Chronique de Fabien Vergez, professeur au collège Desaix à Tarbes.

 

« Dans la mémoire visuelle collective de nos jours, les seules traces demeurant de la Seconde Guerre mondiale, évènement majeur du XXeme siècle, se réduisent à quelques photos fortes prises par de courageux témoins ». Rémy Desquesnes dans l’introduction de son ouvrage sur les photographes de Magnum sur le front de la Seconde, paru très recemment aux éditions Ouest France, prend ainsi position en faveur de la photographie, comme l’un des médias visuels les plus marquants dans la construction d’une mémoire de la guerre.
En effet, pour peu que l’on se concentre sur cet évènement, immédiatement des images fortes assaillent notre esprit comme ce soldat russe hissant son drapeau sur le toit d’un Reichstag dévasté, ainsi que son pendant sur l’île d’Iwo Jima, les soldats américains allongés sur la plage d’Omaha, ou encore le sentiment de mal absolu face aux cadavres photographiés dans les camps de la mort.
Ce très beau livre entend rassembler quelques unes de ces icônes en près de deux cent photographies, propriétés de l’agence Magnum. Il ne constitue cependant pas qu’un livre de photographies de guerre, car Rémy Desquesnes, docteur en histoire et spécialiste du mur de l’Atlantique, qui participe par ses travaux aux actions du Mémorial de Caen, accompagne de nombreuses légendes et de textes d’une page sur chaque année de guerre, chacun des clichés.

Dans sa préface, James A. Fox, ancien rédacteur de Magnum photos, rappelle tout d’abord le rôle fondamental de l’agence. Ce projet naît dans les années 30, lors de la rencontre pendant la guerre d’Espagne de photojournalistes comme Gerda Taro, Endre Ernö Friedmann, « Chim » Seymour et Henri Cartier-Bresson.
Le couple Taro–Friedmann décide de créer le personnage de Robert Capa, photographe américain, ce sera le nouveau nom d’ Endre Ernö Friedmann. Après le décès de Gerda Taro sur le front, à l’ouest de Madrid en 1937, et la rencontre avec George Rodger, photographe de guerre pendant la Seconde Guerre mondiale, Capa, Seymour et Cartier-Bresson fondent officiellement l’agence Magnum Photos en 1947.
Le but de cette agence est d’une part de s’approprier les droits des photos jusqu’alors détenus par les éditeurs, d’éviter la censure et de témoigner sur les conflits.

Des icônes du siècle

En parcourant cet ouvrage on se rend compte du témoignage exceptionnel des photographes de l’agence Magnum dans la vision du second conflit mondial. Témoignage exceptionnel par la durée du conflit, cet ouvrage se découpe en sept chapitres d’une année de 1939 à 1946, mais surtout par l’étendue des lieux couverts. On passe ainsi de l’émouvante photo d’une mère embrassant son fils partant au front, prise dans la steppe russe à un interminable convoi de mules en Birmanie ou d’un cliché du général de Gaulle dans le désert libanais aux violents combats dans Stalingrad.
On évite ainsi une vision trop centrée sur l’Europe et l’on appréhende la multiplicité des terrains d’opération.
Dans cet ouvrage figurent des séries de photos très connues comme celles de Robert Capa sur le débarquement en Normandie, les images de Cartier-Bresson sur la libération de Paris ou les photos du Soviet Group prises par les troupes soviétiques lors de l’assaut de Berlin.
D’autres séries magnifiques sont présentes comme celles de W. Eugene Smith sur la guerre du Pacifique et dont l’un des clichés illustre la couverture de cet ouvrage, ou les images empreintes d’un réel sens artistique de George Rodger dans les déserts de Transjordanie et d’Iran.
L’univers concentrationnaire est peu représenté mais illustré par une image de George Rodger qui suffit à elle seule, comme le souligne l’auteur, à évoquer l’horreur du régime nazi. Le photographe britannique abandonna d’ailleurs la photo de guerre suite à son reportage dans le camp de Bergen-Belsen.

Un livre d’art et un livre d’histoire

Même si Rémy Desquesnes prétend modestement faire « un album de photos légendaires », nous sommes bien en présence d’un livre d’histoire. Dès son introduction l’auteur rappelle la méthodologie de l’historien face à la photographie comme objet historique: décrire dans les moindres détails, puis analyser en datant, en identifiant l’auteur, les conditions de prise de vue… Enfin replacer l’image dans son contexte en croisant les sources.
Cette méthodologie est appliquée aux photos de l’ouvrage, on apprécie ainsi que le texte attire notre œil vers ces objets de la vie quotidienne (jeux de fléchettes, théière…) dans un abri antiaérien anglais. La photo du dernier empereur d’Abyssinie adopte de suite une gravité en regard du contexte évoqué dans le texte, assassinat de sa fille dans une prison italienne, utilisation des gaz contre son peuple…
Enfin l’image est critiquée finement, comme dans ce cliché du photographe soviétique Georgi Zelma d’évacuation d’un blessé dans Stalingrad, où les contrastes sont accentués afin d’accentuer l’aspect dramatique.

Cet ouvrage rentre également dans la catégorie des “beaux livres”. Ainsi les amoureux de “l’objet livre” ne seront pas déçus avec un format à l’italienne qui respecte le format des photos, un papier glacé, d’excellente qualité, des photos de grande taille, bien reproduites dans leur nuances de contrastes. On passe ainsi des photos très contrastées du chinois Wu Yinxian au noir et blanc très lisse de George Rodger, sans oublier le célèbre flou de Capa sur les images du débarquement.

Un ouvrage aux entrées multiples

Concernant une utilisation pédagogique, l’ouvrage de Rémy Desquesnes propose de multiples entrées et lectures transversales comme l’usage de la propagande pendant le second conflit mondial avec la reconstitution d’Yvegeni Khaldei, le “Capa russe”, du soldat plantant le drapeau soviétique sur le Reichstag. La vie des civils peut être montrée à travers les travailleurs chinois, les civils anglais pendant le Blitz ou les photos d’enfants de la guerre à la fin de l’ouvrage. La mise en scène de personnalités comme de Gaulle, présent sur de très nombreux clichés peut être évoquée, depuis l’image du général seul face à une douzaine de soldats dans le désert soudanais au discours de Chartres face à la foule le 23 août 1944.

Le rôle du photojournaliste peut également être enseigné, les clichés de Capa du débarquement ou de Dimitri Baltermants saisissant l’assaut de soldats russes depuis une tranchée, témoignant de l’engagement du reporter (Capa meurt d’ailleurs en 1954 en sautant sur une mine).

On retrouve en annexes de cet ouvrage une bibliographie assez complète, des biographies des principaux photographes, une table des matières par lieu. Une carte générale permet de situer les principaux lieux de prise des photos, même si quelques uns ont été oubliés,en Asie notamment.

Au final un très beau livre qui mérite de figurer dans nombre de CDI, les élèves étant de grands consommateurs d’images, mais la description, la contextualisation et la critique permettant de ne pas les laisser démunis face aux images. Enfin en cette fin d’année, un excellent choix de cadeau à un prix très raisonnable au regard de la qualité de l’ouvrage, pour tous les collègues qui nous ont rendu service un jour ou l’autre.

Fabien Vergez