Trois ans seulement après la première édition, les éditions Economica publient une deuxième édition mise à jour de l’ouvrage du général Yakovleff. Un succès donc, pour un ouvrage écrit par un officier au parcours complet. Sur le terrain comme officier de la légion étrangère , mais aussi plus récemment comme commandant de la Task Force Multinationale Nord (TFMN-Nord) au Kosovo et à la tête de la 7° brigade blindée. Mais aussi homme de réflexion en tant que directeur général adjoint de la formation à l’école des blindés de Saumur et de participant à la rédaction du livre blanc sur la défense. C’est dans une optique pédagogique qu’il rédigea cet ouvrage de doctrine tactique, pour amener à raisonner la tactique.

L’ouvrage comprend 6 parties, chacune faisant l’objet d ‘une introduction très claire précisant les objectifs poursuivis par l’auteur. Les deux premières parties s’intéressent aux grands principes de la guerre et au raisonnement tactique. La troisième présente les diverses fonctions opérationnelles et le maniement des forces. Les différentes postures de combat (offensives ou défensives) occupent les quatrième et cinquième parties. Enfin, la sixième partie traite des opérations de « maîtrise de la violence » menées dans le cadre de forces internationales type ONU, mais de manière beaucoup plus sommaire, celles-ci n’étant pas normalement des opérations de combat.

Science de la guerre ou art de la guerre ?

Une distinction que l’on retrouve dans de nombreux chapitres de l’ouvrage. La science de la guerre regroupe tout ce qui peut être théorisé et enseigné. Qu’il s’agisse des différentes disciplines dont les militaires sont amenés à se servir (balistique, géographie…) et des calculs qu’ils sont ensuite amener à faire pour les mettre en application (gestion des flux logistiques, temps de transport etc..). De nombreux aspects des conflits modernes nécessitent une approche scientifique. La pratique de la guerre est de plus en plus technologique avec l’emploi d’armes dites intelligentes ou par ses formes navales ou aériennes. Il est donc nécessaire de planifier ce que l’on va faire de manière scientifique.

Néanmoins, on ne peut réduire les conflits à un affrontement purement scientifique, cela reviendrait à ne pas voir la place qu’y tiennent les hommes, et notamment ceux qui commandent. C’est ici qu’intervient la notion d’art de la guerre, elle implique la prise de décision par un individu, c’est lui qui va devoir choisir parmi les options celle qui lui semble la plus appropriée. Ce choix il le fait en fonction de sa formation, mais aussi de son caractère, de l’état supposé de ses forces et de celles de ses adversaires. Autant de paramètres peu scientifiques mais déterminants pour le résultat final. Il y a en réalité en permanence une combinaison de la science de la guerre et de l’art de la guerre.

De l’initiative…à la surprise

L’auteur insiste fortement sur le fait que tout combat est forcément dynamique dans son déroulement. L’ampleur de la victoire dépend largement du temps nécessaire pour l’obtenir, plus elle est rapide, plus elle apparaît brillante. Gagner c’est imposer à l’autre ses buts de guerre, mais encore faut-il avoir des buts de guerre précis pour profiter de sa victoire : est-ce que l’OTAN a vraiment obtenu une victoire au Kosovo en 1999..? De même que la victoire doit s’obtenir sur le théâtre d’opération le plus important, au Vietnam les Américains ont remporté bataille sur bataille sur le terrain vietnamien mais perdu le combat sur le théâtre principal qui était le théâtre intérieur américain.

La victoire s’obtient donc en imposant à l’adversaire ses volontés, ce qui ne peut se faire qu’à travers le gain de l’initiative. Elle permet d’opérer comme on le désire et de contraindre l’adversaire à agir selon nos souhaits. La saisie de l’initiative est un moment clef de tout affrontement militaire ou sportif. En effet, elle va plus loin que la simple supériorité matérielle, elle donne un ascendant moral à celui qui a su la saisir, l’adversaire est alors désorienté, sa faculté de jugement érodée.
Cela implique une prise de risque. Le plus difficile étant d’apprendre à les évaluer correctement et à ne prendre que des risques adaptés à l’enjeu. Avoir peur du risque c’est se priver d’options, prendre trop de risques c’est s’exposer à une défaite totale. La prise de risque acceptée et assumée permet de remporter la victoire comme lors du débarquement d’Inchon en 1950. Lorsque le risque est inconsidéré, cela provoque la défaite, c’est le cas de l’entrée des armées françaises en Belgique en mai 1940.

La prise de risque permet souvent d’obtenir la surprise qui est susceptible de déstabiliser le chef ennemi, et donc donne un ascendant moral déterminant à celui l’a obtenu et le temps suffisant pour l’exploiter.

Enfin, l’auteur insiste sur l’importance de la friction et du brouillard de la guerre. Tous deux créent des incertitudes sur la manière dont vont se dérouler les actions. Une leçon à l’attention de ceux qui croient que la technologie permet d’éliminer toute surprise et de tout planifier.

Un raisonnement complet.

Le combat invite à raisonner sur de nombreux points. On ne sera pas surpris de retrouver ici la nécessaire maîtrise de l’espace en fonction de sa nature mais aussi des forces qui y sont déployées. L’auteur distinguant ici l’espace occupé physiquement de l’espace contrôlé.

Il faut aussi connaître son ennemi. Cela revient le plus souvent à connaitre les doctrines employées par les armées qu’on est censé affronter. Celles-ci façonnent largement la manière d’agir de ceux qui les commandent et de leurs forces. Tout au long de l’ouvrage l’auteur fait référence aux diverses doctrines en vigueur dans les armées françaises ou américaines, mais aussi, aussi surprenant que cela puisse paraître dans l’armée soviétique. On peut ainsi les comparer et apprécier la manière dont elles ont pu influencer les diverses interventions armées de ces dernières années, en particulier pour la doctrine militaire américaine.

Réfléchir sur la doctrine ennemie semble plus difficile lorsque l’on est opposé à des combattants irréguliers (un ennemi non structuré). Pourtant, on peut trouver un certain nombre de points communs aux modes d’actions de telles forces qui permettent de dresser une liste d’options possibles, tout au moins au niveau tactique.

Enfin, la maîtrise du temps est essentielle au succès de l’opération. Il s’agit de connaître la durée d’efficacité des troupes (le temps qu’elles peuvent combattre, ou celui nécessaire pour effectuer un trajet) ainsi que la fréquence avec laquelle on peut leur demander de reproduire leur effort. C’est en fonction de cela que seront définis la séquence des opérations et le moment le plus opportun pour saisir l’initiative et imposer son effet majeur à l’adversaire. Celui-ci garantissant alors la victoire.

La preuve par l’exemple.

L’auteur illustre son ouvrage de 38 vignettes réparties dans les différents chapitres Autant d’exemples historiques qui permettent d’appuyer un raisonnement selon lequel les conflits futurs ne seront pas tous des conflits asymétriques mais plutôt des guerres lacunaires comme l’ont été la guerre de sécession ou les conflits napoléoniens. En effet, l’évolution des technologies, la réduction du format de la plupart des forces armées, rend peu probable (dans un premier temps du moins), la formation de fronts linéaires comme on l’avait vu lors des deux derniers conflits mondiaux. De plus, l’échelle choisie (le niveau tactique) rend transposable aux conflits asymétriques les théories de l’auteur.

Les parties de l’ouvrage consacrées à l’offensive et à la défensive permettent également de passer en revue toutes les postures possibles en matière de combat. Comme il se doit, c’est la partie la plus illustrée par des « coups » illustres.

En conclusion

 

L’ouvrage du général Yakovleff est avant tout destiné à des militaires. Il fait partie des ouvrages destinés à rentrer dans toute bibliothèque stratégique

Mais la richesse de son propos, la présence de nombreux exemples historiques et de schémas, le rend accessible à ceux qui sont intéressés par l’histoire militaire ou qui voudraient comprendre les dynamiques des affrontements contemporains. De par l’importance accordée à l’importance du facteur humain (pour la prise de décision ultime, pour l’aspect moral) et à la saisie de l’initiative font qu’une grande partie de son raisonnement pourrait être intéressante à tout amateur de stratégie, sportif ou joueur de wargame.

François Trébosc