Architecte et urbaniste, spécialiste de l’architecture industrielle depuis longue date, Jean Robert Mazaud propose ici une réflexion de fond sur un objet multiforme encore méconnu pour qui n’en côtoie pas au quotidien : les « trams du ciel » ou transports à câble.

Si ceux-ci sont nés dans les montagnes pour accompagner l’exploitation du bois et se sont popularisés lors des expositions universelles, leur diffusion récente en milieu urbain commence à répondre à de nombreux enjeux liés aux configurations actuelles des villes et aux mobilités de leurs habitants.

Observer l’espace via ce prisme nous invite à redécouvrir le vieux couple « site/situation » de la géographie urbaine : des hauteurs résidentielles à désenclaver et des centres congestionnés (et là, quels meilleurs exemples que les pays d’Amérique du Sud et d’Amérique Centrale pour illustrer cette donne?) ; relier deux rives ou une île et son continent (la chose n’est pas rare en Asie comme à Hong Kong ou en Irlande comme à Dursey) ; assurer la liaison entre deux lieux économiquement dépendants l’un de l’autre (Bolzano/Colalbo en Italie par exemple).

C’est d’ailleurs sur un aspect économique qu’il est possible d’interroger le succès de la chose : un transport automatique, rythmé et non conditionné au nombre de passages qui l’empruntent peut s’avérer rentable une fois mis en place. Mais de nombreux paramètres sont à prendre en compte : l’intégration dans l’environnement et le dessin du trajet qui posent la question du survol (quid des zones privées ? des zones militaires ?) et de l’implantation et du design des gares (structures construites spécifiquement ou reconversions d’anciens bâtiments?) ; l’intégration au reste du réseau de transport (là encore, l’Amérique Latine avec des villes comme Medellin ou La Paz constitue un bon modèle en la matière) ; les aspects techniques bien sûr (gestion du dénivelé, parfois impressionnant, résistance aux vents) ; la gestion des usagers (cas de Madère où les agriculteurs empruntant les cabines le matin pour effectuer leurs livraisons cèdent leur place aux touristes en cours de journée).

La question du tourisme n’est pas en reste puisque cette élévation constitue une formidable occasion de contempler les paysages urbains et d’en analyser l’organisation. C’est pour cette raison clé que chacun y va de ses aménagements de cabines : plancher transparent (Hong Kong), cabine tournant sur elle-même (Courmayeur en Italie), plancher tournant sur lui-même (le Cap), téléphérique « cabriolet » (Stans en Suisse).

Au-delà de ces spécificités, l’architecture plus générale des cabines est à admirer tout au long des quelques 400 pages de l’ouvrage, des plus stylées avec parfois cabines VIP (Athènes) aux plus rustiques (le minimaliste téléphérique de Kharkiv en Ukraine qui ne peut accueillir que 2 personnes par cabine ou le cas de Tchiatoura en Géorgie qui évoque l’époque stalinienne autour de quelques photographies supplémentaires) en passant par toute une série d’intermédiaires.

L’atlas s’accompagne d’une chronologie générale mais on appréciera de porter un œil attentif sur la chronologie particulière de certains cas révélant les effets de mode : à l’image du tramway au solOn pourra compléter la lecture de cet atlas par celui du tramway dans les villes françaises de François Laisney, ce mode de transport s’est vu parfois valorisé, décrié, puis revalorisé (cas d’Evian-les-Bains par exemple). Il compte aussi une bibliographie, une listeUn planisphère aurait été ici bienvenu. reprenant les différents exemples présentés permettant d’envisager leur répartition sur le globe (et de voir que la France n’a pas à rougir de ses voisins, notamment grâce à la réussite du tout frais téléphérique de Brest) et enfin un comparatif des divers avantages et inconvénients de ces multiples solutions techniques. A ce titre, on pourra apprécier le sympathique plaidoyer pour les ascenseurs « ouverts » permettant aussi d’admirer le paysage tout en se demandant s’il s’agit de la même problématique de déplacement dans l’espace ? Certes, on peut envisager se mouvoir verticalement et relier des parties basses de villes à leurs parties hautes mais il n’y a pas là de quoi voir l’ascenseur comme une alternative à d’autres moyens de transport reliant des points au sol comme c’est le cas pour les différents types de tramway. Sauf à regarder plus finement du côté des ascenseurs hybrides ou inclinés qui dessinent une oblique.

Cette interrogation plus qu’une réserve mise à part, cet atlas apparaît une vraie réussite : un tour d’horizon mondial de la question très complet et qui a pourtant nécessité des choix, sans doute difficiles, pour rester dans la limite des espaces urbains ; de splendides images autorisant l’évasion mais aussi la réflexion sur leur utilisation dans le cadre de séquences d’enseignement consacrées aux mobilités ; une problématique d’avenir proche et peut-être plus lointain comme l’évoque l’auteur avec la question du réchauffement climatique qui pourrait, une fois les neiges des pistes de ski fondues, voir le recyclage de nombreuses cabines des stations de sports d’hiver. Et d’ajouter que la « recyclabilité » de ces systèmes n’est pas la moindre de leurs qualités en écho à leur utilisation après les expositions universelles.