Un livre sur le tourisme, un livre de plus? Les auteurs, Philippe Duhamel et Philippe Violier, mais d’autres aussi, ont tellement écrit sur le sujet (« Les Mondes urbains », pour le premier, http://www.clionautes.org/?p=1792; « Tourisme 1. Lieux communs », « Tourisme 2. Moments de lieux ») à tel point que l’on pourrait croire le thème épuisé; un livre en plus?Par ses apports sur la forme et sur le fond. Bien sûr, il faut opter pour la 2ème hypothèse car comment épuiser un tel thème. Nous n’avons pas affaire à une somme, le nombre de pages le confirme,ni à un ouvrage réellement théorique mais plutôt un manuel clair et bien fait: chaque chapitre est bâti autour de quelques idées faisant l’objet de dossiers documentaires voire d’études de cas et s’achève par une courte synthèse.

Le littoral constitue la première destination touristique alors que:

*L’absence de statistiques à l’échelle mondiale rend délicate son évaluation; ici les auteurs partent des catalogues de grands Tours-Opérateurs pour appréhender la place du tourisme littoral dans l’activité touristique.

*Les jeux n’étaient pas faits puisque le littoral n’a pas toujours attiré puis sa mise en tourisme fut longue à se dessiner, le grand tournant, « la grande révolution touristique » daterait de l’émergence dans la première moitié du 20ème siècle et de la diffusion des 3S (Sea, Sun and Sand).

*Les littoraux touristiques ne représentent que peu de choses sur l’ensemble du linéaire côtier mondial, et ce pour des raisons climatiques, économiques, politiques… D’ailleurs Philippe Violier et Philippe Duhamel remarquent que des côtes touristifiées en continues sont l’exception plutôt que la règle.

*La concurrence des autres activités dans cet espace convoité n’est pas à négliger, les paysages d’Alméria ou de Mohammedia rappellent que l’enchevêtrement des activités peut rendre complexe la mise en tourisme.

Celle-ci tient avant tout au changement du regard des occidentaux aux 18ème et 19ème siècles. D’abord marge repoussante, le littoral attire bientôt pour ses valeurs thérapeutiques, c’est aussi l’heure des premières stations, décrites comme le lieu emblématique de la phase industrielle du tourisme. Puis vient l’ère du balnéaire à l’origine d’un autre type de lieu touristique, le comptoir, symbole du tourisme de masse, et dont l’archétype restera le Club Med.

Au coeur de ces différents développements, les touristes en premier lieu, mais aussi les populations locales, les entreprises, les gouvernements qui forment la sphère touristique. Les touristes ont érigé des littoraux en zones dignes d’intérêt pour leurs paysages puis le bain et la recherche du repos ont pris en partie le relais, enfin pour y pratiquer des activités ludiques à l’origine pour certaines, telle la plongée, d’une différenciation des littoraux.
Le littoral est le terrain d’élection de grandes entreprises, internationales ou locales, mettant en place une offre correspondant aux standards internationaux, donc occidentaux mais les PME n’ont pas été totalement évincées, en association avec les premières citées et/ou en tant que prestataires de services. L’état a, lui, selon les territoires, pu être opposé au tourisme pour des raisons politiques (Cuba) ou morales (le tourisme comme perversion des moeurs) mais il s’est plutôt fait le promoteur de l’activité (cas du Cap-Vert, du Maroc, de la Turquie) en partenariat avec le secteur privé; il se fait de plus en plus protecteur en écho aux préoccupations environnementales des touristes occidentaux même si le cas du parc national Tortuguero au Costa-Rica illustre le possible mariage de la protection et de l’économie.

Le dernier chapitre, « l’espace de tous les enjeux », sort du tableau classique dépeint jusqu’alors pour poser deux ou trois idées phares. Pour les auteurs, un lieu touristique ne décline jamais longtemps et ils mettent en question les modèles de Plog et de Cohen découpant l’évolution des lieux touristiques en phases aboutissant inévitablement à un seuil de saturation, point d’orgue de la fréquentation et signal du début du déclin. Le « Trop de tourisme tue le tourisme » (http://www.clionautes.org/?p=1792) ne leur convient donc pas. Ils y opposent les idées de « diversification« , de « bifurcation » et « d’itinéraires des lieux touristiques« , soit une adaptation et une modification de la nature touristique du lieu démontrées à l’aide des exemples de Brighton, de Deauville et d’Atlantic City, une pérennité démontrée aussi au travers de l’exemple de Saint-Tropez.
Ils décrivent aussi une urbanisation toujours plus forte des zones touristiques littorales à l’intérieur d’une dynamique plus générale d’occupation croissante des littoraux partout dans le monde. Selon eux, à terme, la plupart des lieux touristiques deviennent des espaces urbains, quartiers urbains (Manly) ou villes (Hammam Sousse), même si, rejetant au passage tout déterminisme, tous n’accèdent pas forcément à ces statuts.
Ces dynamiques sont observables dans les pays du Nord mais aussi dans les pays émergents où, du Maroc au Brésil, du Moyen-Orient à la Chine, le tourisme poursuit sa conquête des littoraux, occupation croissante à l’oeuvre aussi dans des villes portuaires autrefois réfractaires (Gênes).

Tout comme « Les cocotiers de la France » (http://www.clio-cr.clionautes.org/spip.php?article2680), et peut-être plus encore, « Tourisme et littoral » vaut en grande partie pour son apport documentaire avec près de 150 textes (« Produire du littoral: les îles artificielles de Dubaï », « Cancun, une méga-station touristique créée ex-nihilo », « la mise en tourisme du Cap-Vert »), cartes (« Les destinations touristiques du monde dans les catalogues des principaux tours-opérateurs du monde », « le tourisme littoral dans le monde »), tableaux (« Les industriels aux commandes du développement touristique littoral: Henry Flager et la Floride », « Les artisans de l’hébergement ») photos (Benidorm, Copacabana) et graphiques (« Répartition des croisières dans le monde ») qui permettra aux enseignants de trouver du grain à moudre pour leurs séances.