Durée du DVD 1 : 1h43
Durée du DVD 2 : 1h46
Version originale hébreu sous-titrée français, Version allemande
Couleur et N&B
Son Dolby Digital Stereo
Format écran 16/9
PAL – Zone 2
Complément de programme : livret de 36 pages (interview du réalisateur Raphaël Nadjari et biographies des personnalités du film)

Raphaël Nadjari est un réalisateur né en France en 1971, qui tourne à New York en 1998 son premier long métrage, The Shade, présentée en 1999 à Cannes dans la section « Un certain Regard ». En 2001 son deuxième film, I am Josh Polonski’s Brother, est présenté au Forum du Festival de Berlin, et son troisième film, Apartment #5C (2002), est sélectionné à la Quinzaine des Réalisateurs au Festival de Cannes 2002. En 2003 il s’installe en Israël et tourne à Tel-Aviv, en hébreu, Avanim (2004), film sélectionné au Festival de Berlin et présenté en avant-première au MOMA de New York pour sa réouverture (pour ce film, R. Nadjari a reçu le Prix France Culture du meilleur cinéaste 2005). Puis il tourne à Jérusalem Tehilim (2007), sélectionné en compétition officielle au 60e Festival de Cannes, présente au MOMA et grand prix à Tokyo Filmex. Une Histoire du Cinéma israélien est son premier documentaire, présenté au Forum du Festival de Berlin en 2009 et diffusé sur Arte en mai 2009. Comme le titre l’indique, il s’agit d’un regard personnel sur le cinéma israélien, un travail d’étape construit autour d’extraits de films (essentiellement de fiction), bien sûr, mais aussi d’entretiens avec des réalisateurs (par exemple Amos Gitai), des producteurs (comme Menahem Golan), des scénaristes, des acteurs (souvent réalisateurs comme Ronit Elkabetz), des historiens, critiques et enseignants de cinéma, soit 34 personnalités présentées dans le livret qui accompagne les dvd. Le documentaire est divisé en deux époques et couvre la période 1932-2007.

1932-1978

La première partie, qui couvre la période 1932-1978, est dominée par le discours idéologique et didactique du sionisme, et par la création de l’État d’Israël. Oded l’errant (Haim Halachmi, 1933) est un film muet racontant l’histoire d’un enfant perdu qui parcourt Eretz-Israël et que des bédouins ramènent dans son village) est considéré comme le premier film (de fiction) israélien, même s’il y eut une production en Palestine dès l’invention du cinéma, vers 1896-1897 :

http://www.mfa.gov.il/MFA/MFAArchive/1990_1999/1999/9/Book%20Reviews#films

http://www.mfa.gov.il/MFA/MFAArchive/1990_1999/1999/9/Silent%20Films%20in%20Palestine

La particularité de cette production cinématographique est d’avoir été une production « pré-nationale », au sens où, parce que le cinéma et le sionisme sont nés à la même époque, le cinéma a été considéré comme un des moyens de forger une identité nationale dans une nation en devenir puis en lutte pour sa pérennité. Cette production cinématographique d’avant-guerre (illustrée par le documentaire Avodah, réalisé en 1935 par Helmar Lerski, qui montre le travail des premiers colons sionistes en Palestine) est donc un cinéma de propagande, inspiré de modèles européens : celui du cinéma soviétique, mais aussi les thèmes de l’homme nouveau, jeune, viril et actif, qui prend en main son destin, tournant le dos à la tradition juive religieuse.

Le cinéma israélien ne renaît qu’après la Seconde Guerre mondiale, et doit affronter la Shoah. Le film documentaire The Illegals (Meyer Levin, 1947), qui s’ouvre sur les ruines du ghetto de Varsovie, évoquant plus l’insurrection menée par de jeunes résistants sionistes que la solution finale, montre la difficile immigration illégale en Palestine d’un couple de Juifs polonais, par train puis par bateau, jusqu’à en fait un camp d’internement anglais à Chypre

http://movies.nytimes.com/movie/review?res=9906E5D7133BE33BBC4D52DFB1668383659EDE

Puis le pionnier d’avant guerre se transforme en combattant et en héros individualisé dans les films de guerre d’après 1948, comme Hill 24 doesn’t answer (Thorold Dickinson, 1955, sur la guerre de 1948 et le rôle de l’ONU). Cette production n’est pourtant pas soutenue par le gouvernement de Ben Gourion, jusqu’au tournage et au succès international énorme d’Exodus (Otto Preminger, 1960 ) qui provoque un afflux de dons de Juifs et de non Juifs du monde entier. Confronté depuis les années 1950 à l’arrivée massive d’immigrants qui ne parlent pas hébreu et qui transforment la société israélienne en société multiculturelle, Ben Gourion songe alors à faire du cinéma un outil de cohésion sociale, toujours sur le schéma sioniste militant, avec des films comme par exemple They Were Ten (Baruch Dienar, 1960)

http://movies.nytimes.com/movie/review?res=9805E3D7133DE733A2575BC1A9629C946091D6CF

Mais, dans les années 1960, dans une société qui s’embourgeoise et qui s’ouvre à l’individualisme, au libéralisme et à la consommation, le public se détourne des films sionistes et l’on voit apparaître des films inspirés de standards hollywoodiens, par exemple un « film noir » israélien comme El Dorado (Menahem Golan, 1962). C’est au producteur Menahem Golan, au réalisateur Efraïm Kishon (juif hongrois) et à l’acteur Topol qu’on doit le plus grands succès du cinéma israélien, Sallah Shabati (1964, histoire d’un nouvel immigrant venu d’un pays arabe, figure carnavalesque et dramatique qui vend sa fille à un gars du kibboutz), sélectionné pour l’Oscar du meilleur film étranger (mais le ministre de la Culture et Golda Meir tentèrent d’entraver sa diffusion internationale, craignant qu’il donne une mauvaise image d’Israël, d’autant qu’il parodiait les institutions et le fonctionnement du kibboutz.

http://www.jewlicious.com/2006/05/classic-israeli-movie-of-the-week-1-sallah-shabati/

La même année sort Un trou dans la lune (Uri Zohar, 1964), métaphore moderniste et burlesque de l’entreprise sioniste assimilée au tournage d’un film dans le désert. Avec ces deux films, le cinéma israélien avance dans deux directions : d’un côté un cinéma commercial populaire à grand succès, le cinéma « bourekas » (du nom d’une pâtisserie orientale prisée des juifs séfarades) souvent consacré aux conflits entre séfarades et askhénazes

http://www.israfilm.com/100ans/les_films_bourekas.htm

http://en.wikipedia.org/wiki/Bourekas_film

de l’autre un cinéma d’auteur existentialiste, la Nouvelle Sensibilité, inspiré en partie de modèles européens (la Nouvelle Vague)

http://www.israfilm.com/100ans/modernite.htm

http://www.amazon.fr/cinéma-israélien-modernité-Ariel-Schweitzer/dp/2738457975/ref=sr_1_1?ie=UTF8&s=books&qid=1238407628&sr=1-1

Mais les valeurs sionistes, qui semblaient oubliées voire rejetées, refont surface à la fin des années 1960, à la faveur de la Guerre des Six Jours : la production cinématographique de cette époque montre une société masculine qui ne trouve pas de sens, de but dans la vie privée mais au contraire dans la guerre – He walked through the fields (Yosef Millo, 1967), Every Bastard a King (Uri Zohar, 1968) – et qui confisque leur féminité aux femmes (une jeune veuve de guerre dans Siège, Gilberto Tofano, 1969, film largement initié par son actrice principale Gila Almagor). Les années 1970 voient le cinéma bourekas prospérer (avec des réalisateurs de comédies comme Zeev Revach) au moins jusqu’à la guerre du Kippour qui vide les salles, et la Nouvelle Sensibilité osciller entre introspection individualiste d’une génération en crise qui rejette les valeurs sionistes (les films de Uri Zohar comme Peeping Toms, 1972 : Zohar tourne son dernier film en 1977 puis devient un rabbin orthodoxe) et politisation, remettant en cause le rôle de l’armée (Les Parachutistes, Yehuda Ne’eman, 1977). 1977 est un tournant : pour la première fois depuis la création de l’État d’Israël, la droite arrive au pouvoir, et le regard des cinéastes change. Kirbeth Hiza’a (1977) de Ram Levi (directeur de l’unité Fiction de la télévision israélienne), interdit d’antenne, est finalement diffusé après une forte mobilisation : c’est le premier film de fiction israélien à montrer l’expulsion des Palestiniens en 1948.

1978-2007

La 2e partie du documentaire examine la période 1978-2007. Alors que la 1e partie s’ouvrait sur un extrait d’un film américain, The Light ahead (Henry Felt, Edgar Ulmer, 1939), montrant un vieux Juif d’Odessa qui se plaint en yiddish des persécutions et des souffrances du peuple juif et qui demande à Dieu pourquoi il se tait, cette seconde partie s’ouvre sur un extrait de The Wooden Gun (Ilan Moshenson, 1979), où des garnement qui ont blessé un camarade rigolent, pendant que le directeur de leur école (?) leur rappelle les valeurs du sionisme et les espoirs qu’ils représentent pour la classe ouvrière et des millions de martyrs (le film évoque la rivalité entre des enfants immigrants venus d’Europe et des « sabras », première génération d’enfants nés en Israël, dans le Tel Aviv des années 1950). C’est ce même thème de l’opposition entre Juifs de l’exil et sabras qui est au cœur de Transit (Daniel Washman, 1979), entre un père sensible et fragile, exilé en Israël pour fuir le nazisme mais qui veut retourner en Allemagne car il ne se sent pas intégré, et son fils né en Israël, fort, joyeux et parfaitement intégré. Après Ram Levi, dans Hamsin (1982), Daniel Washmann traite des relations politiques, sociales et amoureuses entre Juifs et Arabes dans une ferme de Galilée et porte un regard neuf sur le conflit israélo-palestinien, loin des stéréotypes qui attribuaient à l’Arabe, dans le cinéma israélien, la même place négative que celle de l’Indien à Hollywood. Le même changement de perspective se retrouve dans Derrière les barreaux (Uri Barbash, 1984), film de prison qui montre non pas une évasion mais l’amitié, la solidarité et la réconciliation entre détenus juifs et arabes, et dont les héros sont un voleur juif et un militant de l’OLP.

Le cinéma israélien de la fin des années 1970 et des années 1980 est ainsi un cinéma plus politique, encouragé par la création en 1978 d’un Fond d’aide « au cinéma de qualité », qualité signifiant vite message politique mais aussi rejet par le public. Ce cinéma politique, où jouent des des acteurs arabes, parle de la fraternisation possible entre Juifs et Arabes, par une histoire d’amour à la Romeo et Juliette notamment – On a narrow bridge (Nissim Dayan, 1985) par exemple -, critique la société israélienne (Mariage fictif, Haïm Bouzaglo, 1988, film qui reçut un Oscar : un professeur de lycée en crise, déguisé en ouvrier arabe, observe la société), parle de Tsahal au Liban – Avanti Popolo (Rafi Bukai, 1986 : film anti-guerre du Liban sur le voyage de deux soldats égyptiens qui rentrent chez eux après la guerre des Six Jours : l’un d’eux récite le discours de Shylock aux chrétiens dans Le Marchand de Venise, c’est le nouveau Juif, tandis que les méchants sont les soldats israéliens), Ricochets (Eli Cohen, 1986) et Le Temps des cerises (Haim Bouzaglo, 1991) – ou se dresse contre l’État, comme Déportation (Avi Mograbi, 1989 sur la déportation des militants palestiniens), , ou La vie selon Agfa (Assi Dayan, 1992 : fable accusatrice et très violente financée par le Fonds d’aide et la télévision d’État, signée de l’un des fils de Moshe Dayan, ancien chef d’État-major de Tsahal, qui décrit un monde totalement corrompu, en panne, détraqué et se termine par un massacre opéré par des soldats de Tsahal), à l’époque des Intifadas.

Par la suite, face à une société de plus en plus divisée et des espoirs de paix qui s’éloignaient, le cinéma israélien a délaissé l’État, les frontières, les conflits (encore que le documentaire évoque Beaufort, Joseph Cedar, 2007, mais pas Valse avec Bachir, Ari Folman, 2008), pour investir le terrain de l’intime et du singulier, des minorités, de l’interrogation sur ce que c’est qu’être Israélien. Ce cinéma traite de la solitude, du désordre des sentiments, de la folie (Shuroo, 1991 et Lovesick on Nana Street, 1995, de Savi Gavison, ou Zohar, Eran Riklis, 1993) , mais aussi de l’homosexualité (Amazing Grace, Amos Guttman, 1992), de la construction, la vie et l’oppression des femmes israéliennes (Summer of Aviya, Eli Cohen, 1988 ; Aya : imagined autobiography, Michal Bat-Adam, 1994; Sh’chur, Shmuel Hasfari, 1994 ; Prendre femme, Ronit et Shlomi Elkabetz, 2004), du poids de la religion (Kadosh, Amos Gitai, 1999) ou de la famille (Mariage tardif, Dover Kosashvili, 2001 ; on pourrait ajouter Les Sept Jours, Ronit et Shlomi Elkabetz, 2008, non cité dans le documentaire). Ce cinéma de la diversité israélienne est souvent le fait d’une nouvelle génération de cinéastes, qui a fait des études dans des écoles de cinéma israéliennes, a grandi avec la télévision et a un langage cinématographique plus riche, à une époque (les années 1990) de crise du cinéma israélien, concurrencé par la télévision et dominé par le cinéma d’art peu populaire (le cinéma commercial ayant quasiment disparu). Le documentaire se termine par l’évocation de la tendance récente du cinéma israélien à devenir un cinéma social, moins introspectif, qui parle des écarts croissants au sein d’une société de plus en plus capitaliste (Broken Wings, Nir Bergman, 2002 ; Year Zero, Joseph Pitchhadze, 2004 ; Thirst, Tawfik Abu Wael, 2004, un film palestinien qui rappelle étrangement le documentaire de 1935 sur les premiers colons israéliens, Avodah) et qui continue à s’interroger (en particulier sur ses rapports avec le monde arabe, comme le montrent deux films récents, non évoqués dans le documentaire : La Visite de la Fanfare, Eran Kolirin, 2007, et Les Citronniers, Eran Riklis, 2008).

Bref, on l’aura compris, c’est un documentaire passionnant, qui nous offre une autre lecture de l’histoire d’Israël, et nous permet de découvrir une cinématographie riche et méconnue en France, sauf dans ses productions récentes. Même s’il évoque peu le succès récent du cinéma israélien sur le marché international, l’histoire de son organisation économique et ne livre pas une approche esthétique, il sera sans nul doute précieux pour de nouvelles approches du cours sur Israël et les guerres israélo-arabes, et pour tous ceux d’entre nous qui assurent, en plus de l’Histoire (ou des Lettres ou de toute autre matière), les cours de l’option cinéma en Lycée.

Laurent Gayme © Clionautes