésite pas à se faire lyrique alors pour montrer combien la vision délivrée ici correspond à une certaine image de la France notamment à l’étranger. Il conclut le chapitre en montrant la disparition de ce genre de représentation de ce sentiment, peut-être à cause des tragédies du XXe siècle qui ont fait s’effacer cette idée, ou encore à cause de la récupération par la publicité.

Des approches parfois singulières

On peut remarquer d’autres choix comme celui de traiter de « Sport et peinture » avec Nicolas de Stael ou encore « peindre pour tous » en utilisant alors comme entrée la bande dessinée.
Dans le premier cas, il souligne utilement combien dans les tableaux de Rembrandt ou de Brueghel par exemple, on assiste à des évocations de scènes du quotidien comme le cabaret ou les jeux en plein air. A ce titre l’œuvre de Nicolas de Stael donne une vraie place aux loisirs du début du XXe siècle et est la première en quelque sorte à réconcilier sport et peinture.

En refermant le livre, on a ainsi sillonné avec plaisir, naviguant plutôt dans les eaux connues des classiques, mais avec une mise en réseau plutôt efficace. On sent cette volonté de faire partager ses émotions, et même si face à l’art, le plus important est le ressenti individuel, le guide nous accompagne agréablement tout au long de ces pages, entrouvrant quelques portes qu’il appartient alors à chacun de franchir ou non.

© Jean-Pierre Costille