Etudier l’évolution des pratiques guerrières depuis les origines jusqu’à nos jours, voilà l’objectif affiché par la nouvelle série d’ouvrage des éditions Passés Composés. Pour atteindre cet objectif ambitieux pas moins de 4 tomes sont prévus dont la coordination a été confiée à un des spécialistes du sujet, Hervé Drévillon.
La direction du premier tome, consacré à la période s’étendant de la préhistoire à la fin du Moyen Âge, revient à Giusto Traina. Un ouvrage imposant avec près de 750 pages qui comprend des cartes et une iconographie commentée, le tout en couleur. Il est divisé en 6 parties, chronologiques dont deux seulement couvrent le Moyen Âge. Chacune couvre une période ou un espace précis, et va au-delà d’une simple description du phénomène guerrier en s’intéressant à la place de la guerre dans la société étudiée et à sa théorisation.
Naissance de la guerre
Cette première partie nous emmène de la Préhistoire jusqu’au début du premier millénaire avant notre ère. La grande difficulté étant de réussir à déterminer quand ont commencé les guerres… C’est donc à partir des représentations et surtout des fouilles archéologiques qu’on peut essayer d’étudier le phénomène et tenter de voir ce qui distingue la guerre des autres actes de violences occasionnels. Le tout de manière très relative au vu des sources dont disposent les historiens. Les plus anciennes traces connues remontent à une dizaine de milliers d’années avec des sites tel que celui de Nataruk au Kenya qui comprend 27 squelettes d‘âges différents, dont certains victimes de flèches. Le néolithique est relativement mieux documenté par la présence d’un plus grand nombre de sites fouillés, notamment en Europe. C’est le début d’une compétition entre groupes humains pour la maîtrise de territoires.
L’Orient ancien dispose d’un plus grand nombre de sources permettant d’étudier le phénomène guerrier : vestiges archéologiques, inscriptions etc. Celles-ci restent cependant fragmentaires et incomplètes pour prétendre à l’exhaustivité. Elles sont souvent partiales : célébrant victoires plus que défaites, et un croisement de celles-ci s’impose. On peut cependant avoir une représentation du phénomène guerrier à Sumer grâce à l’étendard d’Ur ou à la stèle des vautours (charrerie, importance de corps de lanciers…). Tandis que la bataille de Qadesh opposant Egyptiens et Hittites fait partie des mieux documentées de la période. Des combats souvent sanglants et qui peuvent nécessiter des compétences en poliorcétique à l’image des conquêtes assyriennes.
Pour l’Europe de l’âge du bronze, nous sommes surtout renseignés sur la civilisation mycénienne et son aristocratie guerrière notamment grâce à l’étude d’Homère et aux autres sources archéologiques et épigraphiques. Quant à l’Asie, Inde et Chine, les textes, bien que postérieurs, complétés par l’archéologie, permettent de mesurer l’importance de la guerre et des moyens qu’elle nécessite.
La guerre à l’antiquité gréco-romaine
L’étude de celle-ci représente près de la moitié de l’ouvrage, avec 3 parties sur 6. Les civilisations nomades (Scythes, Alains, Huns…) ne sont cependant pas oubliées et, comme la Chine ou l’Inde, elles font l’objet d’au moins un chapitre dédié dans chacune des parties. Ce qui permet de mettre en perspective et de relativiser l‘idée d’un modèle occidental de la guerre chère à V.D Hanson.
La guerre se complexifie avec l’apparition d’états puissants et structurés capable de mobiliser des ressources humaines et financières importantes, nécessaires à la conquête ou à la défense de territoires qui dépassent le cadre de la simple cité : empire athénien, royaumes hellénistiques ou empire romain… Les auteurs montrent comment on assiste à une évolution de l’art militaire qui démontre une capacité d’adaptation aux progrès techniques et aux menaces : bataille hoplitique, phalange et cavalerie macédonienne, légion manipulaire romaine, cavalerie cataphractaire de l’armée romaine tardive …
Les types de troupes se diversifient, leur emploi se complexifie sur le plan tactique comme logistique : défendre le territoire de la cité athénienne ne nécessite pas les mêmes moyens et les mêmes tactiques que la défense de l’Empire romain. Il faut également pouvoir contrôler les mers et projeter les troupes au-delà de celles-ci comme surent très bien le faire les Athéniens avec leurs trières ou les Romains face à Carthage. L’élaboration de fortifications (à l’image du Limes) ou leur prise demande une maîtrise de la poliorcétique. Pour permettre aux dirigeants et militaires d’avoir les connaissances nécessaires à la pratique de l’art de la guerre, une véritable littérature apparaît, de la Chine à Rome, traitant de la tactique comme de la poliorcétique ou des stratagèmes à employer.
Les armées se transforment également dans leur composition. La mobilisation du corps civique ne suffit plus, le recours au mercenariat se développe dès l’époque de la Grèce classique tandis que l’intégration de contingents d’auxiliaires barbares est un élément caractéristique de l’armée romaine. Cela pose ainsi la question du rapport entre le politique et la guerre. A Rome, la capacité à étendre ou défendre l’Etat est une des sources de légitimité du pouvoir politique, républicain comme impérial.
La guerre à l’époque médiévale.
En Occident la transformation de la guerre est à l’image de la transformation des sociétés. On assiste au passage d’armées de fantassins et cavaliers à des armées dominées par la figure du chevalier. Les gens de pied sont relégués au rang d’auxiliaire mais cela ne veut pas dire qu’ils ne sont pas capables de contribuer à la victoire à l’instar des archers anglais de la guerre de Cent Ans. Tandis que les progrès technologiques permettent l’apparition de l’artillerie. L’organisation des armées donne une place centrale au chef (roi, suzerain…) qui rallie ses troupes derrière son étendard. Les motivations des combattants évoluent également, on ne se bat pas toujours pour défendre un état, on peut se battre pour sa foi (Croisades, ordres religieux militaires) ou pour son seigneur car on en est le fidèle vassal. Mais aussi pour des motifs plus intéressés comme le désir de butin ou de gloire … Les croisades et la guerre de Cent Ans constituent les principaux points d’entrée de cette partie.
Pour ce qui est des Orients médiévaux, la question des enjeux et procédés de défense de l’empire byzantin est la plus longuement traitée. Cet empire multinational est en effet confronté à de nombreuses menaces à l’Ouest (Barbares, Slaves, Croisés..) comme à l’est (Sassanides, Arabe, Turcs…) mais arrive cependant à se maintenir près d’un millénaire. Il témoigne ainsi d’une grande capacité d’adaptation aussi bien sur le plan stratégique que tactique. Mais les autres empires orientaux, musulmans, mongols et chinois sont aussi abordés. Comme les Byzantins, mais avec bien plus de ressources, les Chinois doivent faire face à la menace nomade. Comme eux, ils le font en empruntant à leurs adversaires leurs tactiques (cavalerie lourde) mais aussi en fortifiant leurs cités et leur frontière ou en développant l’artillerie. Cela n’empêche cependant pas la redoutable machine de guerre mongole de soumettre la Chine et de bâtir un empire eurasiatique immense capable de menacer aussi Européens et Arabes. Des Musulmans qui, comme les Mongols, disposent d’armées mobiles avec de très nombreux archers à cheval à l’origine de nombreuses victoires. Mais une fois les territoires conquis, ils sont capables de bâtir des fortifications élaborées et font évoluer leurs armées à l’image des Mamelouks ou des janissaires ottomans.
En conclusion
D’une lecture aisée, les 750 pages de l’ouvrage traitent plus en profondeur gréco-romaine. Mais il faut reconnaître qu’arriver à l’équilibre parfait semble difficile au vu de l’amplitude des périodes et lieux étudiés ainsi que de l’accès aux sources. Les tomes suivants, plus resserrés dans le temps devraient éviter cette remarque.
Un livre cependant séduisant à la fois par son contenu et par sa forme. Les cartes couleurs sont un plus, peu d’ouvrages sur ces thèmes font l’effort d’avoir des cartes lisibles. Quant à l’iconographie, sa diversité fournit un complément utile sur la représentation de la guerre dans les sociétés étudiées et ne se contente pas d’illustrer
Compte-rendu de François Trébosc, professeur d’histoire géographie au lycée Jean Vigo, Millau