Claude Postel est un spécialiste de la Renaissance. Ses travaux ont notamment porté sur les écrits de Guillaume Postel (1510-1581), un des personnages les plus étonnants et les plus extravagants du XVIe siècle (Les Écrits de Guillaume Postel publiés en France et leurs éditeurs. 1538-1579, Genève, Droz, 1992) ou du pasteur Pierre Viret (1511-1571) (« Autour de L’Intérim fait par dialogues de Pierre Viret », Bulletin de la Société de l’Histoire du Protestantisme Français, 1998, 4, pp. 863-880).
L’intention première de ce livre est de faire l’analyse de la « parole de la polémique religieuse en France au XVIe siècle » (p. 11). Si l’auteur distingue nettement dès l’introduction la parole du combat et celle de la pure controverse, il ne définit pas précisément le corpus de « textes qui forment la matière première de ce livre » (p. 14). L’auteur a examiné « plus de 300 titres s’étendant sur la période 1508-1584 » (p. 405). Le corpus étudié englobe aussi bien des ouvrages strictement théologiques que des livres à contenu plus politique. Tous ne peuvent être considérés comme des pamphlets. L’auteur ne s’attarde pas sur les rapports entre la parole polémique telle qu’il l’envisage dans la production écrite et la place de l’oral dans la société française du XVIe siècle.
Le livre est organisé en deux parties. La première est un exposé chronologique des événements politiques et religieux de la période 1510-1584. L’auteur replace les textes étudiés tout au long du parcours. La seconde est une analyse des thèmes abordés dans ces écrits.
La première partie mêle différentes approches. L’auteur greffe sur une trame événementielle des remarques sur des publications où s’exprime la polémique religieuse.
De cet exposé, on retient l’importance des placards intitulés Articles véritables sur les horribles, grandz et importables abus de la messe papalle, inventée directement contre la saincte Cène de Jésus Christ, œuvre d’Antoine Marcourt, pasteur à Neuchâtel. Ce texte de 1534 est un véritable point de départ ; il constitue, selon le mot de Pierre Chaunu, « ce pétard français qui fait irrésistiblement basculer le Royaume de France » (L’Aventure de la Réforme). Ce n’est que dans la période suivante que la polémique se structure autour de figures et de thèmes précis. Les écrits de Jean Calvin (1509-1564) ont naturellement toute leur place dans ce processus. Les attaques de Calvin se concentrent sur l’Église romaine. Dans le Traité des Reliques (Genève, 1543), Calvin mêle satire et drôlerie. Il explique ainsi la dispersion des reliques de saint Jean-Baptiste : « la face est en même temps à Amiens et à Saint-Jean-d’Angély, le crâne à Rhodes, la cervelle à Nogent-le-Rotrou, les cheveux en Espagne… et la tête entière au monastère Saint-Sylvestre de Rome » (citation p. 75). Le Réformateur de Genève dénonce également les nicodémites, les anabaptistes ou les libertins. Les années 1550 voient l’émergence d’un ton nouveau ; la scatologie et les attaques ad hominem apparaissent. L’Epistre de Maistre Benoît Passavant à Messire Pierre Lizet (pièce d’abord parue en latin, 1553) de Théodore de Bèze (1519-1605), dirigée contre un président du Parlement de Paris, fait ainsi de l’Église romaine une « catin, archi-catin qui écarte les jambes sous tous les arbres. » La réaction polémique en français des catholiques ne se développe qu’à la toute fin des années 1550, notamment autour des écrits du curé parisien René Benoist (1521-1608) ou du moine Artus Désiré.
Les troubles consécutifs à la mort accidentelle du roi Henri II (1559) et le début des Guerres de Religion sont évidemment propices aux combats entre les armées de pamphlétaires catholiques et protestants (pp. 146-147). L’auteur distingue les écrits de la polémique publique et ceux de la polémique privée (p. 160). La Saint-Barthélemy déchaîne les passions. Des libelles catholiques vengeurs paraissent. La Généalogie et la fin des Huguenaux et découverte du calvinisme (1573) de l’archevêque de Lyon, Gabriel de Saconay, appartient ainsi à cette « littérature pamphlétaire qui vise à la ‘bestiarisation’ de l’adversaire » (p. 193). Le texte n’est en effet qu’une succession de jeux de mots et de métaphores animaliers. Les mêmes images sont souvent employées par les protestants.
Après 1574, la polémique prend de plus en plus le « caractère d’un débat politico-religieux ». L’injure est plus rare, moins grossière et trouve souvent refuge dans la poésie et la chanson populaire. La langue est plus légère, dégagée de ses pesanteurs latines (p. 200). Pour cette dernière période, l’auteur intègre à son étude les écrits des monarchomaques et les ouvrages traitant de la sorcellerie.
La seconde partie de l’ouvrage de Claude Postel vise à présenter de manière thématique les cibles et les armes de la polémique. Le clergé, Rome et le pape, la messe constituent bien entendu des cibles de choix. L’auteur montre ainsi qu’à l’eucharistie sont progressivement associées par les polémistes protestants la puanteur et la singerie.
Le dernier chapitre demeure sans aucun doute un des plus précieux de l’ouvrage. L’invention langagière de la parole de la polémique religieuse, visible notamment dans l’emploi de métaphores animalières, y est évoquée. L’auteur dresse ainsi une liste de trente noms d’animaux utilisés dans les textes polémiques examinés (pp. 343-364). Pour chaque animal, des exemples d’emploi dans les écrits polémiques et une estimation des occurrences rencontrées (« très utilisé », « assez utilisé », « peu utilisé ») sont présentés. L’auteur prolonge cette piste dans son glossaire des « mots les plus significatifs rencontrés au cours des lectures » (pp. 465-498). Des citations ponctuent ce petit dictionnaire ; malheureusement, la page des références présentées n’est pas indiquée. Ces pistes de travail sont extrêmement précieuses et fourniront, comme l’affirme l’auteur, un très solide point de départ de recherches encore plus systématiques.
L’ouvrage foisonnant de Claude Postel constitue ainsi une mine de renseignements et de citations truculentes qui ne manqueront pas de réjouir le lecteur. Un index en rend l’utilisation très commode.
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