François Bourcart nous propose la première véritable biographie historique du général Delestraint.

Charles Delestraint fut choisi par Jean Moulin et par le général de Gaulle pour prendre le commandement de l’Armée secrète (AS) dont la création venait d’être décidée à la fin de l’année 1942. Il fut un acteur essentiel de la Résistance française, victime comme Jean Moulin d’imprudences et de trahisons qui le livrèrent à la Gestapo, le 9 juin 1943. Il avait alors 64 ans et avait déjà pris deux fois sa retraite : en août 1939, après une carrière militaire au cours de laquelle il s’était montré un constant défenseur de l’arme blindée ; en juillet 1940 après la campagne de France au cours de laquelle il avait commandé un groupement cuirassé et vainement plaidé pour une utilisation moderne des chars. Malgré la longueur et l’originalité de son parcours, celui d’un civil qui entre dans la clandestinité après 42 ans de carrière militaire, malgré la force morale dont font part tous ceux qui l’ont connu, malgré son entrée en résistance et sa déportation, le général Delestraint est toujours resté dans l’ombre, tant du point de vue mémoriel que du point de vue historiographique. Il n’existait en effet jusqu’à ce jours aucune biographie historique de Charles Delestraint. Deux ouvrages lui ont certes été consacrés, mais leurs auteurs sont des acteurs-témoins davantage que des historiens : François-Yves Guillain, qui fut son compagnon de résistance et son secrétaire a publié chez Plon en 1995, Le général Delestraint, premier chef de l’Armée secrète, et Jean-François Perrette, qui fut l’un des pionniers de l’arme blindée, a publié en 1972 aux Presses de la Cité, Propos autour d’un général « NN », Charles Delestraint, officier de chars, commandant de l’Armée secrète.

La première biographie historique globale du général Delestraint

François Bourcart nous propose donc la première véritable biographie historique du général Delestraint. François Bourcart est lieutenant-colonel de l’Armée française et historien. Docteur en histoire de l’Université de Lorraine, il a publié aux éditions Gérard Louis en 2015 un ouvrage intitulé Les cavaliers de Lunéville aux avant-postes de Lorraine annexée, 1871-1918, une page d’histoire de la cavalerie française d’extrême frontière. Il enseigne auprès des écoles supérieures de l’armée de terre. Ses travaux portent sur les conflits contemporains en général et sur l’arme blindée cavalerie en particulier. Il conduit en outre plusieurs études sur le rôle des militaires dans la Résistance. Il a été, de 2015 à 2020, le chef du bureau Terre au Service historique de la Défense (SHD) et l’organisateur en 2018, du colloque « Militaires en résistances pendant la Seconde Guerre mondiale ». Son étude est fondée sur l’exploitation de plusieurs série d’archives du SHD et des archives nationales, d’archives privées, d’historiques de formations militaires, de divers témoignages et souvenirs.

L’ouvrage est constitué de dix chapitres, de l’enfance de Charles Delestraint à sa mémoire, en passant par la période de la Première Guerre mondiale (qu’il passa presque intégralement comme prisonnier en Allemagne), sa carrière militaire dans l’entre-deux-guerres et sa défense des chars dont il commanda successivement un bataillon, une brigade et un régiment, son entrée en résistance, son action, son arrestation et sa déportation. L’intérêt majeur de l’ouvrage est donc de nous proposer une biographie complète, qui met en perspective la période résistante. On comprend mal le sous-titre d’ailleurs, puisque dans cet esprit de biographie globale, la période de la Résistance n’occupe que 70 pages. Le texte de l’étude est complété par un important appareil critique : présentation des sources et de la bibliographie, index, et plus de 60 pages de notes, qui donnent de nombreux, précis et précieux renseignements historiques, militaires, biographiques, bibliographiques, etc.

Une première partie de carrière contrariée par la maladie et la détention en Allemagne

Charles Delestraint est né le 12 mars 1879 à Biache Saint-Vaast (Pas-de-Calais). Seul fils d’un remariage, son père était comptable dans les fonderies. Il est élevé dans l’amour maternel. Il fait ses études secondaires chez les Maristes à Haubourdin-les-Lille jusqu’en 1896, où il obtient brillamment le Baccalauréat. Ressentant très tôt une vocation pour le métier des armes, il entre l’École spéciale militaire de Saint-Cyr en 1897 et en sort parmi les premiers (12ème sur 553), trois ans plus tard. Il a en effet dû redoubler, suite à une blessure. Il sort dans la même promotion que les futures généraux Huntziger (qui signera l’armistice de 1940) et Giraud, auquel s’opposera le général De Gaulle. Il commence sa carrière militaire au sein d’un corps d’élite de l’infanterie, les chasseurs à pied. Il est affecté au 16ème bataillon de chasseurs à pied à Lille, sur la frontière. Il aborde donc la carrière de façon classique.

Blessé pour la seconde fois, il doit quitter sa compagnie d’infanterie. La carrière est cette fois mal engagée. Il va rester onze ans lieutenant, passant capitaine à l’ancienneté en décembre 1913. A cette époque, il prépare une licence de droit à Lille. Il réussit le concours d’entrée à l’École supérieure de Guerre le 18 mars 1914. La guerre éclate.

Il prend la tête d’une compagnie au 58ème bataillon de chasseurs à pied. C’est alors la bataille des frontières. Le 25 août 1914, chargé d’une mission spéciale sur la Meuse à hauteur de Haybes (Ardennes), il bouscule un important détachement ennemi, retarde la progression allemande et permet ainsi la liaison des 4ème et 5ème Armées françaises ; il est alors fait Chevalier de la Légion d’Honneur, reçoit la Croix de Guerre avec palme et la Croix de Guerre belge. Le 30 août, il tombe dans une embuscade allemande lors de l’attaque de Chesnoy-Auboncourt, entre Charleville et Rethel ; il est fait prisonnier après avoir perdu beaucoup d’hommes dans un sanglant combat.

Comme De Gaulle un peu plus tard, il prend le chemin des camps de prisonniers en Allemagne, principalement celui de Plassenburg. Il doit dès lors supporter 51 mois de détention, sur lesquels Jean Bourcart nous dit que les renseignements sont rares, en dehors de la correspondance familiale. Il n’est pas soumis à l’obligation de travailler, perfectionne son allemand jusqu’à atteindre un niveau qui lui permettra après la guerre de traduire les Mémoires du général Von Kluge, apprend l’anglais et le russe, lit beaucoup. Il ne tente pas de s’évader, à la différence de De Gaulle, fait prisonnier à Verdun en 1916,  qui fit cinq tentatives infructueuses.

Rapatrié en décembre 1918, il est ensuite affecté à l’État-major du Grand quartier général, Section du Personnel, et nommé chef de bataillon en juin 1919. Dépendant du 104ème  Régiment d’infanterie, puis de l’État-major de l’Armée, il est affecté à l’École supérieure de Guerre où il avait été reçu en 1914. Il vient habiter à Paris, avec sa femme et sa fille. Près de la moitié des lauréats du concours de 1914 sont morts à la guerre. Le 3 octobre 1923, ayant demandé à servir dans les chars, il est affecté au 517ème Régiment de chars de combat à Düren, en zone d’occupation allemande.

Les raisons pour lesquelles il a demandé de quitter le corps des chasseurs à pied pour orienter sa carrière vers les chars de combat ne sont pas connues précisément. « Il semble que ce soit avant tout une convergence d’intérêts professionnels et familiaux qui le pousse à se porter volontaire pour effectuer un temps de commandement dans un régiment de chars déployé dans les pays rhénans. »

Quelques mots sur l’homme

C’est un homme de petite taille, très intelligent, à l’esprit vif, travailleur, énergique, et profondément croyant. La profondeur, l’intensité et la pratique de sa foi chrétienne sont un élément très important de sa personnalité. C’est aussi un homme gai et optimiste, plein d’humour. Il sera très aimé de ses hommes qui lui seront très attachés, et dont plusieurs le rejoindront au sein de la Résistance. En cure à la station thermale de Saint-Amand-les-Eaux, il fait la connaissance de Raymonde, fille de l’administrateur de la Compagnie des eaux et boues de Saint-Amand. Il en tombe amoureux, demande à sa hiérarchie l’autorisation de mariage, et l’épouse le 1er octobre 1910. Leur première fille, Odette, naît le 24 août 1911 ; la seconde, le 2 décembre 1924. Il est un adepte des sorties au grand air et de la pratique du camping estival. Au volant de sa Torpedo, il entraine régulièrement son épouse, leurs deux filles et la bonne pour dormir sous tente. En 1935, il apprend l’art d’être grand père. Aux camps de concentration du Struthof et de Dachau, il suscite l’affection et l’admiration de tous les déportés, par son charisme, sa chaleur humaine, sa foi et l’ensemble de son comportement.

Théoricien, praticien, technicien d’une arme nouvelle, les chars de combat

C’est à l’École de guerre que Charles Delestraint découvre cette arme nouvelle, apparue en 1916. Il la découvre dans les livres, les témoignages, les stages et manœuvres dans différents camps. On parle alors d’Artillerie spéciale (AS, déjà !), alors que cette arme nouvelle bascule dans l’infanterie. Son père en est le général Estienne. En avril 1927, Delestraint est nommé commandant en second de l’École d’Application des chars de Versailles sous la direction du colonel Frère, qui sera lui aussi le chef d’une grande organisation de résistance, l’Organisation de résistance de l’Armée (ORA), qui mourra lui aussi en déportation. Il est promu lieutenant-colonel en décembre 1927.

En 1932, il prend le commandement du 505ème Régiment de chars de combat à Vannes et est promu colonel. En 1936, il prend le commandement de la 3ème Brigade de chars à Metz et, le 23 décembre de la même année, reçoit ses étoiles de général de brigade ; il a alors comme subordonné le colonel Charles de Gaulle,  qui commande le 507ème Régiment de chars de combat. Metz est la plus grosse garnison militaire de France. Outre De Gaulle, Delestraint peut alors y côtoyer Giraud et De Lattre.

Ce sont des années d’expérience pratique et de réflexion. Il a dirigé des manœuvres expérimentales au camp de Coëtquidan. En 1937, sous son commandement, se déploient des manœuvres expérimentales au camp de Sissonnes, durant quatre semaines. Il acquiert de grandes compétences en ce qui concerne les nouveaux chars. Il repère les faiblesses des unités de chars, de leurs équipages et de leurs récents matériels. Passionné, clairvoyant, jamais il n’ira cependant jusqu’à se heurter à ses chefs

Le débat fondamental qui anime tous ceux qui s’intéressent à cette arme nouvelle porte sur les modalités de leur utilisation : faut-il continuer, comme le veut la doctrine officielle, et comme le pensent les grands chefs de l’armée française, en accompagnement de l’infanterie, ou faut-il les regrouper en grosses unités « cuirassées », utilisation « en grande masse », sur le modèle de ce qui se fait en Allemagne avec les Panzerdivisionen, à partir de 1935. La question du lien avec l’aviation n’étant pas alors posée dans la réflexion française, y compris par De Gaulle qui développe le sujet dans ses publications, en particulier Vers l’Armée de métier. Des liens se créent entre Delestraint et De Gaulle, de onze ans son cadet. C’est Pétain qui a inttroduit De Gaulle dans le milieu des anciens des chars, milieu où il fut fraichement accueilli, n’ayant pas d’expérience du combat puisqu’il était prisonnier, et accaparant le général Estienne lors d’une réunion.

De Gaulle n’est sans doute pas un inconnu pour Delestraint ; il l’a peut-être lu. Il partage ses vues et ils luttent tous deux pour une utilisation différente et plus importante des blindés. De Gaulle a posé la question sur le plan politique, alerté Paul Reynaud et des parlementaires pour obtenir le regroupement des chars dans le cadre de formations offensives. A Metz, De Gaulle téléphone quotidiennement à Delestraint qui ne tarit pas d’éloges pour son subordonné et le verrait bien prendre la tête d’une grande unité « cuirassée » si l’on parvenait à en créer une. « De Gaulle voit large et loin » dit Delestraint en 1938. Dans une conférence à Metz en 1938, il cite De Gaulle et le soutient dans ses projets de création d’une arme blindée qui ne soit plus confinée à l’accompagnement de l’infanterie. La couverture du livre montre Delestraint qui va prendre sa retraite de général deux étoiles, et De Gaulle, passant une dernière fois les troupes en revue.

La drôle de guerre et la campagne de France

Atteint par la limite d’âge en mars 1939, Delestraint prend sa retraite, sans avoir obtenu sa troisième étoile de général, malgré les avis positifs que portent sur lui ses supérieurs hiérarchiques dans leurs appréciations. Il quitte l’uniforme et s’installe à Saint-Amand-les-Eaux où il prend la direction de l’établissement thermal

Il est rappelé le 1er septembre et reçoit le commandement des chars de combat de la 8ème  Armée déployée en Alsace, tandis que le colonel De Gaulle prend le commandement des chars de la 5ème Armée. De septembre 1939 à mai 1940, il se démène pour obtenir les moyens techniques, humains et logistiques qui permettent aux chars de remplir leur mission de couverture face à l’Allemagne et face à la Suisse, l’état-major français ayant envisagé une manœuvre de contournement de la France par la Suisse.

En avril 1940, il est nommé adjoint du général Keller à l’inspection des chars. A partir de janvier 1940, trois divisions cuirassées sont enfin créées. Un groupement cuirassé va enfin apparaitre, à l’image des divisons blindées de la Wehrmacht. Il multiplie les déplacements avec  l’objectif de permettre que les chars soient utilisés de manière simultanée et non pas disséminés le long de la Somme, puis de la Seine, puis de la Loire. Enfin, on lui confie, dans une situation désespérée, le 2 juin 1940, le commandement du Groupement cuirassé qui ne comprend plus que deux divisions. Malgré la médiocrité de son équipement, il parvient à couvrir le repli de deux armées, sauvant ainsi des centaines d’unités de toutes armes, après avoir réduit la poche d’Abbeville. C’est l’engagement majeur, avec celui de De Gaulle à Montcornet (dont la geste gaullienne a exagéré l’efficacité). A Abbeville, les Allemands tiennent malgré l’engagement, en vagues  malheureusement successives, de 400 blindés.

Delestraint parvient à se replier avec son état-major jusqu’à Caylus. Il est mis à la retraite pour la seconde fois, à 61 ans, et nommé au grade de général de division. Le 7 juillet 1940, il s’adresse aux cadres et aux équipages du groupement cuirassé qui ont échappé à la mort ou à la capture. Le message est annonciateur de son prochain engagement : « Si nous conservons la Foi dans les destinées de notre pays, si nous nous comportons en Français, avec une âme de Français et non avec une mentalité de chien battu ou d’esclave, si nous savons vouloir, la France ressuscitera un jour du calvaire présent ».

Le retraité de Bourg-en-Bresse

Il ne peut regagner Saint-Amand qui est en zone interdite, et s’installe avec sa famille en zone non occupée, à Bourg-en-Bresse. Il s’attache d’abord à retracer l’histoire de l’unité blindée constituée fin mai 1940, et rédige une étude de près de 200 pages. Il apparait comme sensible au prestige du maréchal Pétain, adhère aux critiques du régime républicain, et se rallie au nouvel ordre moral. Il prend ensuite des initiatives pour contacter et rassembler les militaires qui ont servi dans les chars. Des amicales et associations des anciens des chars se constituent. En décembre 1940, est publié le premier numéro d’un Bulletin de liaison entre ceux des chars de combat. Il s’agit de garder le lien entre les anciens des chars et de ne pas se résigner à la défaite. Un an plus tard, il sera envoyé à 1600 anciens, dans la seule zone non occupée.

Delestraint préside une première réunion entre anciens des chars à Villers-les-Dombes en novembre 1940, puis participe à d’autres rassemblements et cérémonies. Son message se fait plus incisif : « Préparons l’avenir. Il faut s’engager. Bientôt on aura besoin de vous » déclare-t-il à Bourg-en-Bresse, le 28 septembre 1941. Favorable à Pétain, il est hostile à l’occupation et à la collaboration. Le 29 janvier 1942, dans un courrier privé, il évoque le devoir de « reprendre les armes » et de « constituer des noyaux solides de bons Français ». Sans savoir d’où vient la dénonciation, il reçoit par courrier un rappel à l’ordre du chef de cabinet du secrétaire d’Etat à la guerre, le 27 février.

« Au hasard des promenades, des repas ou des séances de bridge, des liens se tissent et durant des discussions animées,  on parle beaucoup de la guerre, de De Gaulle et de l’Angleterre ». Á la fin de février 1942, le capitaine Gastaldo, mis à la disposition de la VIIème Région militaire à Bourg-en-Bresse, rencontre Delestraint à son domicile. Officier d’active, Gastaldo est engagé au sein du mouvement de résistance Combat. Les deux hommes bavardent. Delestraint « s’apprête à s’engager une nouvelle fois pour son pays mais cette fois dans un tout autre contexte ».

L’engagement dans la Résistance comme chef de l’Armée secrète

Pour remplir la mission d’unification des trois mouvements de résistance de zone sud, Combat, Libération et Franc-Tireur, Jean Moulin souhaite fusionner les organisations paramilitaires de ces mouvements. Ainsi serait constituée une « Armée secrète ». Frenay, le chef de Combat, souhaite en être le chef, ce que refusent les chefs des autres mouvements. Divers résistants sont envisagés pour ce poste, Raymond Aubrac, le général Cochet, le général de Lattre de Tassigny, jusqu’à ce que Gastaldo propose celui de Delestraint qu’il a rencontré et dont il a apprécié les dispositions d’esprit. Il lui rend une seconde visite, puis c’est Frenay qui se rend à Bourg-en-Bresse, se présente à Delestraint, lui explique l’organisation de la Résistance et expose le but de sa démarche. Delestraint demande un délai de réflexion et donne dès le lendemain une réponse positive. Jean Moulin propose alors à De Gaulle le nom de Delestraint. Le 4 août 1942 parvient de Londres à Jean Moulin le message confirmant ce choix : « Charles à Charles, d’accord ».

Le 11 novembre 1942, après avoir rencontré Jean Moulin, Delestraint est confirmé dans sa mission par une lettre manuscrite du général de Gaulle. Chef de l’Armée secrète, il prend pour pseudonyme « Vidal ». Dès lors, il collabore étroitement avec Jean Moulin pour organiser la Résistance au plus haut niveau en rencontrant les principaux responsables des mouvements. Les missions des deux hommes sont dès lors indissociables. C’est ainsi qu’ils sont tous deux convoqués par le général de Gaulle à Londres le 13 février 1943. Charles Delestraint est alors chargé d’étendre la structure de l’Armée secrète en zone nord. Á Londres, il rencontre De Gaulle, Passy, chef du BCRA, et les militaires anglais et américains qui le tiennent pour un militaire sérieux et qui, de ce fait, ont désormais une approche plus positive de la Résistance intérieure française. Vidal rentre en France le 20 mars 1943 en compagnie de Jean Moulin et de Christian Pineau. Il est promu général de corps d’armée par le général de Gaulle. Il visite début avril 1943, le plateau du Vercors et les premiers maquis. Ensuite, à Paris, il participe aux réunions visant à regrouper les grands mouvements de zone nord.

Delestraint multiplie les déplacements, à Lyon et à Paris principalement. Il doit apprendre la clandestinité, tâche d’autant plus redoutable qu’il est vite recherché par la Gestapo qui a pu s’emparer de documents internes essentiels, conséquences d’imprudences commises par Henri Frenay et d’autres membres de Combat. Dans l’élaboration des structures de l’Armée secrète, Delestraint se heurte à Frenay qui lui reproche son inexpérience, et qui n’a jamais admis de ne pas avoir été désigné chef de l’AS. Il lui reproche de recruter des anciens des chars, qu’il considère comme des vichystes. Delestraint se dépense sans compter pour construire cette Armée secrète, s’affrontant aux problèmes de recrutement, de financement, d’encadrement et d’armement.

Arrestation, déportation, exécution de Charles Delestraint

Le 9 juin 1943, au Métro La Muette, alors qu’il a rendez-vous avec René Hardy un des responsables de Résistance-Fer, Vidal est arrêté par la Gestapo ou/et l’Abwehr. Il est tombé dans un piège aujourd’hui bien reconstitué, qui trouve sa source dans diverses imprudences qui ont bien facilité la tâche de la Gestapo. En ce qui concerne Aubry, il est difficile de se limiter au terme d’« imprudence » puisqu’il a « oublié » de prévenir Delestraint qu’un message en clair avait été déposé dans une boite à lettres qu’il savait surveillée par la Gestapo. Ce message permit aux Allemands de connaître le lieu et l’heure d’un rendez-vous de Delestraint. A cela s’ajoute la trahison de René Hardy, qui sera aussi à l’origine de l’arrestation de Jean Moulin. Les deux événements sont étroitement liés puisque c’est pour remplacer Delestraint à la tête de l’AS que Moulin décide la réunion de Caluire, et que c’est pour empêcher Moulin de désigner son candidat, que Frenay envoie René Hardy à cette réunion, alors qu’il était suivi pas la Gestapo et qu’il n’avait pas sa place dans cette réunion.

Delestraint est interrogé à Neuilly, puis avenue Foch, par la Gestapo. En juillet, il est incarcéré à Fresnes. Il n’est pas brutalisé et sa connaissance de la langue allemande lui est d’un précieux secours. Après une instruction de neuf mois, il est envoyé au camp de Natzwiller-Struthof, en Alsace, et devient un déporté Nacht und Nebel, de la catégorie de ceux que l’on doit faire disparaître dans « la nuit et le brouillard ». Il est dispensé des travaux de force et assigné dans sa baraque, puis au Revier (« infirmerie ») grâce à la complicité de plusieurs déportés. En effet, par son charisme, son optimisme, sa foi, il est tout de suite considéré comme le chef des Français du camp, le conseiller porteur de l’espoir que nombre de ses compagnons ont perdu.

Les Alliés approchant, il est transféré au début du mois de septembre 1944 à Dachau, près de Munich. Il discute beaucoup avec ses compagnons d’infortune, rencontre Edmond Michelet et l’évêque Piguet de Clermont-Ferrand, parvient à assister à des messes, ce qui n’était pas le cas au Struthof. Il fait des exercices physiques, dispense causeries et conseils, commente les journaux allemands, et affirme une farouche volonté de vivre.

« Un matin de mars 1945, à l’occasion d’un appel inopiné des détenus, Delestraint révèle fièrement son nom, son grade et sa qualité au SS qui l’interroge. Au même moment, ou peu après devant une autorité du camp, il précise avoir eu De Gaulle sous ses ordres avant la guerre avant de se placer sous les siens depuis. Intransigeance d’un officier général qui ne veut pas se courber une fois encore devant l’ennemi, ou imprudence d’un homme d’honneur qui ne souhaite plus se soumettre à l’anonymat, et donc à la clandestinité, dans de pareilles circonstances ? ». Il est alors conduit dans la baraque où sont rassemblés les déportés considérés comme des personnalités, que les nazis ménagent pour en faire une éventuelle monnaie d’échange. Pour ses compagnons, c’est plutôt rassurant ? Alors pourquoi le 19 avril 1945, dix jours seulement avant l’arrivée des Américains, est-il est abattu d’une balle dans la nuque avant d’être incinéré au crématoire du camp. L’origine de l’ordre d’exécution ne peut être déterminée avec certitude.

Toujours dans l’ombre…

Par décret du 17 novembre 1945, Charles Delestraint devient Compagnon de la Libération à titre posthume. Des plaques et des stèles à sa mémoire furent apposées à Bourg-en-Bresse, Vannes, Paris, sur le plateau du Vercors, à Montigny-les-Metz où De Gaulle prononça un discours à sa mémoire le 31 juillet 1948. En 1985, des compagnons de Delestraint, dont Raymond Aubrac qui fut l’un des plus actifs, fondèrent une association « A la mémoire du général Delestraint ».

Le 10 novembre 1989, en hommage de la Nation, le nom de Charles Delestraint fut officiellement gravé en lettres de bronze sur le fronton nord du Panthéon à Paris, dans le cadre d’une grande cérémonie, en présence de François Mitterrand, Président de la République. Mais l’événement resta tout à fait inaperçu et la presse n’en rendit pas compte, car un autre événement mobilisait l’attention : la chute du mur de Berlin. Une fois de plus, Delestraint restait dans l’ombre. Et rien ne change car, si l’on considère les cérémonies prévues en 2023, à l’occasion du 80ème anniversaire de la fondation du Conseil national de la Résistance et de la mort de Jean Moulin, on constate que le nom de Charles Delestraint est à peu près absent. Puisse ce bon livre le faire sortir de l’ombre.

© Joël Drogland pour les Clionautes