Sous l’influence du réchauffement climatique et de la fin de la guerre froide, les espaces arctiques ont connu de grands bouleversements à l’origine d’un certain nombre de fantasmes. Pour faire le point et démêler le vrai du faux, Camille Escudé, docteure en relations internationales et agrégée de géographie, propose cet ouvrage après avoir précédemment écrit «  Géopolitique des pôles » en 2021 en collaboration avec Anne Choquet et Frédéric Lasserre. L’ouvrage est organisé en deux grandes parties : « Périphéries et interactions », puis « Un nouveau niveau de gouvernance et une région autoproclamée et contestée ». Chacune est subdivisée en plusieurs chapitres.

Arctique, c’est-à-dire ?

Il faut évidemment définir avant tout de quoi on parle et on remarque bien vite qu’il existe plusieurs définitions de la zone arctique. Néanmoins, trois approches principales existent dont celle de cet ouvrage à savoir « analyser les diffusions idéelles notamment hors des limites étatiques ». Le territoire est en effet le produit des représentations humaines qui varient dans le temps et dans l’espace. L’Arctique est une construction géopolitique faite de discours performatifs et d’initiatives humaines. Cet ouvrage se veut à rebours des lieux communs présentant l’Arctique en proie à des enjeux géopolitiques inextricables depuis la guerre froide.

L’Arctique : d’une périphérie à un centre des nations

Trois pôles sont souvent évoqués : la Russie, les Etats-Unis et le Canada, et l’Arctique européen. Camille Escudé les présente successivement. Au fur et à mesure que la Russie se relève de la crise post-transition, sa politique arctique se fait plus ambitieuse. Pour le Canada, les territoires arctiques sont immenses : 40 % du territoire se trouve en Arctique, de même que 30 % de l’Arctique est canadien. Ce territoire est cependant sous-développé et sous-peuplé. Alors que les régions arctiques de tous les autres pays ont été utilisées pour construire l’identité nationale, cela n’a pas été le cas aux Etats-Unis. Pour la Norvège, l’Arctique est perçu comme une mer locale et « une priorité absolue ». L’autrice évoque également la vision du Danemark ou encore de la Finlande.

Les populations autochtones, anciennes et nouvelles actrices de la géopolitique en Arctique

Chaque Etat possède sa définition de ce qu’est une population autochtone, les méthodes de classement ayant une forte portée politique. Il existe un rapport de force entre populations autochtones et Etats en fonction du contexte international, dans un rapport paradoxal d’instrumentalisation mutuelle. On peut parler de tournant géopolitique dans les années 1990. Les développements industriels, les conditions de vie très difficiles et la menace d’une assimilation socioculturelle sont les catalyseurs de mobilisation des populations autochtones pour réclamer davantage de pouvoir.

L’implication croissante des acteurs nationaux

L’Ecosse et le Québec, territoires infra-étatiques, se revendiquent plus proches des territoires arctiques que de leurs capitales nationales. Dans les deux cas, c’est donc un outil pour peser au niveau national.

La fabrique de l’intégration régionale arctique : de la contigüité à la continuité

A partir de la fin des années 1980, de multiples initiatives de coopération, des organisations ou des forums sont créés en Arctique. Le plus abouti c’est le Conseil de l’Arctique. Les décisions y sont prises par consensus et ne sont pas contraignantes. Il demeure néanmoins le pivot et le centre de l’intégration institutionnelle de la région.

L’autonomie d’un système régional remise en question par le système international

Plusieurs pays non présents au nord du cercle polaire cherchent à s’impliquer en obtenant un statut d’observateur au sein de ce Conseil. Leur nombre augmente ces dernières années. Depuis 2013, on compte par exemple la Corée du Sud, l’Inde et aussi des ONG comme Greenpeace. Les représentations sur l’Arctique en tant que « bien commun » servent des fins politiques pour ceux qui estiment que les Etats riverains ne doivent pas être les seuls à avoir voix au chapitre.

Une construction politique excluante

En réponse à l’intérêt croissant, le statut d’observateur est octroyé de moins en moins facilement. De plus, il faut savoir que la contribution financière totale de tous les observateurs à un projet de recherche ne peut pas dépasser celle des Etats arctiques. Les populations locales sont utilisées comme un prétexte pour défendre la souveraineté nationale face à des acteurs externes à la région. Même dans un contexte géopolitique apaisé, la politique est toujours restée présente en Arctique. Il se pose en filigrane la question de savoir au sein de quelle instance se résolvent les questions non consensuelles exclues du Conseil de l’Arctique.

La désintégration (géo)politique de la région

La question se pose de la continuité de la coopération avec la guerre en Ukraine. La Russie semble dans la zone être seule contre les sept autres pays de la région. L’Arctique pourrait devenir un espace de lutte politique des grandes puissances dans lequel la Russie fera tout pour s’imposer, ses ressources de l’Arctique étant une source de revenus considérables pour les décennies à venir.

En conclusion, Camille Escudé souligne le maintien par les acteurs traditionnels des structures de coopération et de dialogues existantes alors que celles-ci se trouvent à l’arrêt. Elle note aussi le rôle d’acteurs de la société civile, de la communauté scientifique ou du secteur privé. L’Arctique n’est pas un objet fini mais bien un sujet de débats politiques. Région floue, à moitié terrestre et à moitié maritime, l’Arctique est une région qui est faite par un assemblage de discours, de représentations et d’acteurs politiques et sociaux divers.