Le défilé du 14 juillet occupe une place éminente dans la mythologie nationale française. L’Hexagone est d’ailleurs la seule démocratie occidentale à célébrer sa fête nationale sous la forme spectaculaire d’une parade militaire de grande envergure. Cette originalité explique que certaines voix discordantes le jugent aujourd’hui désuet. Insensibles à son caractère consensuel et à son inusable succès populaire, elles réclament l’abolition de ce qu’elles tiennent pour un vestige militariste inconvenant. Cette vision étriquée est très minoritaire. Surtout, son dogmatisme est imperméable à la forte substance symbolique de l’événement.
Or, ainsi que cet ouvrage permet de le mesurer, le défilé du 14 juillet est la synthèse d’une tradition populaire, d’un rite civique et d’un spectacle guerrier. Sa célébration annuelle est à la fois le produit d’une histoire et d’une mise en scène. La construction du volume en deux parties rend bien compte de cette dualité. La première met en perspective son épaisseur historique. La deuxième adopte un regard thématique plus contemporain.
La partie historique propose un panorama particulièrement riche et complet des caractéristiques et des évolutions chronologiques du défilé. Ses antécédents anciens et immédiats permettent de dresser la généalogie de l’événement. Elle met en évidence la convergence entre la coutume de la parade militaire et l’enracinement de la jeune IIIe République dans l’invention d’une symbolique patriotique (Marseillaise, fête nationale du 14 juillet). Un de ses enjeux est la réconciliation du jeune régime avec l’armée de la Revanche. Le premier défilé militaire du 14 Juillet se tient en 1880 sur l’hippodrome de Longchamp, dont le cadre topographique est approprié aux évolutions de la cavalerie. Une énorme assistance estimée à 300.000 personnes afflue pour assister à la cérémonie. La présence des plus hautes autorités de l’État ajoute au succès populaire. L’objet principal de la journée est la distribution des 436 nouveau drapeaux régimentaires. Le défilé n’en est en fait que le clou final.
Il devient pourtant ensuite l’élément principal de la fête militaire du 14 juillet, que son retentissement non démenti enracine dans la durée. Longchamp en demeure le théâtre exclusif jusqu’en 1914. L’organisation se perfectionne. Un protocole se met en place pour l’accueil des personnalités et la remise des décorations. La parade est avancée de l’après-midi au matin. Les unités coloniales sont intégrées aux troupes présentées au public. L’ordre de passage des formations composant le cortège est fixé. De nouvelles troupes s’y ajoutent au fil du temps. On y présente également les nouveautés : canon de 75, mitrailleuses, cyclistes, dirigeables, avions, nouveaux uniformes… Amplifié par la presse, l’engouement populaire ne cesse de grandir. Pendant la Grande Guerre, des défilés en format réduit mais intégrant des contingents alliés, ainsi que la cavalerie de la Garde Républicaine, sont tout de même maintenus. Ils suivent différents itinéraires à travers les rues parisiennes.
En 1919, le défilé de la Victoire inaugure une nouvelle ère. Un décorum majestueux mêlant liesse et recueillement jalonne le parcours. Ce dernier est long de 8 km. Il traverse Paris, arpente les Champs Élysées et passe par l’Arc de Triomphe. Une foule immense forte de plusieurs millions de personnes acclame au passage troupes métropolitaines, coloniales et alliées. Maréchaux en tête, le défilé met en valeur tous les contingents ayant participé au conflits. Hommage est aussi rendu aux blessés et mutilés, qui défilent en corps constitué. Les engins motorisés (artillerie tractée, engins blindés) font leur apparition. Après cette apothéose, les 14 juillet de l’entre-deux-guerres sont beaucoup moins flamboyants. Entre délocalisations à Vincennes, annulations, déploiements réduits, le défilé peine à se réinstitutionnaliser. La deuxième moitié des années Trente voit néanmoins une reprise d’envergure. Le défilé du 14 juillet 1939 se veut même une démonstration de force franco-britannique face à la menace nazie.
L’Occupation interrompt les défilés parisiens. Mais la France Libre entretient le rite. À la Libération, le 11 novembre 1944 donne lieu à un grand défilé franco-allié. Innovation marquante, les personnels féminins des FFL défilent le 18 juin 1945. Le 14 juillet suivant met en vedette les combattants de l’Armée d’Afrique. L’après-guerre rétablit le défilé tel qu’on a l’impression de l’avoir toujours connu. Son cadre topographique est désormais fixé sur un itinéraire qui prend valeur de tradition. Son ordonnancement prend une forme immuable. Personnels et matériels sont mis en valeur selon des logiques d’hommage et de progrès technologique. Les musiques militaires et le ronronnement des moteurs lui confèrent un environnement sonore caractéristique.
La télévision transforme la festivité parisienne en spectacle national. Elle reflète l’esprit du temps. Après la mise à l’honneur des troupes engagées dans les conflits de la décolonisation, vient celle des forces de manœuvre blindées et mécanisées du théâtre européen de la Guerre froide. La dissuasion nucléaire et les nouveaux matériels de l’industrie de défense française enrichissent le tableau. Le défilé aérien intègre l’ALAT. En 1974, VGE décide une entorse passagère à l’itinéraire établi. Il inaugure ainsi une ère de modernité où, chaque année, des évolutions dans la composition des troupes signifient un acte de communication ou une mise en relief thématique. La BSPP et les autres organes de la sécurité intérieure, les formations militaires spécialisées, les délégations militaires étrangères invitées élargissent le panel des présentations. Ce renouvellement se fait sous l’œil des médias de plus en plus intégrés en immersion.
Aux chapitres chronologiques succède une deuxième partie plus courte qui adopte une perspective thématique. L’organisation et la préparation du défilé sont minutieusement décomposés. La minutieuse mécanique des répétitions préalables est digne de l’horlogerie suisse ! Les détails uniformologiques sont aussi évoqués. La volonté de mise en valeur de l’institution militaire, pour qui le bel appareil du défilé est un outil de promotion, est soulignée. Il en est de même de l’entretien du lien armées-nation. L’hommage aux blessés et aux familles de militaires décédés et la contribution des réservistes sont mentionnés. La fonction commémorative, le rôle mémoriel et la participation des vétérans font aussi l’objet d’un soin attentif. On picore au fil des pages une quantité d’anecdotes, d’informations et d’impressions.
Une iconographie soignée de tout premier ordre agrémente le propos par une abondance d’illustrations et de photographies. Il s’en dégage une ambiance festive fidèle à son sujet. La démonstration de force et de polyvalence des armées est saluée par l’admiration et la fierté du public. En fin de compte, ce ne sont pas tant les autorités civiles et militaires que le peuple qui passe son armée en revue. Ce volume très soigné au format à l’italienne en rend parfaitement compte. C’est un excellent outil de référence, qui fait superbement le tour de la démonstration collective typiquement française qu’est le défilé du 14 juillet.