Dirigé par Franck Favier, agrégé et docteur en histoire contemporaine, et Vincent Haegele, conservateur des bibliothèques de Versailles, archiviste paléographe et docteur en histoire, Traître – Nouvelle histoire de l’infamie paru aux éditions Passés/Composés en 2023 est un ouvrage qui rassemble un ensemble de monographies qui ont en commun de s’efforcer d’appréhender la notion de traîtrise et ainsi de saisir les enjeux que soulève la question de la trahison. Ainsi, une dizaine d’historiennes et d’historiens ont dressé le portrait d’une quinzaine de personnages historiques, allant de la fin du Moyen Âge au XXe siècle, et que le temps a qualifié de grands « traîtres ».

L’objectif de l’ouvrage réside avant tout dans l’intérêt porté par les auteurs à la notion de trahison à travers l’histoire. Ils rappellent qu’il s’agit d’un phénomène qui a toujours fasciné les contemporains et les historiens. Cependant, la tâche ne paraît pas simple, car il convient de définir ce qu’est un traître, de comprendre où commence et où se termine l’acte de trahison. L’histoire est pleine de félons qui ont agi par idéal, par intérêt ou encore par vengeance, et la trahison peut être préméditée ou tout simplement le fruit d’opportunités. Dans tous les cas, les auteurs rappellent que la trahison rompt avec les codes sociaux, car elle est réalisée envers la famille, des amis ou éventuellement un serment prononcé. Il en découle un mépris inspiré par l’acte par l’ensemble des individus se sentant trahis. Il apparaît que certaines trahisons sont « devenue[s] par la force de l’histoire [des] acte[s] de bravoure ». En effet, dès le début de l’ouvrage, les auteurs rappellent que la trahison est avant tout une question de perception. Talleyrand lui-même disait que « la trahison est une question de dates ». Pour les auteurs, la perception est intéressante dans la mesure où elle est réussie. En effet, la trahison manquée est perçue comme étant un signe de faiblesse, de bêtise voire même de reproche, alors que celle qui réussit est considérée comme un signe d’intelligence.

 

Les directeurs et l’ensemble des contributeurs de l’ouvrage ont souhaité, au-delà de la définition même du traître, comprendre quelles étaient les évolutions de la trahison à travers les siècles, à partir du moment où les serments de fidélité liés à la féodalité commençaient à être rompus pour aller vers des trahisons qui pouvaient davantage être caractérisées de crime de lèse-majesté, peu à peu remplacé par celui de lèse-société, lorsque « la souveraineté du peuple exprimée au Parlement et dans l’opinion publique devient alors l’unique cadre de référence ». Toutefois, en débutant au début du XVIe siècle, les auteurs évacuent de la liste Judas, pourtant considéré comme l’archétype même du traître. D’une manière générale, les auteurs ont souhaité évacuer les grands traîtres classiques tels que Talleyrand ou Fouché, pour privilégier des personnages ou des groupes d’individus moins connus. Parmi ces grands traîtres, figure le connétable Charles III de Bourbon qui trahit François Ier, parce qu’il revendiquait des droits relevant de la féodalité. Cet exemple met en lumière « les rapports complexes entre le roi et ses derniers féodaux ». D’autres personnages ligueurs ou Frondeurs sont autant d’exemples de lutte « contre la marche vers l’absolutisme royal ». D’autres personnages évoqués peuvent également être à la fois des traîtres et des patriotes « selon les choix envisagés ». C’est notamment le cas de Magnus Sprengtporten qui trahit le roi de Suède Gustave III et se réfugia à la cour de Catherine II de Russie, car il souhaitait voir la Finlande sortir de la domination suédoise. Des trahisons familiales sont également présentées avec l’exemple de la famille de Gustave Vasa en Suède au XVIe siècle, où les enfants se trahissent mutuellement pour faire l’acquisition du pouvoir dans une sorte de « jeu de trône ». Pour dépasser les personnalités particulières, les auteurs ont souhaité présenter des groupes, comme les généraux de la Révolution, accusés d’être des traîtres par les assemblées notamment lorsqu’ils perdent des batailles face à leurs ennemis. Les émigrés français au cours de la même période sont également perçus comme des traîtres. L’ouvrage comprend quelques exemples de personnages présentés par les auteurs comme des « girouettes », c’est-à-dire des individus qui profitent des contextes d’opportunité et ont changé d’avis, tels certains généraux au cours des années 1814-1815. Pour finir, les auteurs présentent plusieurs contributions mettant en évidence la permanence du complot contre la nation qui « hante l’histoire [depuis le XIXe siècle] jusqu’à la Seconde Guerre mondiale ». Ainsi, le traître est celui qui se met au service d’une puissance étrangère, notamment lorsqu’il s’agit d’un espion comme dans l’exemple du colonel Redl dans l’Empire austro-hongrois à la veille de la Première Guerre mondiale. Le traître peut par conséquent servir de bouc émissaire comme le montre le procès du maréchal Bézaine en 1873 considéré « comme l’un des principaux artisans de la défaite qui coûta à la France trois départements, une guerre civile et des milliards d’indemnités à verser aux Allemands ».

D’une manière générale ce qui réunit l’ensemble des contributions depuis celle du connétable Charles III de Bourbon jusqu’à Vudkun Quisling le bourreau de la Norvège pendant la Seconde Guerre mondiale, est la raison de la trahison. Comme le rappellent les auteurs, « c’est peut-être la raison d’État qui engendre en premier les traîtres ». Ainsi, au-delà de la simple rébellion de nombreux traîtres « ont franchi le pas par un certain idéalisme », sans toutefois être capables d’en mesurer les effets dévastateurs.

En conclusion, Traître. Nouvelle histoire de l’infamie est un ouvrage intéressant dont les contributions sont globalement de grande qualité et se lisent aisément pour une majorité d’entre elles. L’intérêt de ce travail réside essentiellement dans la découverte de traîtres moins célèbres tels que Magnus Sprengtporten, Benedict Arnold, le maréchal Bazaine ou encore Wang Jingwei. Les auteurs montrent bien dès le début de l’ouvrage les difficultés de définir une notion aussi ambiguë que la trahison. Toutefois, hormis cette notion, il est difficile pour le lecteur de saisir le fil conducteur de l’ouvrage. En effet, les articles classés chronologiquement croisent des situations très différentes. Le lecteur peut par conséquent se demander à juste titre, ce qu’il y a de commun entre des individus qui trahissent leur roi ou pays en temps de paix, et ceux qui le font sous la contrainte d’un contexte. Une organisation thématique, pourtant présentée dans l’introduction, aurait certainement apporté une plus grande cohérence à l’ensemble. Pour finir, le sous-titre de l’ouvrage est quelque peu trompeur et relève davantage d’une tendance actuelle à vouloir présenter une « nouvelle histoire ».