Difficile de qualifier un ouvrage comme celui-ci : biographie ? autobiographie ? ouvrage politique – dans le sens des livres ponctuant la carrière des hommes politiques – ?, récit ? À l’heure de la retraite, Christian Valantin, avocat, ancien directeur de cabinet de Senghor, député du Sénégal, revient sur les liens particuliers qu’il a entretenus avec Léopold Sédar Senghor. Préfacé par Souleymane Bachir Diagne, philosophe sénégalais, professeur à Colombia University (NY) spécialiste de la pensée de Senghor, ce livre porte sur la transition entre colonie et indépendance engagée à partir des années 1950 avant de consacrer son cœur à l’action de Senghor à la tête de l’État sénégalais.
Construite sur le modèle d’une biographie déroulant la vie d’un personnage, cet ouvrage retrace dans un premier temps l’enfance de Senghor. Christian Valantin explique la prise de conscience de la négritude mouvement né aux Etats-Unis, le terme apparaît pour la première fois sous la plume de Césaire dans le journal L’étudiant noir, fondé par Senghor, Damas et Césaire en 1934. « La négritude est un fait : une culture. C’est l’ensemble des valeurs – économiques et politiques, intellectuelles et morales, artistiques et sociales – non seulement des peuples d’Afrique noire, mais encore des minorités noires d’Amérique, d’Asie et d’Océanie. » (Extrait du rapport du colloque sur l’Art nègre, édité par Présence africaine) par Senghor à la suite de son séjour en brousse chez son oncle dont il gardait « le sentiment d’appartenir à une grande civilisation ». Dans une perspective comparative – mais à plus de vingt ans d’écart –, il met en regard cette enfance avec la sienne passée en ville, à Saint-Louis, dans un milieu politique engagé, héritier de la « prospérité de Saint-Louis au XIXème siècle, qui fut au centre de la politique locale et qui a adopté les idées des Lumières et de la Révolution française » (p. 22) Reconnus citoyens français, les habitants libres de cette ville ont envoyé une délégation aux États généraux de 1789 avec un cahier de doléances comprenant essentiellement des revendications commerciales, plutôt que politiques. Comme Senghor, Valantin fait ses études à Paris et s’engage, sur ses conseils, dans la « Colo » après que celui-ci ait, à regret, renoncé à une carrière de poète pour la politique.
Cette dernière débute en 1945 avec son élection à l’assemblée nationale française dans le contexte du débat entre assimilation et association. Partisan de l’assimilation, « d’une assimilation qui permette l’association… cette assimilation active et judicieuse, qui féconde les civilisations autochtones et les fasse sortir de leur stagnation ou renaître de leur décadence. » extrait de « Vues sur l’Afrique noire, ou Assimiler et non être assimilés » in Liberté 1, 1977, Senghor s’implique ensuite dans la mise en œuvre de la loi-cadre Defferre de 1956 : « Nous ne sommes plus les grands enfants qu’on s’est plu à voir en nous, et c’est pourquoi les joujoux et les sucettes ne nous intéressent pas. (…) Le statut qui va sortir de nos délibérations ne sera pas un statut librement discuté entre la métropole et les TOM mais une charte octroyée. » JO, 1957. Le chapitre 4, consacré à l’indépendance et au socialisme africain, passe en revue des éléments très factuels s’étant déroulés à partir de l’échec de la Fédération du Mali dans le cadre de la Communauté française. La mise en place d’une République se référant aux déclarations des droits de l’Homme de 1789 et 1948 et à leurs valeurs universelles n’est pas simple et Christian Valatin décrit, par le détail, les manœuvres politiques au sein des partis en proie à des luttes de clans aboutissant en 1962 à une tentative de coup d’État. Le lecteur occidental, peu à même de l’histoire sénégalaise et des figures politiques post-indépendance, se perd alors dans les méandres de ce récit, auquel se mêlent le rôle et les fonctions de Christian Valantin, alors gouverneur de la région de Thiès après un passage au ministère du Plan avant de devenir directeur de cabinet de Senghor. « Senghor traçait ma carrière et l’attention qu’il me portait me touchait. Ce ne fut pas le dernier geste de bienveillance qu’il me manifesta » (p. 130). Christian Valantin lui rend bien dans son texte et notamment quand il évoque la démission de Senghor en 1980 de la présidence, même s’il reconnaît les limites de ses actions politiques. « En quittant le pouvoir volontairement, Senghor effaçait la baisse de popularité provoquée par une démocratie à parfaire, jointe à l’insuccès relatif de sa politique de développement. Renaissait alors dans l’opinion nationale et internationale le président exemplaire parce que vertueux qui, voulant quitter le pouvoir, avait préparé à son successeur une présidence stable et durable. » (p. 154)
Le lien entre Senghor-le-poète et Senghor-le-politique est montré dans les deux derniers chapitres. « La culture, c’est la civilisation en action ou mieux, l’esprit de la civilisation ». Elle passe par l’organisation en 1966, en tant que président de la République du Sénégal, d’un Festival mondial des arts nègres et par les États généraux de la négritude. Cela passe aussi par le biais de la langue française, dont Senghor, l’académicien, fut l’un des pionniers de la francophonie, et par le concept de « civilisation de l’universel », dans laquelle la culture serait dominante et diffusée à tous et où les principes de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme seraient appliqués… Il reste encore beaucoup à faire pour que cette utopie devienne réalité.
Catherine Didier-Fèvre © Les Clionautes