Par Cyril Froidure,

Partant du constat de la croissance de l’activité touristique depuis la fin du second conflit mondial, les auteurs prennent acte de l’irruption dans ce secteur économique d’un paramètre nouveau depuis 2001 : le terrorisme. Non pas que celui-ci ait épargné le tourisme avant cette date mais les attentats de New-york et Washington marquent un tournant : même si ceux-ci ne visaient pas spécifiquement des cibles touristiques, l’utilisation d’avions de lignes régulières comme armes contre New-York, ville émettrice et réceptrice de touristes, a plongé le monde des voyages dans la crise. Depuis, le tourisme est devenu une cible privilégiée des terrorismes, notamment du terrorisme sunnite radical. E.Denécé, directeur du Centre Français de recherche sur le Renseignement et intervenant auprès des acteurs du tourisme et Sabine Meyer, professionnel du tourisme et actuellement directrice du bureau d’une société de conseils britannique à Doha, sont des observateurs privilégiés des relations tourisme/terrorisme.

Dans un livre de lecture simple, qui s’adresse aux professionnels comme aux futurs voyageurs, ils dressent la liste des menaces que fait peser le terrorisme sur le tourisme pour ensuite faire le bilan des mesures prises afin de prévenir d’éventuels attentats.

Dans une première partie consacrée aux pressions exercées par le terrorisme sur le tourisme, les auteurs font le tour des différentes menaces existantes. D’abord celles qui visent des personnes sans nécessairement le désir de les tuer : l’enlèvement, la prise d’otages. Ces deux phénomènes, actuellement en augmentation, si l’on en croît la Lloyds, représenteraient 20-30000 évènements par an mais seul un tiers d’entre eux est connu. Cette croissance s’expliquerait par le caractère lucratif de l’opération mais aussi par la vulnérabilité des cibles, les touristes. Présents dans le monde entier, ces deux types d’opérations sont toutefois plus nombreux en Amérique latine et plus précisément en Colombie.

Un chapitre est consacré au terrorisme djihadiste et à Al Qaeda. Celui-ci prend appui sur le mal être des populations musulmanes ainsi que sur les problèmes économiques, politiques et la croissance démographique auxquelles les sociétés arabes sont confrontées. Al Qaeda, groupe le plus connu, s’assimile plus à un holding du terrorisme, une centrale d’assistance qu’à un véritable réseau hiérarchisé. Son « succès » est tel que toute catastrophe suspectée d’être un acte terroriste lui est attribuée.

Cette « confédération » terroriste a pour objectif de couper les liens entre le monde occidental et le monde musulman en même temps que de rétablir la pureté de l’Islam. Pour cela, une stratégie : pouvoir frapper n’importe où, n’importe quand et n’importe qui et, ce, en rafale, comme l’illustrent les attentats de Madrid, afin que la menace soit constante. Dans ce cadre, le tourisme est devenu une priorité tant sur le plan politique, en visant des occidentaux, que sur les plans opérationnel et économique : vulnérabilité des cibles, faible coût des opérations.

De nombreux modes opératoires ont déjà été utilisés : attaques urbaines de Londres, Madrid, voitures piégées, terrorisme aérien (11/9 ), maritime. La multiplication des attaques contre des cibles touristiques est un fait avéré de même que la disparition des derniers sanctuaires comme pouvait l’être à une époque l’Asie du sud-est.

Parmi les cibles favorites du terrorisme djihadiste, l’Egypte. Fief d’un des plus importants mouvements de l’islam radical sunnite, les Frères musulmans, ce pays est vu par nombre de musulmans comme étant le pire des régimes du monde musulman. Il a vu se développer d’autres groupes tels que le Djihad islamique, Gama’a al-islamyia qui ont pignon sur rue mais aussi des groupuscules plus difficilement contrôlables. Il est naturellement devenu l’une des cibles des mouvements radicaux qui s’attaquent au secteur touristique, première source de devises du pays mais aussi l’un des principaux employeurs. Toutefois, malgré les nombreux attentats comme celui de Charm el Cheikh en 2005, les touristes continuent de venir en Egypte et semblent devenus plus résistants à la peur d’une attaque.

A la fin de la première partie, un premier bilan est fait, celui de l’impact économique. Prenant le cas du 11/9, le coût direct des attaques est évalué à 40 milliards de $, le coût indirect à 140 milliards pour les seuls Etats-Unis. Il a fallu que la FED et le gouvernement fédéral interviennent afin de tenir à flots les compagnies aériennes mais aussi pour servir de garantie face à l’explosion du coût des assurances. Plus largement les actes terroristes ont des répercussions en termes d’emplois, de fréquentation touristique, de réservations d’hébergement, de cessation d’activités.

La deuxième partie est consacrée à la gestion des risques terroristes. Les auteurs précisent d’entrée que la sécurité à 100% est impossible mais que prévoir un attentat reste de la responsabilité des états. Dans cette optique, l’information est primordiale mais il reste très délicat d’infiltrer les groupes djihadistes ce qui explique que l’essentiel des renseignements provient de sources extérieures.

L’information est indispensable en amont mais en aval le renforcement des systèmes de sécurité l’est aussi. Toute une gamme de contrôles est énumérée : contrôle aux frontières avec demande de visa, catégorisation des passages en fonction de leur dangerosité potentielle (aux USA), contrôle dans les aéroports des bagages ; ici le modèle israélien pouvait servir : au départ de l’aéroport de Tel-Aviv, chaque passager est soumis à un questionnaire serré et pour certains passagers à profil celui-ci( personne seule jeune) est très long et très précis. La sécurité dans les avions a fait aussi l’objet d’un renforcement. C’est ainsi que de nombreuses compagnies se sont inspirées de la compagnie israélienne El al en plaçant sur certains vols des hommes en armes, en protégeant mieux le poste de pilotage.
Aux Etats-Unis, a été créée la Transport Agency Security composée de 45 000 personnes chargées de contrôler personnes et bagages.

A ces contraintes sécuritaires s’en ajoutent d’autres pour le monde du tourisme. Avec la multiplication des attentats visant des cibles touristiques, les voyagistes ont dû développer une connaissance plus fine des destinations qu’ils proposent. Pour cela, en France, ils peuvent s’appuyer sur le Ministère des Affaires Etrangères qui, par l’intermédiaire de son site, fait une liste des pays à éviter. L’un des problèmes de cette source d’informations, c’est qu’elle traite d’un pays dans son ensemble alors que les tours-opérateurs veulent connaître les situations dans chaque région ou ville : ils ont donc, pour certains (Atalante, Voyageurs du monde), créé un outil répondant à leurs besoins. Ce besoin d’information s’explique non seulement pour des raisons économiques (pouvoir proposer des destinations) mais aussi pour des raisons juridiques (la crainte de voir des clients porter plainte en cas de problème).

La vague sécuritaire touche donc le monde du transport, les voyagistes ; elle a atteint aussi les lieux d’hébergement et notamment les grands hôtels, vecteur de luxe et d’occidentalisation et donc cibles privilégiées du terrorisme musulman radical. Les mesures de sécurité ont été multipliées pour protéger les accès (surveiller les entrées et sorties des clients ou du personnel) soit en faisant en externalisant la mission, soit en créant son propre département de la sécurité tout en tenant compte d’une clientèle qui parfois souhaite voir les mesures de sécurité ou au contraire qu’elles restent discrètes.

Au final, les auteurs insistent sur le fait que le terrorisme ne va pas s’arrêter mais qu’il devient une des forces de mutations du secteur touristique. Ils concluent sur le fatalisme de la clientèle qui continue à voyager, sur son refus d’être obligée de rester chez elle et, sous la forme d’une question, sur l’échec d’un terrorisme intégré par les clients d’un secteur dont la croissance persiste.

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