Cet ouvrage dirigé par Pierre SingaravélouProfesseur d’histoire au King’s College de Londres et à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, il a principalement travaillé sur l’histoire de la colonisation et de la mondialisation aux XIXe et XXe siècles. et Sylvain VenayreProfesseur d’histoire contemporaine à l’Université Grenoble-Alpes, il est spécialiste de l’histoire du XIXe siècle, ses travaux portent sur l’histoire des circulations (voyages, tourisme, expéditions militaires), ainsi que sur l’histoire des imaginaires, des sensibilités et des émotions. fait suite à l’Histoire du monde au XIXe siècle (2017) et au Magasin du Monde (2020). Dans ce nouveau livre, les produits alimentaires deviennent de véritables objets d’étude, très sérieux mais au combien passionnants, nous permettant d’appréhender la mondialisation dans toute sa complexité et toutes ses dimensions.

Pour l’occasion, de nombreux d’historiens ont entouré Pierre Singaravélou et Sylvain Venayre afin de rédiger les différents chapitres de ce livre. Comme dans une épicerie, le lecteur peut choisir ses articles en fonction de ses envies et appétences (intellectuelles bien sûr). Les produits sont variés et alléchants. En voici une proposition de menu de lecture : pour se mettre en appétit des huitres accompagnées de champagne, quelques sushis en attendant un bel hamburger (avec ketchup ou mayo) ou un döner kebab en buvant du Coca-Cola ou du vin, en fromage du roquefort ou du parmesan et un yahourt en dessert … enfin, un petit café et un rhum pour digérer.

Si les produits alimentaires ont de tout temps été confectionnés, échangés et consommés, « c’est cependant à partir de la seconde moitié du XVIIIe siècle que trois phénomènes ont convergé pour révolutionner l’histoire globale du fait culinaire » :

  • L’affirmation des identités locales ou nationales. La cuisine n’échappe pas à ce mouvement ! Ici les expositions universelles du XIXe siècle ont joué un rôle non négligeable en étant des lieux privilégiés de ces formes d’expression identitaire. Le roquefort et les huîtres d’élevage sont présentés à Paris (1867), le loukoum à Vienne (1873) et les corn flakes à San Francisco (1915). Si la plupart des plats et boissons se perdent dans la nuit des temps, les revendications identitaires sont nombreuses. En 1977, l’assemblée du Texas proclame le chili con carne « plat officiel » et la ville de Memphis dans le Tennessee accueille depuis 1978 le Championnat mondial de … barbecue ! Des pays peuvent même se disputer la naissance d’un plat. A qui doit-on la vodka (Russie/Pologne), le couscous (Algérie, Tunisie, Mauritanie, …) ou encore l’houmous (Israël/Liban) ? Cette appropriation a aussi donné naissance à de véritables rites comme boire le thé en Angleterre, le maté en Argentine ou le raki en Turquie.
  • Le développement de l’industrie et l’émergence de nouvelles pratiques commerciales. Les chaînes de production automatisées révolutionnent la production des conserves de sardine à l’huile à La Turballe ou à Bordeaux, du ketchup dans l’usine Heinz de Pittsburgh, du sucre en morceaux dans les usines belges de Théophile Adant, du lait concentré chez Nestlé ou des pâtes dans l’usine de Jean Panzani à Niort. Pierre Singaravélou et Sylvain Venayre n’oublient pas de mentionner la révolution de l’emballage qui entraîne celle de la publicité et du packaging : « dans la mesure où il n’était plus possible de voir le produit – ni de le goûter – avant de l’acheter, les clients n’eurent plus qu’une solution pour se laisser guider dans leur choix : faire confiance à la marque ». Les lieux (stades de football), les personnes (stars hollywoodiennes) ou encore la télévision (spots publicitaires) deviennent les vecteurs de la découverte de nouveaux produits et de la mise en confiance du consommateur. L’industrialisation a aussi été à l’origine d’inquiétudes et de critiques en lien avec des préoccupations en termes de santé ou d’environnement : les charcuteries industrielles avec les sels nitrités, le lait concentré trop sucré, l’huile de palme facteur de déforestation, … Les États ont alors mis progressivement en place une réglementation visant à garantir une production de qualité  et/ou à protéger les mêmes produits (AOC).
  • L’accélération des circulations. Si l’on a tendance à rattacher les aliments et les recettes à un terroir ou une personne (la recette de la grand-mère), il ne faut pas perdre de vue qu’ils n’ont cessé de voyager et continuent de le faire. L’accélération des migrations à partir du XIXe siècle joue un rôle essentiel. Chaque nationalité emmène avec elle ses habitudes et pratiques alimentaires : les Italiens (la pizza), les Japonais (les sushis), les Turcs (le döner kebab), les Indiens (le curry), … Sur place, la recette est bien souvent repensée et modifiée en fonction des goûts locaux. Aussi, les guerres sont à l’origine de nouvelles circulations. Le sucre de betterave remplace le sucre de canne en Europe suite au blocus anglais au moment des guerres napoléoniennes, le thé investit le monde arabo-musulman lorsque les Anglais décident d’écouler leur stock qu’ils ne peuvent plus vendre aux Russes lors de la guerre de Crimée, en pleine Seconde Guerre mondiale les Allemands tentent de remplacer le Coca-Cola par le Fanta (Fantastik). Il ne faut pas oublier aussi que certains produits alimentaires ont aussi connu leur succès le long des routes et des voies ferrées comme les stands de BBQ dans les stations-service américaines, les baraques à frites ou les sandwich dans les buffets de gare.

Cette histoire  de la mondialisation nous fait aussi croiser la route de ceux et celles qui ont marqué de leur empreinte l’histoire des produits alimentaires. C’est John Montagu le quatrième comte de Sandwich, le journaliste Robert Parker à l’origine du célèbre guide, le docteur John Harvey Kellogg ce médecin pionnier de la diététique (et partisan de l’abstinence sexuelle) désireux d’offrir à ses patients « une alimentation saine et fade afin de combiner santé physique et tempérance morale » ou encore le pharmacien Pemberton qui invente une boisson à base de coca, de noix de Kola et de … vin de Bordeaux (qui sera remplacé par de l’eau gazeuse lorsque l’état de Géorgie est touché par la prohibition).

L’ouvrage dirigé par Pierre Singaravélou et Sylvain Venayre est un savoureux livre d’histoire. Il regorge d’anecdotes que le professeur d’histoire pourra utiliser sans modération dans ses cours ! Sa richesse est aussi de relever parfois l’ironie de l’Histoire et les contradictions de cette planète mondialisée : les corn flakes inventés à des fins diététiques accusés aujourd’hui d’être trop sucrés, le Coca-Cola et le Pepsi-Cola inventés par des pharmaciens qui en vantaient les effets sur la santé ou le ketchup confectionné en grande partie à partir de concentré de tomates chinois !

Visio-conférence du 27 septembre 2022 avec Sylvain Venayre 

Pour aller plus loin :

Podcast  RadioFrance, Dans l’épicerie du monde, Dimanche 11 septembre 2022 (28 mn) :

https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/les-bonnes-choses/l-epicerie-monde-8850680

Pour les Clionautes, Armand BRUTHIAUX