Les plumes dans le goudron est un collectif atypique composé d’Anahita Grisoni, sociologue dont les recherches portent sur la dimension environnementale des mouvements sociaux, elle s’intéresse aussi particulièrement à la naturopathie et à ses représentations. Julien Milanesi lui est MCF d’économie. Il s’intéresse à la notion « d’intérêt général », il alimente un blog Mediapart, et poursuit des recherches en économie de l’environnement, du développement et agricole à Toulouse. Dans ce collectif on trouve aussi Jérôme Pelenc, qui enseigne actuellement à L’université Libre de Bruxelles et qui est l’auteur d’une thèse remarquée : « Développement humain responsable et aménagement du territoire. : Réflexions à partir de deux réserves de biosphère périurbaines en France et au Chili. » Enfin Léa Sébastien clôt ce collectif, elle est MCF à Toulouse 2, elle propose la notion de « résistance éclairée » pour définir les mouvements de résistance aux projets d’aménagement. Ce collectif parle en tant que « femme, homme, sociologue, urbain, parent, précaire, contribuable… »
L’émergence d’un mouvement social décentralisé ?
Dans ce premier chapitre, est mis en avant l’histoire des luttes de territoire, sur les espaces de résistances : Le Larzac, le Plogoff, Creys-Malville…et leurs histoires différentes mais avec certains points communs, jusqu’à Notre-Dame-des-Landes et l’émergence de la « Zone A Défendre » (la ZAD !)
L’émergence d’un acronyme est aussi détaillée, il s’agit des GPII (« Grands Projets Inutiles et Imposés »). De nombreux mouvements de résistances contre ces projets s’allient sous une grande bannière et à des échelles jamais vues auparavant. Ensemble, et sous l’inspiration de Joan Martinez-Alier ils distinguent trois catégories de GPII : les projets liés à l’extraction ; les projets liés à la transformation, les projets liés aux déchets. Enfin, fort de ce nouveau souffle, les mouvements de contestations se structurent et s’organisent.
Au-delà du NIMBY : des luttes transformatrices
Toutes ces résistances s’expliquent par plusieurs raisons. L’effet NIMBY « not in my backyard !) est très vite dénoncé par les aménageurs qui accusent bien souvent d’égoïstes les opposants à leurs projets. « L’Etat se place comme développeur des territoires vers l’avantage du progrès pour le bénéfice du plus grand nombre. » Cette accusation, peu pertinente, sert à décrédibiliser les opposants aux GPII. Le phénomène NIMBY et son histoire sont analysés afin de mieux comprendre la notion de résistance éclairée. « Depuis les années 2000, de nombreux auteurs jugent qu’il serait bon d’abandonner tout simplement le terme NIMBY (…) il réduit les conflits d’aménagements du territoire à une lutte morale entre des planificateurs rationnels et des opposants irrationnels. »
Alors essayons de comprendre les motivations de résistance à ces projets. En résumé, plusieurs raisons s’opposent aux aménageurs. Tout d’abord cette résistance recréée du lien social (à contrario de « diviser pour mieux régner »), généralement elle créée un rapprochement vers la connaissance des résistants, elle génère de l’affect (notamment via l’attachement aux lieux, et enfin de nouvelles propositions politiques sont entendues par ces mouvements, ce qui participe à les renforcer.
L’intérêt général en crise
« L’intérêt général est une fiction, qui n’existe que parce que nous y croyons tous, mais qui n’a pas d’existence, pas de substance qui permettrait de le définir a priori. » Le ton est donné ! Pour les auteurs, « l’intérêt général est en crise » et c’est l’objet de reflexion de ce troisième chapitre. S’en suit alors, dans l’ouvrage, la définition et la discussion de termes qui s’opposent dans les discours communs : « croissance vs satiété », « mondialisation vs relocalisation », « compensation va conservation » et enfin « technophilie vs techno-critique. »
La gouvernance, ou comment dépolitiser l’aménagement du territoire
Dans ce quatrième chapitre, les auteurs s’intéressent au second I de GPII, « Imposés. » Cette imposition provient du mode de gouvernance qu’ils catégorisent à trois échelles : territoriale, urbaine et environnementale. Après avoir théorisé cette notion de gouvernance, ils s’attachent à en dénoncer les échecs. Une autre question se pose alors : « Peut-on quantifier l’intérêt général ? » Après avoir évoqué la notion de consensus, les auteurs dénoncent la violence qui émerge de la tentative de dépolitisation de l’aménagement : « la mort de Rémi Fraisse sous une grenade lancée par un gendarme en est l’illustration la plus criante… »
Le territoire ou comment repolitiser le débat
Dans ce dernier chapitre, les auteurs proposent des ouvertures sur le sujet. Repartant du terme de territoire, « un espace pratiqué, vécu, défendu… » ils rappellent cette notion forte d’attachement. « L’appropriation soudaine d’un territoire quotidien suscitée par un projet d’aménagement se manifeste d’emblée par des émotions intenses, comme la peur, le sentiment d’injustice, la colère ou le dégoût. » Se basant sur des exemples théoriques (et scientifiques) les auteurs en arrivent vite à constater que « lorsqu’un projet d’aménagement menace le lieu aimé, on assiste à un déplacement des attaches de l’ordre intime vers une préoccupation commune susceptible de se manifester en public. » Si bien que le territoire devient un instrument de lutte et que cette dernière transforme les identités.
Vous l’aurez compris ce petit livre bleu est engagé. N’empêche qu’il propose de sérieux éléments scientifiques qui permettent d’éclairer le débat. Sa lecture apporte de solides exemples et argumentations à la question des « Territoires Ruraux » des concours de l’enseignement 2019-2020, notamment à propos de : « La multiplication des tensions et conflits d’aménagement et d’environnement, popularisés par l’acronyme ZAD (Zone à Défendre : Notre-Dame-desLandes, Center Parcs de Roybon, projet d’enfouissement de déchets nucléaires du plateau de Bure, etc.), souligne à quel point cet attachement à la ruralité et les questionnements sur sa finalité sont sous-jacents actuellement. » (Lettre de cadrage, programme Agrégation de géographie 2019-2020.)