Le sujet peut sembler peu attractif au départ et il est pourtant un point clé pour demain. Jérémie Cavé, Alizée de Pin et Yann Philippe Tastevin s’en emparent pour proposer un livre à la fois informé et servi par une mise en images à la fois agréable et convaincante. Il est organisé en deux parties : une première qui est globale puis une approche autour de produits qui forment comme autant d’études de cas.

Les auteurs

Jérémie Cavé est chercheur en écologie territoriale à l’Institut de Recherche pour le Développement. Alizée De Pin est diplômée d’un master en arts visuels et d’un master en design graphique. Yann Philippe Tastevin est anthropologue au CNRS. Il a été commissaire de l’exposition «  Vies d’ordures. De l’économie des déchets et du recyclage en Méditerranée ».

Pour commencer …

La plastique à lui tout seul pèse plus lourd que l’ensemble des animaux marins et terrestres présents sur Terre. 70 tonnes d’ordures ménagères sont produites chaque seconde. On ne peut qu’être frappé par le décalage entre la vitesse de péremption des objets et leur persistance dans l’environnement. Sur tous ces sujets, un terme s’impose : la rudologie, soit l’étude de nos décombres, de nos restes. Le but de ce livre est d’ouvrir le couvercle du bac à ordures. Les déchets constituent un flux à suivre pour réfléchir à l’économie politique mondiale.

En finir avec les idées reçues

Les déchets sont une sorte de négatif de la photographie habituelle du monde social. Ils révèlent nos contradictions et nos excès. La prise en charge des déchets repose systématiquement sur leur invisibilisation. Le livre passe en revue plusieurs idées reçues en une quinzaine de lignes à chaque fois. Il faut bien mesurer qu’aujourd’hui les pays riches représentent 16 % de la population mondiale mais 35 % des déchets. Le recyclage à l’infini ou la neutralité carbone n’existent pas. On peut retenir un concept, celui d’  « empreinte des matières » qui montre que chaque kilo de déchet ménager en a créé vingt avant.

Une planète saturée

A l’échelle mondiale, la majorité des déchets sont enfouis ou finissent en décharge à ciel ouvert. L’océan est la première décharge du monde. Une bouteille plastique peut se décomposer en 10 000 morceaux qui peuvent être un million de fois plus toxiques que l’eau qui les entoure. En France, un tiers des déchets municipaux sont brûlés dans les 126 incinérateurs en activité. Il faut aussi se rendre compte qu’il existe un cimetière en basse orbite avec tous les objets qui ont déjà été envoyés dans l’espace.

La rudologie, science de la poubelle

Les déchets ont été mis hors champ par le droit et l’économie, les deux disciplines qui déterminent principalement l’organisation de notre société. On pourrait aussi dire : dis-moi ce que tu jettes, je te dirai qui tu es. La rudologie s’intéresse au tabou, à l’impureté, au stigmate. Parfois cela peut aller jusqu’à la syllogomanie ou accumulation compulsive.

Comment en est-on arrivés là ?

Tantôt ordure, tantôt ressource, la valeur du déchet est contingente. Il faut attendre la sédentarisation pour constituer le début d’une accumulation massive de déchets. Très tôt les matériaux usagés sont récupérés pour être réutilisés. A l’ère pré-industrielle, tout déchet est une ressource. A ce titre, on peut évoquer la figure du chiffonnier. A la fin du XIX ème siècle on passe «  à l’invention des ordures ». De 1920 à 1970, c’est le triomphe du tout jetable puis ensuite nos poubelles commencent à poser problème. La convention de Bâle entrée en vigueur en 1992 interdit l’exportation de déchets dangereux. Le déchet devient malgré tout un business. De 2010 à 2018, on peut parler de ruée vers l’ordure avant que le marché ne se retourne avec la décision de la Chine d’arrêter d’accueillir les déchets. Le livre propose le portrait de plusieurs valoristes à travers le monde , c’est-à-dire ces personnes qui arrivent à valoriser les déchets.

Une mondialisation à l’envers

Dans cette deuxième partie, les auteurs choisissent de partir de six produits de la vie courante. Une fois jetés à la poubelle, ils les prennent donc en filature et suivent les routes de leur valorisation. Ils vont même plus loin en remontant à la production, à l’extraction. La présentation de chaque produit est accompagnée de visuels et d’une photographie finale.

Une tomate en hiver

Correctement gérées, les tomates pourries, comme tous les autres produits biodégradables, se transforment facilement en compost. Il faut 2000 ans pour reconstituer 10 centimètres de sol fertile. En Andalousie, on observe une véritable « mer de plastique ». Dans cette région très aride, 40 litres d’eau sont puisés dans la nappe phréatique pour chaque kilo de tomates. Une page illustrée raconte comment se déroule la culture des tomates à Alméria en Espagne.

Le tee-shirt

A l’ère de la fast fashion, examiner le cycle de vie d’un tee-shirt est très significatif. La production de vêtements a doublé entre 2000 et 2014. Nous en achetons deux fois plus qu’il y a quinze ans mais nous les conservons moins longtemps. Une des caractéristiques de l’économie des déchets c’est l’imbrication du formel et de l’informel. La fripe représente un business important. En Tunisie par exemple, 80 % de la population s’approvisionne sur le marché de la fripe. L’empreinte matière du tee- shirt ne repose pas tant sur les matériaux requis pour sa conception que sur l’énergie nécessaire au processus. Or, la production textile est située essentiellement en Asie, un continent où la ressource massivement utilisée est le charbon.

La canette

300 milliards de canettes sont vidées à travers le monde chaque année. Les Etats-Unis sont le premier marché mondial avec 95 milliards d’unités consommées. A partir des années 70, les canettes envahissent le globe. Le reportage emmène le lecteur au Caire où plus de 90 % des canettes vidées sont soigneusement collectées par les zabbalin, une communauté de valoristes chrétiens coptes, sur le pas de porte des ménages.

L’illusoire recyclage de la bouteille en plastique

Les bouteilles PET sont la forme de plastique la plus convoitée car la plus lucrative en terme de recyclage. 583 milliards de bouteilles en PET ont été produites en 2021. Les Français consomment en moyenne 96 bouteilles plastiques par an.  Cette fois, le reportage conduit le lecteur au Vietnam. Il faut avoir en tête les limites techniques du recyclage. La majorité des polymères artificiels continuent d’être produits à partir de produits pétroliers.

La voiture

La voiture est un réservoir de matières secondaires. Chaque seconde dans le monde, il se vend trois voitures dans le monde. 95 % du temps, la voiture reste inutilisée. L’Afrique accueille 4 millions de voitures d’occasion en provenance de l’Europe par an. La plupart ont entre seize et vingt ans. Le recyclage du plomb des batteries automobiles est considéré comme l’activité industrielle la plus polluante au monde.

Le smartphone

C’est un objet minuscule avec une empreinte massive. Le texte rappelle que c’est en 1983 que le premier téléphone mobile est fabriqué en série et coute 4000 dollars. En 2013, on compte 93 abonnements pour 100 habitants. Dans un smartphone, on trouve quantité de métaux comme du nickel, de l’étain entre autres. Sur les 70 matériaux présents, seule une vingtaine sont aujourd’hui recyclables dans les usines les plus sophistiquées. Le smartphone de 200 grammes nécessite l’extraction de 200 kilos de matières. 

Epilogue

Les auteurs récapitulent leur approche de six objets. L’incinération ne peut pas faire disparaitre les déchets, elle les réduit en volume, les intensifie en toxicité. Le recyclage à l’infini est une illusion. Il faut améliorer la gestion de nos déchets ménagers en aval mais il faut aussi réduire notre consommation industrielle de ressources en amont. L’empreinte cachée d’un ménage français est dix-huit fois plus importante que sa consommation visible. Vivre à l’ère de l’anthropocène implique de se réapproprier nos milieux, ces « diversités contaminées ».