Marc Petitjean est cinéaste, photographe et auteur. Il a réalisé des documentaires dont Blessures atomiques et De Hiroshima à FukushimaPour ces deux films, il a déjà interviewé le docteur Shuntaro Hida, médecin des irradiés, au centre de ce livre.

« Vous verrez, ça se passera comme à Hiroshima et à Tchernobyl, on ne saura jamais la vérité sur l’étendue des dommages » (Shuntaro Hida, 2011).

Premières observations

Jeune médecin en 1945, Shuntaro Hida rejoint son hôpital d’Hiroshima au moment du bombardement atomique du 6 août 1945. Sur son trajet, il croise des hommes effrayants, entièrement brûlés, qui ont perdu toute apparence humaine. Impuissant à les soigner, il est  donc aux premières loges pour observer les symptômes : brûlures internes et externes, hémorragies, chute de cheveux, des tâches violettes, le purpera, sur les rares parties du corps non brûlés. Il constate aussi une odeur de décomposition. Le docteur comprend rapidement que les personnes arrivées sur les lieux après l’explosion ont aussi été irradiées. Il constate en effet des décès rapides chez des personnes n’ayant pas été brûlées et étant arrivées sur les lieux après l’explosion.

La censure

D’autre part, la censure mise en place par l’occupant américain jusqu’en 1951 ralentit les recherches sur les irradiations. Les Japonais n’ont pas le droit d’écrire sur le sujet. De plus, les nombreuses informations collectées par les Américains sont classifiées « secret défense ». Les médecins sont surveillés étroitement par les autorités américaines. Selon Shuntaro Hida, les informations concernant Fukushima sont également dissimulées. Devant des chiffres extrêmement élevés, il s’agit de ne pas affoler la population.

Le médecin japonais interprète l’usage de la bombe atomique à la fois comme une démonstration de force, notamment vis-à-vis de l’URSS et comme un essai grandeur nature pour mesurer l’impact de la bombe. Pour cela, le président Truman met en place, dès 1946, l’Atomic Bomb Casualty Commission. Ils construisent un bâtiment moderne à Hiroshima. Les hibakusha s’y pressent dans l’espoir d’y être soignés. Ils servent en réalité de cobayes. Ceux qui n’ont pas été directement exposés sont renvoyés chez eux. Ainsi, les irradiations internes sont niées et ne sont pas étudiées. Des autopsies sont pratiquées : la restitution des corps est aujourd’hui un enjeu mémoriel.

Les déchets ne peuvent pas tous être enfouis après la catastrophe de Fukushima, ils sont répartis dans différentes régions.

Vivre pour les autres

Shintaro Hida raconte ensuite son engagement pour la publication des études sur les irradiés, son adhésion au parti communiste. Il évoque aussi sa participation, en tant que médecin, à la Min-Iren, sorte de coopérative médicale qui fait des patients les employeurs du médecin. La Min-Iren permet aux médecins licenciés en raison de leur appartenance au Parti communiste de continuer à travailler.

La triple peine des hibakusha

Les hibakusha sont mis à l’écart de la société. 6000 enfants, mis à l’abri à la campagne, deviennent orphelins. Les survivants de la bombe portent physiquement les stigmates de l’irradiation : brûlures, décolorations de la peau, cicatrices… Le mariage est difficile, par crainte d’éventuelles conséquences sur leur descendance.

La maladie se déclenche parfois des années ou des décennies après l’irradiation : cancers, notamment leucémies, diabète, maladies du coeur. Le docteur Hida identifie un syndrome de fatigue chronique, le bura-bura. Des enfants d’hibakusha naissent avec un handicap.

De plus, les hibakusha ne sont pas reconnus comme victimes par l’Etat. En 1957, l’Etat accepte de créer un carnet de santé pour les irradiés, mais les hibakusha ne les demandent pas toujours par crainte de discriminations.

Les deux visages de l’atome

Si le nucléaire est synonyme de destruction, il est aussi associé au progrès. C’est la vision de la plupart des médias occidentaux en 1945, mais un grand nombre de Japonais y compris d’hibakusha se laissent convaincre par le nucléaire civil. Le docteur Jean Nagaï, lui aussi irradié, avait déclaré en 1951 : « Nous devons utiliser le principe de la bombe atomique. Aller en avant dans la recherche de l’énergie atomique pour qu’elle contribue au progrès de la civilisation. Une mauvaise fortune se sera alors transformée en bonne fortune. Le monde changera avec l’utilisation de l’énergie atomique. Si un monde nouveau et fortuné peut être construit, les âmes de tant de victimes reposeront en paix ». 

Une première exposition, itinérante, vante les bienfaits du nucléaire civil en 1956 notamment à Tokyo et à Hiroshima. Elle est suivie d’Atomes pour la paix en 1958 à Hiroshima. Cette seconde exposition accueille 917 000 visiteurs.

Les années de vérité

Le docteur Hida mène un combat pour la reconnaissance des irradiations internes à partir des travaux d’Ernest Sternglass sur les nourrissons. Ce combat se double d’un combat juridique pour l’indemnisation des irradiés. Le chiffre des victimes est réévalué. Mais cette lutte entre victimes et Etat reprend après la catastrophe de Fukushima.

Site de Marc Petitjean :  ses documentaires sont visibles sur son site.

Article de Courrier International sur Shintaro Hida

Jennifer Ghislain