La revue semestrielle Tan’gun publiée depuis 2007 aux éditions de l’Harmattan, a été créée par le C.R.I.C (Centre de recherches internationales sur les Corées). Ce dernier de l’EHESS est un lieu d’enseignement et de recherche appuyé sur un fonds documentaire où dominent savoirs et sources en langue coréenne. Il constitue à partir de 2006 la partie coréenne autonome d’un laboratoire commun « Chine-Corée-Japon » (UMR 8173 CNRS-EHESS) instituant la démarche comparative à l’échelle de l’Asie du Nord-Est avec le Centre de recherches sur le Japon (CRJ) et le Centre d’études sur la Chine moderne et contemporaine (CECMC). Dès lors, on pourrait s’attendre au meilleur, le directeur de la revue étant Patrick Maurus, professeur de langue et de littérature coréenne à l’Institut national des langues et civilisations orientales. Il est aussi directeur de la collection « Lettres coréennes » chez Actes Sud.
Le titre était très alléchant, je me suis jetée dessus et … la déception fut totale.
Le lecteur curieux, historien géographe ou pas y trouvera-t-il des éléments de compréhension sur la Corée du Nord ? Certainement pas. L’avertissement qui précède le dossier est à ce titre éloquent, son titre explicite : « la RPDC fait de nouveau la une et les spécialistes ressortent de la naphtaline ». L’auteur (non indiqué) nous livre un texte très complaisant vis-à-vis de l’un des derniers régimes totalitaires de la planète qui possède des kwanliso (camp de concentration). Il balaie indirectement tous les rapports internationaux, les témoignages de réfugiés, les reportages effectués sur place en mode « vous ne savez rien sur la Corée du Nord, ce pays incompris ».
« Il est faux de dire qu’ils ne montrent que ce qu’ils veulent » affirme page 12 Patrick Maurus. Ayant acquitté mon droit d’entrée en 2018, je puis certifier qu’en Corée du Nord on nous montre et on nous emmène là où ils ont décidé. Avons-nous accès aux quartiers populaires ? Non. Avons-nous accès aux campagnes et aux villages paysans ? Non Peut-on discuter de tout avec un Nord-Coréen ? Non Peut-on circuler librement dans Pyongyang ? Non. Le brief avant de partir est très clair : si nous allons en Corée du Nord il ne faut pas parler politique et nous plier à un certain nombre de consignes rigides mais incontournables.
Une fois ceci posé que reste t-il de cette revue ? Ce numéro propose un dossier présentant essentiellement des extraits de romans ayant pour thème la Corée du nord, ce qui déjà permet une première approche de la littérature nord-coréenne, ce qui ne manquera pas d’intéresser les amateurs de la littérature asiatique. Mais là aussi, on grince devant les présentations bâclées ou inexistantes des auteurs, exception faite de Velina Minkoff auteure bulgare du roman Le grand leader doit venir nous voir, traduit et paru aux Éditions Actes Sud en mai 2018. On aurait voulu savoir qui est Choe Jeong U ou Niky Guillon mais nous restons sur notre fin … Entre deux extraits de romans, le lecteur trouve quelques articles ayant une dimension historique, certes glissés de manière anarchique et, une nouvelle fois sans présentation des auteurs, négligence regrettable mais qui en dit long sur le manque de rigueur de la revue. C’est dommage car celui de Manon Prud’homme intitulé « Retour sur l’histoire des migrations nord-coréennes vers la Corée du Sud », prudent et factuel, se distingue de l’ensemble en soulignant certains aspects méconnus de ces mouvements comme la part importante des femmes dans ces migrations. Il est dommage cependant que son texte ne soit pas accompagné d’une carte. L’article « Voyage aux origines du cinéma coréen » d’Adrien Gombeaud sort également du lot en évoquant notamment des réalisateurs majeurs comme Na Un‘gyu et de Lee Pil-wu mais aussi le poids de la colonisation japonaise sur le cinéma coréen à partir des années 30.
On comprendra aisément que le directeur de la publication Patrick Maurus doive montrer patte blanche afin de continuer à pouvoir voyager dans ce pays dont le régime tolère assez peu la critique et les contrariétés, c’est une réalité des régimes totalitaires qu’il faut rappeler et ne pas perdre de vue sauf à tomber dans la complaisance irresponsable.
Il n’empêche que cette revue est bâclée. Mal conçue, mal organisée, ne comportant aucun document iconographique, aucune notice biographique, elle n’est pas pensée pour le lecteur intéressé par la Corée du Nord. Elle rate son rendez-vous avec le public et c’est dommage.
Cécile Dunouhaud