« Enfance, éducation et société », l’une des indénombrables collections de l’Harmattan, propose ici une analyse sur un thème à la fois brûlant d’actualité mais reposant sur un problème commençant maintenant à bien dater : la réforme de l’école primaire.

Témoin ayant œuvré pour le système en son cœur, l’auteur, Jacques Broyer, ancien IEN de Bourgogne, expose en dix chapitres, un état des lieux à la fois clair et précis tout en proposant des pistes de solutions pour la plupart bien séduisantes car basées sur un bon sens qui fait hélas défaut dans notre machine.

Les problèmes prennent corps dès la maternelle. Les TPS, si difficiles à accueillir depuis les décisions du gouvernement précédent, font généralement le même travail que les PS sans programme réellement adapté à leurs capacités et subiront une redite l’année suivante. L’idée pourrait venir de passerelles entre les structures de la petite enfance et les classes de PS, d’autant qu’avec les fermetures de classes, les locaux existent.

Dans le détail, les priorités devraient s’axer sur la bonne tenue des « outils » et sur l’oral (dont la maîtrise apparaît surtout primordiale dans les zones difficiles) alors que les fichiers dominent.

Côté élémentaire, les échecs aux évaluations nationales révèlent un manque d’automatismes tant en mathématiques qu’en français. Un réel travail en équipe pourrait permettre d’aboutir à la création de vraies progressions où l’élève ne risque pas de revoir les mêmes notions sur tout un cycle. Sans réussir à faire progresser dans les fondamentaux, l’école délaisse également ses domaines secondaires et « intermittents » qui, il faut bien l’avouer, s’accumulent toujours sans que l’on n’en supprime vraiment.

Le vieux serpent de mer des rythmes scolaires est ensuite abordé. Comme bon nombre d’enseignants le pensent, l’auteur invite les dirigeants à s’en saisir mais dans toute sa longueur (journée, semaine et année). Les emplois du temps sont presque toujours identiques (80 % d’entre eux proposent le français et les mathématiques le matin) et la journée trop longue. L’avis sur l’intérêt de la semaine de 4,5 jours n’est pas vraiment tranché, celui sur le rythme 7/2 l’est davantage mais on sait bien qu’il ne plait pas aux professionnels du tourisme (alors que seulement 10 % des élèves partent aux sports d’hiver).

Les enfants en difficulté et en situation de handicap font l’objet de développements spécifiques. Si les classes dessinent souvent une structure en trois tiers (bons qui peuvent s’ennuyer, moyens qui mobilisent toute l’attention, faibles que l’on ne peut vraiment aider), c’est en dessous de 25 élèves que l’on gagne en efficacité. L’esprit des RASED devrait être revu : directement piloté par l’IEN, en augmentant la fréquence des séances, il permettrait de « garder les pieds sur terre » : le maître devrait mieux maîtriser les processus d’apprentissages et leurs difficultés et non pas se transformer en un hyper spécialiste de telle ou telle déficience que l’on ne convoquerait que trop rarement. Les psychologues apparaissent, eux aussi, mal utilisés tout comme les AVS qui rendent pourtant bien des services. Le redoublement, quant à lui, n’apparaît pas salutaire.

La question de l’évaluation lance le débat sur la pertinence ou non de maintenir des notes. L’auteur les juge obsolètes puisqu’elles ne témoignent pas de l’apprentissage d’une compétence. Et l’on sait que ces acquisitions peuvent être lentes, progressives, passant même par de nombreux allers-retours chez les plus petits. Malgré tout, les livrets de compétences demeurent imbuvables de par leur densité.

La procédure d’évaluation des enseignants s’avère archaïque et inefficace (quand elle n’est pas carrément infantilisante) et permet juste de faire progresser sa note et non de repenser ses pratiques. Une solution serait d’évaluer à deux (pour croiser les regards) et restituer rapidement le contenu de la visite (on en a connu taper le rapport à l’ordinateur pendant la séance et ne le transmettre que 6 mois après…). Réfléchir en amont aux éléments à évaluer serait également souhaitable.

Le volet sur la formation et sur le recrutement revient sur certaines aberrations comme la liste complémentaire mais surtout sur l’idée qu’une remise à niveau différenciée des candidats serait à penser (tous n’arrivent pas avec le même bagage). Le contenu des formations des ESPE devrait être contrôlé (cela n’avait pas été fait pour les IUFM). Quant à la formation continue, subie, elle apparaît pour le moins contre productive. Une qualification donnée à l’arrivée ne motiverait-elle pas davantage les troupes ?

L’éternel débat sur la place des parents à l’école révèle qu’un bon dosage et une bonne communication sur l’intérêt de l’investissement dans le travail aide à la motivation de l’élève. Le Conseil d’école, souvent longuet et fuyant les vraies questions, devrait être un cadre favorisant ce partenariat.

Enfin, dans un dixième chapitre, Jacques Broyer en termine sur la gestion administrative du système éducatif. Le rôle ambigu de l’IEN, notable en apparence puissant localement mais dépendant des volontés de son directeur départemental (pas nécessairement en contradiction), fait que la fonction n’attire plus les candidats. Le statut lui-même est menacé. Pire est celui du directeur d’école qui n’a aucun pouvoir. Les regroupements d’écoles pourraient permettre d’obtenir des seuils d’effectifs plus élevés pour confier aux directeurs de véritables missions de pilotage (tout en améliorant, au passage, les conditions d’accueil dans des bâtiments plus grands et mieux équipés…mais la question se pose autrement en zone rurale). Les dernières pages s’arrêtent sur deux spécialités de la « maison » Education Nationale : la carte scolaire et le mouvement.

Un tour d’horizon complet et honnête de la question et des pistes tout à fait intéressantes. Si l’auteur prêche encore, par endroits, pour son ancienne paroisse (p 26 : « la documentation pédagogique excellente donnée par le ministère, les conseils très pratiques donnés par les Inspecteurs et leurs collaborateurs… » ou p 107, au sujet des lauréats déracinés, « confiés aux équipes de circonscription, ils sont rassurés, outillés, soutenus dans les moments difficiles… » : précisions tout de même que l’on en a connu se faire incendier pour bien peu et trouver, dans les dites équipes, la source des dits moments difficiles), force est de constater que son regard d’expérience est réaliste (système d’inspection à repenser, animations pédagogiques au public passif ou hostile…) et que le métier d’enseignant lui est cher (p 120 : « le temps de présence avec les parents devrait être pris en compte dans le service d’une manière ou d’une autre »).

Une question demeure : pourquoi attendre la retraite pour parler ? Le temps devenu totalement libre sans doute, même si on peut supposer la charge occasionnée par l’écriture du livre en lui-même n’a pas du être insurmontable, ces limpides 143 pages se lisant très fluidement et témoignant d’un vrai vécu du sujet. La raison n’est-elle pas à rechercher dans le fait de ne plus « faire partie de » et d’avoir totale liberté de parole en étant affranchi du « devoir de réserve » ? Tout en souhaitant que notre collègue continue à accompagner la refondation de l’école d’une manière aussi lucide, la Cliothèque veille pour diffuser les pistes de solutions, sans attendre, dès qu’elles nous parviennent entre les mains et les yeux.