Numérique et éducation : solution ou illusion ? Dépassant une alternative stérile, cet ouvrage s’empare de quatorze mythes et les décortique avec brio. Six ans après une première édition les rapports entre numérique et éducation se retrouvent encore plus au cœur des débats. Les auteurs reprennent donc en partie leur ouvrage en l’actualisant avec de nouvelles recherches ou l’examen de nouveaux mythes.

Une collection pour débrouiller mythes et réalités 

André Tricot est professeur de psychologie cognitive à l’université Paul Valéry de Montpellier et membre du laboratoire Epsylon. Franck Amadieu est professeur de psychologie cognitive à l’université de Toulouse et membre du laboratoire CLLE.  La collection « Mythes et réalités » a déjà fait l’objet de nombreuses recensions sur le site comme « L’origine sociale des élèves » en 2019. 

Avec l’utilisation du numérique vient forcément la question de son efficacité et, sur ce point, les auteurs énoncent clairement qu’une réponse générale est impossible. Cependant, ils citent en introduction plusieurs exemples qui tendent à montrer que, pour le moins, le numérique change les choses. Les mythes sont donc analysés de la façon suivante : que dit le mythe et qui le dit ? un bilan des travaux scientifiques, quelques exemples et enfin une conclusion et des pistes pour l’action. « Il est beaucoup plus raisonnable de considérer le numérique comme une immense famille d’outils dont nous devons apprendre à quoi ils servent avant de nous en servir. Nous pourrons ensuite imaginer de nouveaux usages. »

Outils et usages

La première entrée se demande si les élèves seraient portés sur les outils modernes tandis que les enseignants seraient accrochés à de vieux outils. En réalité, les perceptions sont ambivalentes et les élèves préfèrent parfois utiliser des outils traditionnels comme livre et stylo. Les élèves peuvent aussi se lasser des tablettes pour des raisons de problèmes techniques ou parce que les activités proposées ne s’appuient pas vraiment sur les possibilités qu’elles offrent. Une autre entrée revient sur l’idée que la nouvelle génération saurait instinctivement utiliser efficacement le numérique. Ils connaissent en réalité quelques outils très ciblés. «  Savoir utiliser certaines fonctions d’un outil numérique ne signifie pas savoir apprendre avec cet outil. » Il faut distinguer la tâche d’utilisation de l’apprentissage même si la première est un préalable à la seconde dans un environnement numérique. 

Une autre entrée montre combien l’enseignement du code s’est diffusé. En réalité, ce n’est pas totalement nouveau mais l’arrivée de Scratch a dynamisé cet apprentissage. L’essentiel est que le code ne soit pas un but dans l’absolu mais un moyen d’accéder à d’autres compétences réutilisables. Les auteurs reviennent également sur l’intelligence artificielle et ses apports. Il faut également se souvenir qu’ «apprendre c’est modifier de façon durable ses connaissances et comportements sous l’effet de l’expérience ». 

Un apprentissage facilité ? 

Plusieurs entrées développent à leur manière cette interrogation. Le numérique doit servir à enrichir l’environnement, pas à remplacer les enseignants. Parmi les études sur les formations à distance quelques points sont à retenir : ce qui facilite l’apprentissage ce sont les formations où sont facilitées les interactions étudiant-contenu. Les facilitateurs d’interaction auraient un effet sur l’engagement cognitif. Le numérique favorise-t-il l’autonomie des apprenants ? Dans cette entrée les auteurs reviennent notamment sur la vogue pour les Moocs. Ce qui fonctionne bien ce sont les outils de guidage  par les plateformes en ligne que les auteurs appellent «  prompts ». Ce sont des guides qui se présentent sous forme de questions simples comme «  de quoi parle le texte ? » ou encore des phrases à compléter. La conclusion des auteurs est que «  pour être autonome, il faut parfois être accompagné et guidé ». Un des apports intéressants du numérique est qu’on peut être évalué par un ordinateur : le feedback fourni ainsi peut être perçu comme non menaçant et, surtout, il peut permettre un retour quasi-immédiat, ce qui est une des conditions pour qu’il puisse être intégré par l’élève. 

Des interrogations

Une interrogation légitime porte sur les écrans. Est-ce que ceux-ci détériorent la lecture ? On peut tout de suite souligner que l’ère du numérique est une ère où nous lisons beaucoup : 1h46 par jour au début des années 70 et 4h30 en 2010. Au-delà des aspects médicaux, des études relèvent globalement une supériorité de la lecture papier sur la lecture numérique mais il faut aussi souligner que lire sur écran nécessite de nouvelles compétences. Deux hypothèses sont aujourd’hui débattues : la « lecture numérique entrainerait plutôt des traitements de surface des contenus et elle serait plus exigeante cognitivement ».  

Nouvelles solutions ? 

André Tricot et Franck Amadieu s’interrogent pour savoir si le numérique permet un apprentissage plus actif. De façon très claire, les auteurs relèvent ce qui est jugé efficace : produire du contenu, proposer plusieurs représentations d’une même information ou encore proposer des accompagnements pour soutenir l’apprentissage. Il faut se garder d’une illusion qui serait de croire que rendre interactif des contenus serait suffisant pour permettre un apprentissage actif efficace. On peut poursuivre en repérant d’autres bonnes pratiques. Il est fondamental d’animer l’essentiel et non les détails dans une présentation. Les auteurs pointent également quelques éléments parfois contre intuitifs. Ainsi « les animations se révèlent supérieures aux images statiques lorsque le rythme de l’animation est imposé et non lorsqu’il est contrôlé par l’apprenant ». Une autre entrée est consacrée au jeu sur lequel un autre ouvrage de la collection vient de se focaliser. 

Le quatorzième mythe étudié amorce la conclusion puisqu’il porte sur le fait de savoir si le numérique va modifier le statut des savoirs, des enseignants et des élèves. Pour les auteurs il faut garder en tête la distinction entre apprendre et enseigner. Autrement dit, les ressources ne peuvent pas remplacer un enseignant. André Tricot et Franck Amadieu réaffirment avec force qu’un outil n’est pas un dispositif pédagogique. Il faut mesurer que les outils numériques représentent souvent des exigences cognitives supplémentaires et pas forcément des solutions de facilité. 

Pour prolonger l’approche on ne saurait que trop conseiller de consulter le rapport du Cnesco sur le numérique.

 

Jean-Pierre Costille pour les Clionautes