L’ouvrage qui vient d’être publié, 1929-1935 La crise, se présente comme portant sur la crise de 1929, mais il traite en réalité beaucoup plus largement de l’évolution des puissances européennes et américaine de 1929 à 1935. A vrai dire, la crise de 1929 est traitée assez rapidement : elle fait l’objet d’une introduction succincte, bien que claire bien écrite, ainsi que d’un premier chapitre sur la Grande Dépression, qui aborde essentiellement les conséquences dramatiques de la crise aux États-Unis et la manière de Roosevelt à chercher à y mettre un terme. On y voit un Roosevelt tâtonnant, cherchant une politique adaptée, marquée par le pragmatisme, mettant en place progressivement les mesures du New Deal mais n’hésitant pas à revenir sur des mesures n’ayant pas fait la preuve de leur efficacité.
Jean-Yves le NaourHistorien français spécialiste de la Première Guerre mondiale. Il a écrit de très nombreux ouvrages, tels qu’un Dictionnaire de la Grande Guerre (2008), une série d’ouvrages consacrés à chaque année de la guerre 1914-1918 (entre 2012 et 2016), et, plus récemment, 1919-1921. Sortir de la guerre (2020) ou 1922-1929. Les années folles ? (2022) et une BD : Le réseau Comète – La ligne d’évasion des pilotes alliés, avec Holgado et Marko, Grand Angle, 2023 insiste sur la manière dont l’Allemagne a cherché à utiliser la crise de 1929 pour mettre fin aux réparations, même si un règlement avait été trouvé peu de temps auparavant avec le plan Young (1928) qui étalait les paiements allemands jusqu’en 1988. En particulier on voit le chancelier Brüning mener une politique du pire pour mettre fin aux réparations, quitte à enfoncer un peu plus encore l’Allemagne dans les difficultés économiques et financières. L’ouvrage met très clairement en évidence que l’Allemagne n’a pas attendu Hitler pour mener une politique révisionniste, avec une tentative d’union douanière avec l’Autriche (qui avorte), l’abolition des réparations, le réarmement et la contestation des frontières orientales du pays.
La politique française, quant à elle, est marqué par des divisions, l’instabilité, une impuissance et surtout une aboulie politiques. Le Naour souligne le caractère néfaste de la politique de Pierre Laval, constamment travaillé par la recherche d’une entente avec l’Allemagne. On mesure l’isolement de la politique française cherchant à concilier l’obtention de garanties de sécurité pour elle-même et le maintien de relations avec les États-Unis et surtout La Grande-Bretagne. On voit cette dernière mettre en permanence des bâtons dans les roues de la France, la considérant comme une ennemie bien plus que l’Allemagne. À ce titre la politique de Mac Donald est fortement critiqué par l’auteur.
L’ouvrage traite avec brio de l’URSS de Staline et du Japon des années 1930 en montrant à la fois le grand tournant soviétique de l’URSS de Staline et le choix de la guerre opéré par l’Empire du soleil levant.
Les pages consacrées à l’Allemagne de Weimar montrent une République allemande peu soutenue en interne et où les effets économiques de la crise ont tôt fait de dynamiser les résultats électoraux des nazis, même si cette analyse est nuancée par le rappel que les nouveaux bataillons de chômeurs votaient plus majoritairement à gauche qu’en faveur du nazisme. Toujours est-il que ce mouvement a été au moins autant sinon davantage l’enfant de la crise de 1929 que du traité de Versailles et des humiliations ressenties par l’Allemagne.
L’ouvrage rappelle juste titre que les tentations fascistes n’existaient pas que dans la seule Italie, mais que l’Europe a connu la montée de régimes autoritaires, comme en Espagne, au Portugal, en Hongrie, en Autriche notamment. Les pages consacrées à l’Italie de Mussolini sont intéressantes et rappellent combien les relations avec l’Allemagne étaient difficiles au début. Pour autant les tentatives de front uni contre l’Allemagne n’ont jamais pu réussir, par malchance ou par manque de volonté comme lors de l’assassinat d’Alexandre Ier de Yougoslavie et du ministre des Affaires étrangères Louis Barthou en octobre 1934 ou bien encore lors du Front de Stresa d’avril 1935 qui n’avait de front que le nom et que le livre montre totalement inopérant.
Le Naour souligne l’inanité des politiques des puissances occidentales, notamment anglaise et française vis-à-vis de l’Allemagne et combien l’absence complète de solidarité de la Grande-Bretagne à l’égard de la France a encouragé les tentatives révisionnistes allemandes bien avant Hitler. L’auteur met en lumière le manque de lucidité totale de la politique anglaise face à Hitler dont les protestations verbales de paix apparaissent pourtant en parfaite contradiction avec sa politique intérieure revancharde et guerrière.
En définitive cet ouvrage est, plus qu’une analyse de la prise et de ses conséquences directes, une fresque certes sur les désordres économiques et financiers des années 1930 mais surtout des atermoiements et des illusions des politiques des puissances face à l’Allemagne, avec les conséquences dramatiques que l’on sait.