Sécurité globale, numéro 15 printemps 2011, institut Choiseul, 28 €

Ce 15e numéro de la revue Sécurité Globale qui est présentée à chaque parution sur La Cliothèque devrait figurer parmi les plus intéressants et les plus pertinents de la série.
Préparé avant la catastrophe nucléaire de Fukushima, il n’en demeure pas moins d’une grande actualité, même si l’un des articles apporte un éclairage qui peut être largement contesté sur : « le nucléaire civil comme instrument de sécurité énergétique au XXIe siècle. » Son auteur Bernard Bigot est administrateur général du Commissariat à l’énergie atomique et on peut donc supposer qu’il ne doit pas compter parmi les supporters de Nicolas Hulot ou d’Eva Joly ou d’un candidat écologiste issu d’une composante improbable de ce courant multiforme. Qu’on le veuille ou non, l’analyse qui est faite par cet auteur de l’équation nucléaire peut amener à réfléchir et même convaincre. Qu’on le veuille ou non, en l’absence de solutions techniques permettant de se substituer aux énergies fossiles et confrontées au réchauffement climatique, les pays développés et les pays émergents, sont amenés à consommer de plus en plus d’énergie. Dans ce cas, le nucléaire de fission et peut-être le nucléaire de fusion, sous réserve d’évolution technologique majeure peuvent contribuer à régler un certain nombre de problèmes. Une hypothèse est envisagée, qui serait celle d’utiliser l’électricité résiduelle disponible à un instant donné pour décomposer de l’eau par électrolyse et produire de l’hydrogène de l’oxygène. Ces gaz pourraient permettre la transformation optimisée de la biomasse renouvelable non dédiée à des usages alimentaires ou industriels. Ce procédé permettant de produire un mélange composé de monoxyde de carbone et d’hydrogène, après passage sur un catalyseur pourrait permettre de produire des hydrocarbures de synthèses directement substituables leurs équivalents d’origine pétrolière dans les moteurs actuels. Pour ce qui concerne l’énergie nucléaire de fusion, il y a des seuils technologiques à franchir, et c’est tout l’intérêt du projet ITER, permettant d’obtenir de très haute température, à partir d’un atome d’hélium non radioactif et chimiquement inerte. Si la démonstration sur l’intérêt du nucléaire peut apparaître comme assez convaincante, dès lors qu’il serait associé à des énergies renouvelables à une optimisation des productions énergétiques disponibles, l’article souffre d’un défaut majeur, qui est celui de ne pas évoquer de sujet particulièrement sensible, surtout à la lumière des événements qui se sont déroulés au Japon, la sécurité des installations et le retraitement des déchets. Sur cet aspect des réacteurs nucléaires de type surrégénérateur, du type de celui qui a été installé mais ensuite abandonné à Creys Malville, pourraient retraiter les combustibles, ce qui réduirait les déchets radioactifs ultimes. Ces derniers seraient pourtant, et pour plusieurs dizaines de milliers d’années, hautement radioactifs.

Jean-Pierre Favennec, consultant et professeur à l’institut français du pétrole, propose un article assez éclairant sur le « peak Oil », le fameux pic pétrolier à partir duquel la production d’or noir baisserait inéluctablement. Les enseignants qui se souviennent de ce qu’ils pouvaient raconter il y a à peine un peu plus de 30 ans, auront l’honnêteté de reconnaître qu’ils annonçaient, avec un ton de voix dramatique, qu’il ne restait plus à ce moment-là de pétrole que pour une trentaine d’années. À l’heure actuelle, et même si l’auteur de l’article nous met en garde contre les annonces diverses dans ce domaine, il semblerait qu’au rythme actuel, une petite cinquantaine d’années de production au rythme actuel soit devant nous. Mais ce débat sur les réserves pétrolières, « prouvées » « ultimes », et très largement biaisé en raison des incertitudes sur l’amélioration des taux de récupération, et sur des découvertes, dans l’Arctique qui sont riches de perspectives. De plus, la question qui est posée est celle de pétrole non conventionnel, les huiles extra lourdes localisées au Venezuela dans le bassin pétrolier de l’Orénoque et les sables asphalthiques du Canada. Le pic pétrolier sera probablement atteint dans un futur relativement proche, sans doute avant que l’auteur de ces lignes ne puisse faire valoir ses droits à la retraite, 2020 ou 2030. En réalité le pic pétrolier sera sans doute fonction de l’évolution du prix du pétrole brut puisqu’au-delà de 153 $ le baril le pétrole non conventionnel deviendrait particulièrement avantageux.

Maître de conférences à l’institut d’études politiques de Paris et à l’ENA, Christophe-Alexandre Paillard propose une synthèse particulièrement éclairante sur «les défis énergétiques et les enjeux stratégiques XXIe siècle.» Dans un contexte d’absence d’alternative aux hydrocarbures, et sans source d’énergie dotée de qualité comparable, l’accès au pétrole et au gaz naturel sera très probablement source de confrontation. Mais les puissances établies, surtout du point de vue des pays consommateurs, seront confrontées à de véritables défis énergétiques. Les pays émergents qui seront certainement d’ici là devenus des pays « émergés » auront à coeur de mettre en oeuvre des politiques visant à réduire leur dépendance extérieure. Le Moyen-Orient, en raison de la richesse de ses ressources, sera toujours une région particulièrement sensible d’autant plus que les producteurs chercheront à préserver leurs ressources des convoitises extérieures. Il n’est pas évident que le « deal », symbolisé par la rencontre en 1945, entre Abdelaziz Ibn Saoud et le président Roosevelt, à savoir pétrole contre sécurité, tiennent encore longtemps. Peut-être que d’ici là, à la lumière des révolutions arabes qui se déroulent actuellement, les peuples du Proche-Orient auront une autre perception des relations à avoir avec les plus gros pays consommateurs. Bien entendu, l’abstinence énergétique, ou en tout cas une très forte baisse de la consommation, permettrait de limiter les risques mais il semble peu probable que cette voie soit privilégiée, au moins à moyen terme. Cela signifie que la question énergétique devrait rester l’un des défis stratégiques majeurs du XXIe siècle.

Bruno Muxagao et Bruna Le Prioux, tous deux doctorants en relations internationales présentent un sujet assez mal connu, à savoir la découverte des gisements d’hydrocarbures du «pré-sel » au large des côtes brésiliennes, dans l’Atlantique sud. Cette zone pourrait contenir à des profondeurs situées entre 5000 et 7000 m sous la mer des gisements considérables de pétrole et de gaz, pour un volume estimé entre 50 et 80 milliards de barils. L’intérêt de ces gisements est qu’il se trouvent sous une couche de sel, de 2000 m d’épaisseur, mais que le pétrole serait maintenu à de fortes températures, en raison de la profondeur, et qu’il serait de surcroît d’excellente qualité. En décembre 2010, la compagnie brésilienne Petrobras a commencé l’exploitation de champs pétrolifères de ce type. Selon certaines prévisions le Brésil pourrait devenir le cinquième ou le sixième producteur mondial de pétrole derrière l’Arabie Saoudite, la Russie, l’Irak, l’Iran, et le Canada. Ces découvertes représentent un intérêt majeur pour ce pays qui est déjà un géant agricole, qui a pris une incontestable avance dans le domaine de l’utilisation des agrocarburants, qui a su, dès le milieu des années 60 développer son potentiel hydroélectrique, et qui cherche aujourd’hui, dans le cadre du Mercosur à s’affirmer comme une grande puissance continentale à vocation mondiale. Bien entendu, les gisements ne sont pas faciles à exploiter, mais expertise de Petrobras qui exploite à elle toute seule le quart des gisements de pétrole offshore pourrait permettre de développer des solutions innovantes, comme l’extraction sous-marine sans plate-forme et l’acheminement des hydrocarbures par des oléoducs souples. Le Brésil a d’ailleurs développé un immense effort diplomatique pour éviter que, au-delà de sa zone économique exclusive, d’autres puissances ne viennent pas revendiquer leur part du gâteau. Le Brésil a déposé devant les Nations unies des demandes d’extension de sa zone économique exclusive, au-delà de son plateau continental, et a déjà affirmé sa souveraineté sur ces périmètres d’exploitation. Comme il ne faut jamais rien exclure, les autorités brésiliennes ont développé un programme de modernisation important de leur marine, allant jusqu’à racheter le porte-avions Foch, rebaptisé Sao Paulo, comme instrument de supériorité navale. Ils se sont également tourné vers la France qui jouit d’une excellente réputation dans ce domaine pour acquérir six sous-marin diesel électrique de type Scarpène et un projet de coopération franco brésilienne pour construire la coque d’un futur sous-marin nucléaire semble en voie d’aboutir. Par contre, il semblerait que pour ce qui concerne les avions rafale, rien ne soit encore décidé.
Les autorités brésiliennes maintiennent dans le même temps leur volonté de voir se développer les biocarburants. Et Brésiliens sont arrivés, et les États-Unis étaient loin d’être hostiles, à mettre en place un véritable marché de l’éthanol, et ils entendent le développer au-delà de leurs frontières, pour vendre leur savoir-faire particulièrement apprécié dans ce domaine.
Incontestablement, avec ce jackpot énergétique, le Brésil pourrait devenir les premiers grands pays émergents a véritablement « émerger » et donc à rejoindre avec de très de solides atouts le club des pays les plus riches, dans la mesure où les gouvernements brésiliens, depuis l’accession au pouvoir de Lula et de Dilma Roussef, son successeur, en temps de faire bénéficier l’ensemble de la population de cette situation de « rente énergétique ». En réalité le terme serait plutôt mal choisi, parce que la rente pétrolière ne demandait strictement aucun effort, ce qui est loin d’être le cas du potentiel énergétique dans ce pays dispose.

C’est donc un numéro particulièrement précieux, avec des chiffres récents, et des analyses qui, même si elles ne prennent pas véritablement compte la dimension environnementale de la question énergétique, mérite que l’on s’y attarde. Libre au lecteur de se faire ensuite son opinion.

Bruno Modica