Les Editions Premier Parallèle ont publié en octobre dernier un ouvrage au titre pour le moins original, « Sauver la nuit ». Son auteur, Samuel Challéat, est géographe, chercheur au sein du laboratoire Géode (Géographie de l’environnement, CNRS-Toulouse 2), coordinateur du collectif Renoir (Ressources environnementales nocturnes et territoires), mais également astronome amateur. Le sujet de l’ouvrage porte sur la nuit, et plus particulièrement sur la dégradation de la visibilité du ciel étoilé, d’où le sous-titre « Comment l’obscurité disparaît, ce que sa disparition fait au vivant, et comment la reconquérir ». Il est le fruit de la thèse de l’auteur « Sauver la nuit : empreinte lumineuse, urbanisme et gouvernance des territoires ».

Pour aborder la question de la pollution lumineuse et répondre aux objectifs proposés, l’ouvrage est divisé en trois grandes parties (« Observer », « S’organiser », « Atterrir »). L’introduction et la première partie permettent de poser les enjeux de la disparition du ciel étoilé : tous les soirs, ce sont 11 millions de lampadaires qui sont allumés en France. Cette action, devenue anodine pour la majorité des pays de la planète, conduit à des chiffres inquiétants : aujourd’hui, plus de 60% des Européens et 80% des Américains du Nord ne peuvent plus voir la Voie Lactée. Pourtant, ce sont 28% des vertébrés et 64% des invertébrés qui appartiennent aux espèces nocturnes et la multiplication des écrans divers (téléphone, ordinateur, télévision…) bouleverse les rythmes biologiques des êtres humains. Ces lumières ont donc des conséquences bien au-delà de la seule visibilité des étoiles chères aux astronomes.

Afin de « s’organiser », Samuel Challéat dresse l’évolution de cette « mise en lumière » de notre territoire, résultat de la politique de la ville-automobile de l’après-guerre ainsi que d’un besoin de sécurité, de surveillance, mais aussi de distinction esthétique (urbanisme-lumière des années 1980-1990). C’est pourtant dès 1958 que nait le « Mouvement pour un ciel sombre » (Dark-Sky Movement) en Arizona, face à la multiplication, et à la restriction qui fait suite à un arrêté municipal, des lumières de la ville de Flagstaff, gênant l’observatoire Lowell qui y est implanté. Dès lors, les astronomes et certains scientifiques de renom vont se mobiliser, à la façon de lanceurs d’alerte, en Amérique du Nord comme en Europe, pour restreindre la source des halos lumineux. Néanmoins, il faudra attendre en France les décennies 2000 pour que le sujet soit plus particulièrement envisagé sur le plan politique, avec différents décrets et arrêtés allant en ce sens, malgré un manque évident de contrôles.

Enfin, Samuel Challéat propose les différentes solutions pour réduire son impact lumineux, que ce soit pour les particuliers ou les communes (réduction, réorientation et limitation de la durée de l’éclairage, interdiction des lumières au-dessus du plan horizontal, modification des intensités émises et de la composition spectrale de certaines lumières). Il constate la bonne volonté de certaines villes pour la réduction de leurs éclairages (Rennes, métropole lilloise), répondant au projet de « Trame noire », mais encore l’échec de l’inscription des observatoires au sein du Patrimoine Mondial de l’UNESCO en 1992. La création des RICE (Réserves Internationales de Ciel Etoilé) en 2007 à l’échelle mondiale permet au Pic du Midi en 2013 puis au Parc Naturel des Cévennes en 2018 de s’inscrire dans un réseau de protection dont ils peuvent tirer bénéfice, que ce soit en qualité de vie, mais aussi à des fins touristiques.

« Sauver la nuit » est un ouvrage dense (notes très détaillées) et à la lecture parfois fastidieuse (un jeu plus prononcé sur les polices et tailles de caractères pour se repérer aurait été judicieux, de la part de l’éditeur). Néanmoins, les propos sont intéressants car bien expliqués ; ils permettent de mieux cerner les enjeux d’un sujet peu évoqué dans le débat public, mais qui s’avère pourtant crucial dans cette période de préoccupation environnementale majeure. Les titres choisis ont également des accents poétiques (« Succomber à la fuite ») : Samuel Challéat, dans son entreprise de vulgarisation, se révèle un véritable conteur (activité vespérale et donc nocturne par excellence !). Ainsi, « Sauver la nuit » est un plaidoyer original pour l’obscurité et ses bienfaits : on referme cet ouvrage la tête dans les étoiles et en tentant, vainement, de distinguer la Voie Lactée.