Osint ? ou Open source Intelligence ou encore en français renseignement d’origine source ouverte. C’est à cette thématique, qui devient de plus en plus centrale, qu’est consacré ce numéro d’Hérodote. Composée de nombreuses interventions, la revue permet de faire le point. Signalons tout d’abord que le développement exponentiel des données fournies par Internet et les réseaux sociaux ouvre un immense champ de nouvelles sources tant dans le domaine de l’enquête que du renseignement. Un résumé de chacune des contributions est proposé en fin d’ouvrage.
Osint et renseignement
A propos de la guerre en Ukraine, il faut retenir qu’elle s’appuie sur une masse de données numériques produites par des capteurs et c’est le premier conflit de haute intensité ainsi capté et retransmis via les réseaux sociaux. Les deux auteurs entendent proposer une ébauche de cadre méthodologique à la pratique de l’Osint. On peut établir un parallèle entre enquête numérique et enquête de terrain. Les enquêtes Osint les plus rigoureuses nécessitent que soient remplis trois critères : disponibilités de la donnée, connaissance technique et connaissance de zone. Rien ne remplacera jamais l’enquête sur le terrain, mais il est aussi indispensable de penser les ressources offertes par l’Osint.
Une autre contribution s’intéresse au cas spécifique de la Russie. Le RuNet est une source d’information importante sur la Russie, d’autant plus que certaines données à caractère personnel sont ici moins bien protégées. Marie-Gabrielle Bertran évoque aussi ce qu’elle appelle les « sources grises ». L’instrumentalisation géopolitique des fuites de données est un risque à prendre en compte.
Un autre article étudie le développement et l’usage de l’Osint dans les services de renseignement et insiste aussi pour dire qu’il n’y a pas d’ubiquité des services de renseignement qui serait permise par l’abondance des données.
Osint et journalisme
Au niveau des enquêtes, on peut distinguer les enquêtes réactives et les proactives. Romain Mielcarek s’interroge sur l’enquête en sources ouvertes, « entre mirage et opportunité ». Un consultant du FBI déclare que 98 % des éléments dont il a besoin pour enquêter sur un individu sont disponibles en ligne. Il faut tout de même noter que, dans la plupart des cas cités de ce type d’enquête, les auteurs avaient une idée de où commencer leurs recherches. Dès lors, quels types de profils les rédactions doivent-elles recruter ? Des compétences en source ouverte sont à développer chez l’ensemble des journalistes, plutôt que d’imaginer des spécialistes uniquement de ce domaine.
Osint et crimes internationaux
L’Osint peut représenter un palliatif à l’impossibilité de se déplacer in situ pour enquêter. Une application gratuite permet d’enregistrer des photos et vidéos contenant les métadonnées nécessaires pour assurer leur authenticité. On peut évoquer également le protocole de Berkeley qui définit cinq grands principes et quatre axes méthodologiques pour encadrer en quelque sorte ce nouveau domaine.
Sources ouvertes et lutte contre la désinformation
Alexandre Alaphilippe explique que l’utilisation de sources ouvertes peut amener à repérer des acteurs malveillants mais « une analyse erronée et tendancieuse des sources ouvertes peut conduire à une interprétation biaisée ». Doit-on encadrer les méthodologies ou les acteurs ? L’auteur évoque notamment les travaux de Shoshana Zuboff sur le capitalisme de surveillance. Il évoque également la politique de RGPD.
Le cas chinois
Il s’agit ici de proposer un état des lieux des sources numériques que les sinologues peuvent utiliser. Les réseaux sociaux connaissent une progression fulgurante en très peu de temps. Douyin, version domestique de Tik Tok, compte actuellement plus de 600 millions d’utilisateurs. Baidu Tieba est un forum très influent qui compte près de 20 millions de groupes de discussion et il est à ce titre intéressant pour le chercheur. L’article parle des recherches d’Adrian Zenz sur le Xinjiaang. La politique sécuritaire mise en place par le pouvoir peut se voir à travers les offres de recrutement d’emplois publics dans la province mises en ligne sur Internet.
Apports et limites des données numériques pour l’analyse géopolitique de l’infrastructure Bitcoin
Le fait que les données de transactions en bitcoins soient en accès libre offre des possibilités intéressantes pour la recherche. Léo Ronzaud et Lotus Ruan traitent du Word Wild Web en proposant une typologie non exhaustive des méthodes d’enquête et d’analyse des campagnes d’influence sur les réseaux sociaux. On voit de plus en plus se développer les faux comptes qui ont pour but d’influencer l’opinion sur les réseaux sociaux.
Ce numéro d’Hérodote permet donc de faire le point sur ce domaine nouveau. On mesure à la fois son côté presque incontournable et, en même temps, on mesure aussi qu’il ne peut pas être suffisant. Comme tout nouveau domaine, il suscite certains fantasmes mais il implique aussi de se poser la question de la méthodologie pour développer des usages responsables.