Journaliste et éditrice, Véronique Duval s’intéresse au monde paysan sur lequel elle a déjà publié un ouvrage : Rencontre avec des paysans remarquables (2017) centré sur des fermes biologiques. Son dernier livre porte essentiellement sur la question du renouvellement des générations dans le monde agricole et celle, liée, de l’accès à la terre. Elle étudie ainsi longuement le travail fait par l’association Terre de liens pour aider des jeunes et des moins jeunes à s’installer. Pour ce faire elle rend compte d’expériences menées dans plusieurs régions du pays et a rencontré ceux qui les portent.

 

D’où venons-nous ?

Tel est le titre de la première partie de cet ouvrage. Le lecteur y retrouvera des données relativement connues sur l’histoire des campagnes françaises : l’affirmation du droit de propriété en 1789 puis la formation d’une « société de propriétaires » au 19ème siècle puis la modernisation de l’agriculture à partir de 1945 avec le rôle d’Edgard Pisani, ministre de l’Agriculture entre 1961 et 1966, cité à plusieurs reprises, dans les débuts de la Vème République. C’est à partir de cet « héritage » qu’il faudrait, selon l’auteure, « atterrir ». En effet, la terre, « bien limité et convoité » est devenue très chère et certaines fermes deviennent intransmissibles. S’appuyant sur les travaux de Bertrand Hervieu et de François Purseigle elle souligne la montée des firmes dans l’agriculture. Puis le chapitre se clôt avec le récit des difficultés rencontrées par deux jeunes qui voulaient s’installer en Charente-Maritime, long parcours du combattant que certaines institutions agricoles ou para-agricoles imposent à ceux qui ne sont pas « dans les clous » et dont le projet ne rentre pas dans le modèle dominant de la région.

 

Accéder à la terre 

Pour l’auteure, pour accéder à la terre, il faut « jouer collectif », c’est pourquoi elle pose la question des communs et développe l’expérience de Terre de liens dans ce chapitre. Tout d’abord, elle présente ce qu’elle appelle des « pionniers » qui ont tenté de dissocier propriété de la terre et travail de celle-ci. En effet, l’idée que la terre était d’abord et surtout un « outil de travail » a été diffusée par le CNJA des années 1960 et la nouvelle gauche paysanne issue de la JAC (Jeunesse agricole catholique). Pour ce, V. Duval a rencontré ceux qui animaient des expériences allant dans ce sens dans la Marne, sur le Larzac, en Alsace et au Pays basque. Le passage sur cette région se révèle particulièrement intéressant et nous permet de percevoir l’action militante de nombreuses associations dont celle de la Chambre d’agriculture alternative créée avec d’autres par la Confédération paysanne locale (le syndicat ELB). Toutefois, l’essentiel de cette partie (près de 100 pages) porte sur l’expérience de Terre de liens. Cette structure, créée en 2003, repose sur trois piliers, une fédération d’associations, une société foncière et une fondation. Elle a pour objectif d’acquérir des terres afin de les louer à des porteurs de projets qui entendent développer une agriculture vertueuse sur le plan environnemental (agroécologie). À ce jour, elle a permis de donner naissance à 300 fermes travaillées par 502 actifs agricoles. Résultat des plus intéressants car cela montre qu’il est possible de produire autrement et d’en vivre. Mais se demande l’auteure : « Ces initiatives nombreuses, foisonnantes sont-elles condamnées à rester minoritaires ? » (p.229). Pour elle, la réponse n’est pas technique mais politique.

Quelle agriculture pour demain ?

La dernière partie présente deux scénarios pour les années à venir. En s’appuyant sur ses impressions lors d’une visite au salon de l’agriculture ainsi que sur les déclarations et les projets de nombreux acteurs du monde agricole (FNSEA…) ou du Président de la République et des ministres de l’Agriculture, elle présente ce que certains appellent la 3ème révolution agricole reposant sur le développement de nouvelles technologies et sur le numérique.  Ce n’est pas le chemin qu’elle préconise. Pour elle, il est nécessaire de « bifurquer » en s’appuyant sur les penseurs qui ont réfléchi à la question des communs. Mais aussi sur « les archipels d’initiatives » qui montrent « des chemins possibles ». D’où l’importance de Terre de liens, de plus en plus soutenue note-t-elle par des collectivités territoriales, et d’autres expériences, comme celle de l’Atelier paysan. Mais il faut aussi infléchir les politiques publiques et agir sur le plan international. L’auteure présente ici le travail de La Via campesina mouvement international de paysans auquel est lié la Confédération paysanne.

En conclusion Véronique Duval considère qu’il faut faire de la terre un commun.

 

Un ouvrage intéressant par les rencontres relatées et par les expériences présentées.