Michael Bunel, photojournaliste, et Lucas Vallerie, auteur-illustrateur, se sont rencontrés sur le Geo Barents, navire de sauvetage de Médecins Sans Frontières. Nous sommes en juin 2022, tous deux sont venus pour un reportage sur la sauvetage en mer de ceux qui tentent de franchir la Méditerranée. C’est de la complémentarité de leurs journaux quotidiens qu’est né ce très bon roman graphique.

Les auteurs, en croisant leurs notes, dessins et photographies témoignent au jour le jour.

En route pour Naples

Le récit d’un début d’aventure : préparation, appréhensions, peur de n’être pas légitime. L’embarquement, c’est le moment de découvrir les gens du bord et le bateau lui-même. Michaël découvre l’importance de la logistique.

Début de la rotation 12

12 comme la douzième mission de sauvetage en mer pour ce navire, le Geo Barents. En mer, il y a d’autres bateaux, comme l’Ocean Viking, de SOS Méditerranée, et le Louise-Michel, le bateau de Banksy. En contact permanent, ils se divisent les zones de recherche.

Une mission commence par un traînement de l’équipage et un rappel du droit maritime.

Lucas témoigne : « Je trouve incroyable la préparation aussi bien psychologique, théorique que pratique que tout le monde reçoit. Rien n’est laissé au hasard. Objectif : sauver des vies. Ça ne s’improvise pas ! Surtout quand on peut tomber sur un bateau avec plus de 500 personnes à bord ou effectuer plusieurs sauvetages à la suite (ce qui risque d’arriver car, lorsqu’il fait beau, les départs sont plus nombreux). Tout est possible ! » (p. 45).

Le lecteur fait connaissance avec l’équipe, des gens expérimentés et engagés, une équipe internationale, l’anglais est la langue commune.

Zone de recherche – jour 7 et premier sauvetage – jour 8

« On se dirige vers un nouvel open case relayé par Alarm Phone ! Tout ce qu’on sait, c’est qu’un bateau pneumatique gris avec une centaine de personnes est en détresse. Ils sont à deux heures de notre position… »

Récit, croquis et photographies témoignent de la réalité de ce sauvetage en mer, le 27/06/2022.

Une journée difficile, on lit sur les photographies aussi bien la détresse des rescapées que l’épuisement des sauveteurs.

On suit, en détail, les éléments factuels de ce reportage, mais aussi les étonnements, les sentiments des deux auteurs. Les nombreuses photographies sont révélatrices d’une réalité que le grand public a du mal à imaginer.

La vie sur le pont

La vie s’organise à bord avec 70 rescapé-e-s originaires d’Afrique noire pour rejoindre les côtes de Sicile. Les auteurs restituent leurs récits : motifs du départ, les camps de travail en Libye, la traversée, la panique à bord du canot pneumatique…

«  Et ces jeunes sur le bateau qui ont juste envie d’avoir une vie normale, d’envoyer un peu d’argent à leur famille, de faire du roller, du foot ou du basket, de trouver un boulot… » (p. 88).

Recherche d’un port sûr

C’est d’abord l’évacuation sanitaire, par les gardes-côtes italiens, de trois femmes et un homme atteints de brûlures. Et puis l’attente de l’autorisation de débarquer : Tarente, un port à environ vingt-quatre heures de navigation, soit une autre journée d’attente en mer. Les dessins témoignent de la joie des rescapés qui pensent leur odyssée terminée.

« Ils ont débarqué ! À Tarente, en Calabre, dans le sud de l’Italie. 66 survivors, plus le corps de la femme immédiatement mis dans un cercueil.[…] En bas, un cortège de gens en uniforme attendait : forces de l’ordre, police de l’immigration, douane, ministère de la Santé, personnel du centre d’accueil, bus, Frontex et pompes funèbres… » (p. 97)

Pause et journée de congé pour l’équipage.

C’est reparti pour un tour !

Jour 17 : 6 sauvetages : 4 h 55 : 22 personnes, dont de jeunes enfants – 7 h 02 : 19 personnes – 9h43 : 26 personnes – 10 h 50 : 36 Érythréens, perdus en mer depuis cinq jours – 13 h 23 : 110 personnes – 16 h 12 : 100 personnes

Une journée très difficile, reste un geste : « Une fois tout le monde à bord du GB, on retourne marquer les bateaux « SAR + MSF + date ». Ainsi, si d’autres bateaux les trouvent, ils sauront qu’un sauvetage a été effectué. » (p.113).

Une carte (p. 114) retrace la navigation du Geo Barents en ce mois de juin 2022.

Ce sont maintenant plus de 300 rescapés, de 4 mois à plus de 60 ans, d’origines très diverses, qui sont à bord, la vie quotidienne n’est pas facile. Des membres de l’équipage prennent en note les récits pour documenter la situation des migrants en Libye et commencer à expliquer ce qui les attend en Europe. L’un d’eux, Salah peut leur parler de sa propre expérience de réfugié syrien.

Témoignage de Mohamed, 12 ans

 

Enfin l’autorisation de débarquer, une nouvelle fois, à Tarente, LampedusaLampedusa : une île-frontière au cœur des migrations internationales entre l’Afrique et l’Europe, un article du CNES n’est pas en mesure de les accueillir.

Pour les deux reporters, la rotation est presque terminée, mais pour les rescapé-e-s le voyage est loin d’être terminé !

13 juillet 2022 : les au-revoir

« Néanmoins, ce sont des moments très intenses en émotions, on a beau n’être restés que quelques jours avec les survivors, on crée des liens avec certains, et on peut lire dans leurs yeux l’appréhension quant à ce qui les attend en Europe : l’inconnu, l’administration, le danger, la route qui continue… Le dernier bus est parti à 22 heures : « MSF team ! MSF team ! La rotation 12 du Geo Barents est officiellement terminée ! », lance Fulvia dans un appel radio. Applaudissements, câlins, embrassades, larmes au coin de l’œil. » (p. 144).

 

Je laisse la conclusion à Fulvia Conte, Coordinatrice des sauvetages à Médecins Sans Frontières :

« Ce n’est pas l’eau qui tue, ce sont les frontières. La mer n’est qu’un tapis commode pour couvrir les crimes de ceux qui pourraient empêcher ces morts. » (Préface)

En Postface, Riccardo Gatti, chef d’équipe et conseiller en recherche et sauvetage à Médecins Sans Frontières fait un point sur la situation en 2023.

Lire un extrait : ICI