Robert Lion (1934-2019) appartient à la catégorie des hauts fonctionnaires ayant activement contribué au changement social à l’œuvre en France à partir de la fin des Trente Glorieuses. Son parcours témoigne de son ambition pour l’action publique tant au ministère de l’Équipement qu’à l’Union nationale des fédérations d’organismes HLM et à la Caisse des dépôts. Avec la création de la procédure « Habitat et vie sociale » (HVS), il est l’un des précurseurs de la politique de la ville.
Passionné d’architecture, il participe à la politique des grands travaux du président Mitterrand, tout particulièrement pour la réalisation de l’Arche de la Défense. Son engagement social et environnemental est aussi au cœur de sa démarche : que ce soit en militant de l’aide au développement des pays du Sud ou de l’écologie politique. Son action et ses idées méritent d’être revisitées au regard des enjeux actuels de l’action publique. Les analyses historiques comme les témoignages réunis dans cet ouvrage visent à y contribuer.
Les auteurs
Emmenée par Thibault Tellier, professeur d’histoire contemporaine à Sciences Po Rennes et spécialiste de l’histoire de la politique de la ville, l’équipe de rédacteurs compte une vingtaine de personnes. Parmi elles, des historiens et spécialistes de l’architecture pour l’éclairage scientifique, des témoins de l’Institut français d’architecture, de cabinets ministériels, de la Caisse des dépôts, de l’Union des HLM, etc. Et enfin, des personnalités comme Emmanuelle Cosse, Daniel Lebègue, Christian de Portzamparc et Hubert Védrine pour les hommages.
Cet ouvrage est issu de la Journée d’étude du 5 octobre 2024 « Robert Lion et l’action publique (1969-1992) » (Sciences Po Rennes, Caisse des dépôts, ministère de la Transition écologique et de l’Union sociale pour l’habitat).
Points saillants
Entre deux mais (1968-1981)
Encore très jeune pendant la Seconde Guerre mondiale, Robert Lion n’appartient pas à la génération de résistants qui ont investi le pouvoir à la Libération mais à la suivante, qui atteint l’âge adulte en pleine guerre d’Algérie et qui domine l’appareil d’État entre la fin des années 1960 et les années 1980.
Ancien élève de l’ENA, inspecteur des finances, Robert Lion évolue au sein de l’administration publique auprès de plusieurs figures : Edgard Pisani, Paul Delouvrier, etc. Il n’est pas toujours simple pour le non-spécialiste de bien comprendre tous les méandres d’un parcours entre la direction de la Construction (1969-1974), la délégation générale de l’Union des HLM (1974-1981), la direction du cabinet de Pierre Mauroy (1981-1982) et la Caisse des dépôts (1982-1992).
Il en ressort toutefois, et c’est d’ailleurs le sens du préambule d’Olivier Sichel, que la « marque de Robert Lion », c’est l’ambition que l’Etat peut transformer la société avec, pour ne pas dire à côté de, la volonté politique. On est aux antipodes de notre époque où l’on limite toujours plus l’action publique et où l’on astreint de plus en plus les cadres à la simple exécution.
Quoique n’étant jamais passé lui-même par le privé, Robert Lion manifeste un haut degré d’indépendance et n’hésite pas à recruter hors de la fonction publique, ce en quoi il annonce par contre le XXIème siècle.
Le fil rouge de l’habitat
D’un caractère passionné, il se distingue par le sens donné à son action. À plusieurs reprises, il devance son temps, se montre capable de critiquer l’action de l’État pour mieux la corriger. Il remet ainsi largement en question la politique des grands ensembles qui produit des logements en nombre, certes de qualité supérieure aux anciens taudis, mais sans vision urbaine générale. La qualité d’un logement se mesure aussi à sa capacité à produire du lien social. À la place des tours et des barres, il encourage des projets d’architecture nouvelle, avec des figures émergentes comme Christian de Portzamparc et Jean Nouvel, et un retour à des formes urbaines traditionnelles avec rues et îlots. À la Construction, il contribue à la loi sur la résorption de l’habitat insalubre, à la réforme des prêts et du Crédit foncier, etc. Il souhaite également faire participer les habitants à la gestion de l’habitat social.
Confronté aux chocs pétroliers, il est enfin l’un des premiers à envisager l’intégration des questions environnementales dans le logement (solaire et pompes à chaleur), un intérêt qui le mène ensuite à la présidence de Greenpeace France en 2008.
Le « manager » Robert Lion
Plusieurs passages insistent sur le manager qu’était Robert Lion, confronté à des interlocuteurs souvent éloignés de ce qu’un inspecteur des finances peut côtoyer mais qui a su découvrir des talents, déléguer et faire preuve de diplomatie. D’autres mettent en évidence sa « méthode commando », très verticale. Plusieurs auteurs évoquent les notes « franches » qu’il était capable d’écrire à François Mitterrand, notamment quand il était question des grands travaux présidentiels à Paris. On ne mentira donc pas en concluant que le personnage était aussi charismatique qu’intense. Il n’est pas certain aujourd’hui qu’un tel personnage se retrouverait aujourd’hui dans la haute administration ou même les cabinets ministériels.
Pour conclure, dans les annexes, on pourra lire avec grand intérêt l’entretien entre Robert Lion et la revue Urbanisme n°365 (mars-avril 2009). Voici également un lien vers une vidéo de 1976 de l’INA où Robert Lion expose en quoi « la construction sociale n’est plus sociale ».