Romain Bertrand fait partie de ces historiens aussi délectables à lire qu’à écouter tant se forge le sentiment que l’auteur s’adresse à son lecteur, qu’il lui parle. Avec ce court ouvrage, version augmentée d’une série de lectures estivales à l’abbaye de Lagrasse (Aude) – l’oral encore –, le spécialiste des premiers contacts entre l’Europe et l’Asie du sud-est reconstruit les récits qui émaillent le monde et surtout la geste de Magellan, haut-lieu d’une historiographie surannée corrélée aux Grandes découvertes.

Réagencer des repères historiques

Dans cette optique, il met tout d’abord en perspective l’opportunisme du personnage, transfuge portugais au service de la couronne d’Espagne qu’il persuade de soutenir son projet de rejoindre l’Asie par l’ouest. Et non de réaliser une circumnavigation planétaire. Fernand de Magellan est un homme (de petite taille) issu d’une famille noble de second rang et un soldat rompu aux voyages au long cours et aux lointaines batailles. Il prend part au siège portugais de Malacca en 1511 où il rencontre Enrique, jeune malais qu’il adopte et acteur cardinal de la thèse de l’auteur. L’historien réagence par ailleurs l’épaisseur historique de l’archipel indo-malais, monde déjà connecté où se côtoient marchands indiens, chinois et arabes.

Puis vient 1519 et l’embarquement en Espagne à bord des lourdes nefs, au milieu de montagnes de vivres (et d’hectolitres de vinaigre) et d’une foule de marins, Italiens, Allemands, Portugais, Espagnols et Français (P’tit Jean l’Angevin). Et bientôt une vague de complots et de jalousies ourdis à terre et en mer déferle, tous cruellement réprimés. Quand Romain Bertrand brosse les préparatifs de départ à quai, on jurerait entendre les mouettes et sentir le vent du large. La musique de sa langue alerte et puissante nourrit le récit du début à la fin et compose un atout qui facilite la lecture et renforce l’aventure Magellan scindée en cinq épisodes : Un royaume pour un cheval – Quel sera l’intérêt scientifique – Vers l’Orient, par l’ouest, et cap au sud – Mourir à Mactan – Les grands voyages finissent-ils jamais ?, adossés à un corpus de sept cartes très éclairantes.

Magellan, Elcano, ou …?

Mais alors, qui a fait le tour du monde ? Pas Magellan, mort à Mactan aux Philippines en 1521, pour avoir voulu donner une leçon (impériale?) au vassal d’un sultan de l’archipel. Mais Elcano bien sûr ! Et une trentaine de membres d’équipage. Non. Sans doute et surtout, c’est la thèse de R Bertrand naguère portée par Jean Favier (1991), le jeune Enrique, l’esclave malais adopté par Magellan en 1511 et légataire testamentaire de ce dernier, serait le premier d’entre tous, puisque peut-être reparti vers sa terre malaise avant le départ pour l’Europe de l’ultime vaisseau espagnol piloté par le Basque Elcano.

Du Sejarah Melayu à Panglima Awang

Au passage, l’auteur signale qu’aucune source asiatique ne mentionne le passage de Magellan, être transparent ? A propos de sources encore, on peut être étonnés des quelques textes malais anciens à l’instar du Sejarah Melayu du XVIIè siècle, mobilisés pour décentrer nos regards : point de parts égales ici. Et des références contemporaines surprenantes parfois, tels ce poème de P. Neruda. Ce roman de H. Aminurrashid. Ou ce couplet de M. Sardou.

Aussi, les lycéens de seconde gagneront-ils à lire des passages de cet ouvrage (la croustillante dimension logistique), ou à recomposer une tranche de l’Histoire des Grandes découvertes, ou encore à tracer puis à présenter oralement l’itinéraire d’Enrique à l’aide de cartes variées.

In fine, ce livre constitue un heureux moment de lecture, magnifié par un récit vivant au service d’une autre histoire.

Maintenant, un défi demeure, celui de dresser l’historiographie critique du Magellan posthume, du chroniqueur italien Pigafetta à Romain Bertrand, en passant par Stefan Zweig (1938), par Panglima Awang (1957) de l’écrivain malais Harun Aminurrashid, et tant d’autres.

La présentation de l’éditeur

https://editions-verdier.fr/livre/qui-a-fait-le-tour-de-quoi%E2%80%89/