Pour la plupart des lecteurs, Sapiens : Une brève histoire de l’humanité est un livre de Yuval Noah HARARI publié pour la première fois en hébreu en 2011, puis en anglais en 2014 et en français aux éditions Albin Michel en 2015. Depuis six ans, ce livre est en tête dans le classement des essais les plus vendus en France. Phénomène mondial avec des ventes qui dépassent désormais les 10 millions d’exemplaires, dont plus de 700000 en France, ce récit passionnant du chercheur israélien sur l’histoire de l’humanité est désormais publié en bande dessinée et c’est en France que le projet a vu le jour il y a maintenant deux ans du côté d’Albin Michel.
Une BD à 6 mains
Le premier tome, paru en 2020, porte sur la naissance de l’humanité. Pour mettre en images et en bulles nos ancêtres, c’est au scénariste belge David Vandermeulen et à l’illustrateur Daniel Casanave qu’a été confié cette production. Ce dernier, spécialiste de vulgarisation scientifique, a notamment réalisé quatre albums avec l’astrophysicien et philosophe Hubert Reeves. David Vandermeulen a fondé la collection « La Petite Bédéthèque des savoirs ». Yuval Noah Harari, né le 24 février 1976 à Kiryat-Ata, est un historien et écrivain israélien, professeur d’histoire à l’université hébraïque de Jérusalem.
De l’origine à la révolution agricole
Sur 248 pages au graphisme efficace et coloré, on découvre l’aventure sur 70.000 ans de l’Homo sapiens qui, quittant le berceau africain, conquiert le monde et conduit à la disparition des autres espèces humaines. Chaque arrivée de Sapiens sur une terre se solde par un même constat : la catastrophe environnementale qui s’ensuit, déforestation massive, destruction des espèces animales et végétales. Ce premier tome met ainsi en scène la révolution agricole, la domestication des animaux et des plantes, la découverte du feu, la naissance de l’écriture, des premiers Empires, de la monnaie, des religions, des cultes et croyances, de la science, convergeant vers le constat : le Sapiens a colonisé l’ensemble du globe en détruisant les formes du vivant sur son passage. Sa « révolution cognitive », sa capacité à créer des croyances, des fictions collectives (religions, argent, institutions…) a accouché d’un terrible prédateur.
Pourquoi, comment, dans quelles conditions l’Homo (genre) sapiens (espèce) a-t-il éliminé les autres espèces humaines qui peuplaient la Terre ? Qu’est-ce qui l’a progressivement différenciée des autres espèces ? Le langage, l’outil ou plutôt ce que l’historien appelle « révolution cognitive », à savoir l’aptitude à coopérer en grand nombre ? Animal insignifiant parmi les animaux et humain parmi d’autres humains, Sapiens a ainsi acquis au cours des millénaires des capacités extraordinaires qui l’ont transformé en maître du monde. Qu’est-ce qui nous différencie des animaux ? Nos ancêtres étaient-ils plus violents que nous ? Et comment faisaient-ils l’amour ? Pour répondre à ces questions, Yuval Noah Harari part à la rencontre de scientifiques du monde entier, biologistes, sociologues ou anthropologues.
Le best-seller a ici été réinventé, avec humour et distanciation, ce qui efface le côté parfois sentencieux de l’œuvre originale. Harari lui-même croqué, à la silhouette longiligne et au visage émaciée, accompagné de sa petite nièce Zoé, nous permet d’entrer dans l’Histoire de l’Humanité de l’origine de Sapiens à la Révolution agricole. À chaque étape, nous rencontrons des savants, tous fictifs, qui synthétisent l’impressionnant roman du savoir.
Entre curiosité, humour et connaissance
David Vandermeulen et Daniel Casanave émaillent l’aventure paléoanthropologique de Sapiens de références artistiques, scientifiques qui produisent un effet inattendu et souvent iconoclaste. Par bonheur, le récit échappe au côté scolaire et ne suit pas la narration initiale du best-seller. La BD reprend l’essentiel des idées mais la mise en scène de l’auteur, lui-même personnage clé, permet de feuilleter allègrement les pages sans se lasser et avec le doux sentiment de se découvrir un passé aussi sombre qu’excitant pour l’intellect.
Le côté agréable de cet albumLire un extrait tient dans son processus narratif marqué par une grande inventivité et un rappel constant des références scientifiques mais aussi esthétiques liées à la culture populaire ; La BD multiplie ainsi les allusions au cinéma, entrecoupe son scénario de parodies interstitielles, parsème ses images de clins d’œil qui éclairent et tordent ainsi le cou aux préjugés ou aux théories hasardeuses. Ce n’est ainsi pas une vulgarisation de l’œuvre d’origine, mais une valeur ajoutée par rapport à l’édition courante : Yuval Harari y a contribué en ajoutant de nouveaux exemples, en précisant des concepts qui, depuis la première édition, avaient un peu évolué. C’est au final la rencontre d’auteurs qui ont compris qu’avec la bande dessinée, ils s’adressaient à un autre lectorat
A l’heure où tout le monde se croit aujourd’hui professeur d’épidémiologie, où les « platistes » progressent toujours plus chaque jour, et où un manque criant de culture scientifique se fait ressentir dans notre société, au-delà de la pandémie, des questions essentielles de notre siècle exigent une réelle compréhension scientifique : changement climatique, intelligence artificielle ou bio-ingénierie sont ainsi des sujets cruciaux pour les nouvelles générations. Ce livre se veut ainsi le pont entre la communauté scientifique et le grand public, y compris la jeunesse. Ce roman graphique, réalisé à six mains est au final plus une extension de Sapiens qu’une simple adaptation.
En conclusion, Sapiens, La naissance de l’humanité est une bande dessinée qui interroge et permet de repenser, avec humour, tout ce que nous croyions savoir sur l’histoire de l’humanité. Elle pourra satisfaire la curiosité débordante d’adultes en manque de connaissances scientifiques stables mais aussi des adolescents avides de culture et de découverte. C’est un livre essentiel qui se doit de figurer dans chaque bibliothèque digne de ce nom et qui doit être mis entre toutes les mains.
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