« Nous, les humains, sommes des descendants lointains de microbes ». Partant de ce constat, l’auteur propose au lecteur un voyage à travers l’histoire sous le prisme des épidémies. Cependant, c’est tout autant à la découverte de Sapiens qu’il nous convie.
Marseille 1720
L’auteur, Romain Piarroux, est professeur à la faculté de médecine de Sorbonne Université. Il choisit de commencer par le cas de Marseille en 1720. C’est tout d’abord une des épidémies les mieux documentées. On sait aujourd’hui que ce n’étaient pas les tissus qui transmettaient la maladie mais les puces. Marseille se savait exposée au risque d’importation de peste et à quinze reprises sur seize les mesures prises avaient suffi. L’auteur raconte la progression de la maladie et notamment en Provence.
Les microbes de nos ancêtres
Souvent, le nom d’une maladie a été employé à mauvais escient car la peste d’Athènes, par exemple, n’en était pas une. Plus on remonte dans le temps, plus il est compliqué de connaitre le détail de vie de nos ancêtres. La tuberculose est un héritage ancien qui a accompagné l’humanité pratiquement partout où nos ancêtres se sont installés. Le bacille de la peste a lui été identifié à plusieurs reprises. Le bon côté de ces épisodes infectieux est qu’ils ont forgé notre immunité qui représente un formidable héritage.
Premières épidémies, premières pandémies
La sédentarisation et l’invention de l’agriculture ont eu des conséquences sanitaires considérables. Avec l’avénement de l’empire romain, la lèpre étendit son territoire sur l’ensemble du pourtour méditerranéen. Les épidémies sont souvent passées sous silence par les chroniqueurs des temps passés. La concentration humaine dans les villes ajoute au risque épidémique. Durant l’Antiquité, le paludisme a bénéficié des bouleversements que les Romains ont apportés à leur environnement en développant l’agriculture et en gagnant sur la forêt.
Les différentes pestes
L’émergence de la peste au VIème siècle, si brutale fut-elle, a été le fruit d’un processus qui s’est déroulé sur des milliers d’années. C’est ce qu’on a appelé la peste de Justinien. Il y eut ensuite en 1347 la Peste Noire. Le catapultage de cadavres infectés par la maladie dans la ville de Caffa est sans doute vrai mais n’est probablement pas à l’origine de la propagation de la peste en Europe. Les cinq années de peste en Europe furent à l’origine de 25 millions de morts et tout autant en Asie. Au XIV ème siècle, les hordes mongoles par leur extrême mobilité et leurs campagnes militaires ont à leur insu établi un lien entre les foyers ancestraux de la peste.
Renaissance et syphilis
La syphilis eut un impact énorme et on a du mal à l’imaginer car la maladie que l’on connait de nos jours diffère de celle de l’époque. Plusieurs auteurs de l’époque en parlent dont Jérôme Fracastor. C’était un médecin respecté et ses écrits contribuèrent à changer le regard porté sur la contagion. L’auteur évoque d’autres maladies dont le paludisme. La syphilis en tout cas constitue la première pandémie à avoir touché les cinq continents.
Variolisation, vaccination
La variole était déjà implantée depuis des siècles mais elle explose au XVII ème siècle. Elle est responsable de 10 % des morts dans la deuxième moitié du XVIII ème siècle. L’auteur signale que la maladie décima plusieurs souverains et eut donc des conséquences géopolitiques. Selon les moments, c’est la virulence ou la contagiosité du virus qui a varié. Il explique ensuite le processus de variolisation qui certes n’était pas sans risque mais donnait de meilleurs résultats que de ne rien faire. Edward Jenner eut un rôle majeur car il eut l’idée d’expérimenter la vaccination en lieu et place de la variolisation.
Les microbes à la conquête du Nouveau Monde
Les microbes se répandirent sur de nouveaux territoires, et, en retour, leur propagation allait bouleverser l’histoire de l’humanité. Pour les Taïnos, la découverte de l’Amérique par les Espagnols marqua le début d’un effondrement démographique. On apprendra aussi au passage que l’Amazonie ne fut pas toujours forcément ce territoire vide d’hommes comme on l’imagine aujourd’hui mais que ce vide a peut être à voir avec l’effondrement démographique.
Naissance des Etats-Unis
L’installation définitive de colonies britanniques au XVII ème a généré un flux d’immigrants et les occasions d’importation de maladies depuis l’Europe, l’Afrique et les Caraïbes se sont multipliées. L’histoire des Etats-Unis est émaillée d’épisodes épidémiques qui, à de nombreuses reprises, faciliteront l’expansion de la jeune République en direction du Pacifique. Les épidémies n’ont pas agi seules et pour la conquête du Nouveau Monde par les Européens il est difficile de faire la part des choses entre les conséquences des maladies infectieuses et celles des guerres et mauvais traitements qu’ils infligèrent aux peuples indigènes.
Hécatombes
L’auteur s’appuie dans ce chapitre sur les travaux de Christophe Sand et porte sur l’Océanie. Les expéditions de James Cook marquèrent un tournant. A côté des grandes explorations européennes, les populations océaniennes entretenaient également des interactions avec des pêcheurs venus d’Asie. L’espace concerné est immense et l’auteur s’arrête donc sur quelques cas dont celui de l’île de Rapa. Les voyages suivants de James Cook eurent pour conséquence de propager la tuberculose, la syphilis et la grippe. De façon globale, la population autochtone d’Australie aurait chuté de 90 % dans les 100 ans qui suivirent l’arrivée des Européens.
La Mort blanche
C’est le surnom de la tuberculose. Cette maladie accompagne l’homme depuis la nuit des temps. Le temps écoulé entre la contamination d’un individu et la survenue d’une tuberculose maladie peut être très long, allant jusqu’à des dizaines d’années. Au XIX ème siècle, une personne sur cinq mourrait de la tuberculose dans les grandes villes européennes. De façon surprenante, la tuberculose était associée à une sorte de noble fatalité. Laennec y succomba à 45 ans seulement car il n’avait pas imaginé l’origine infectieuse de cette maladie et ne s’était donc pas protégé.
La Peur bleue
Le choléra, à l’inverse de la tuberculose, frappe vite et fort. Le surnom de la maladie est lié au fait que la peau prend une teinte bleue à la suite de la déshydratation. Ce qu’on ignorait, c’est que la clé du traitement était la réhydratation alors qu’on avait tendance à pratiquer des saignées, ce qui ne faisait qu’accélérer les choses. La théorie des humeurs continuait aussi à dominer. John Snow joua un rôle décisif car il fut le premier à démontrer que le choléra était transmis par l’eau. Le choléra et la tuberculose amenèrent à repenser l’environnement urbain et la santé publique.
La révolution microbienne
Au milieu du XIX ème siècle, Semmelweis préconisa l’usage de solutions chlorées pour désinfecter les mains. L’auteur développe ensuite le rôle de Louis Pasteur qui mit à bas des siècles de croyances établies en biologie et en médecine. Pasteur fut aussi un des premiers à comprendre l’importance de la communication pour promouvoir ses idées. Il eut pour concurrent Robert Koch et la dimension d’affrontement franco-allemande se superposa à cet affrontement de savants. Ils incarnaient aussi deux façons de faire de la science : le pragmatisme de Pasteur et le côté plus méticuleux de Koch.
La colonisation de l’Afrique
Les Européens restèrent confinés aux zones côtières, leur expansion était entravée par la méconnaissance des routes, les résistances des populations et les maladies tropicales. On doit la découverte de la cause du paludisme à Alphonse Laveran, un médecin militaire français en poste à Constantine. Le chapitre évoque aussi la maladie du sommeil et ses conséquences.
Une pandémie inattendue
Ce dernier chapitre est consacré à ce qu’on nomma longtemps et improprement la « grippe espagnole » qui sévit à la fin de la Première Guerre mondiale. La pandémie a probablement débuté au début de l’année 1918 au Kansas. Par ailleurs, 28 % de la population américaine contracta la maladie et 675 000 personnes en moururent sur un total d’environ 100 millions d’habitants. Au niveau mondial, il y eut peut-être 100 millions de morts soit 5 % de l’humanité.
Renaud Piarroux précise qu’il y aura sans doute un volume deux pour évoquer le sida ou encore le Covid 19. Comme pour les pandémies du passé, leur survenue s’insère dans notre histoire et n’a été possible que par des évolutions récentes de nos sociétés.